Les avions au décollage, les groupes de musique dans les allées, les annonces au micro, les sirènes, les bavardages, les insultes. A l'US Open, le bruit court du matin au soir, sans arrêt, jusqu'à en perdre haleine - à commencer par l'haleine fétide des friteuses. Comme si ce n'était pas assez, les écrans géants supplient: «Make some noise!»
Les appels répétés des arbitres pour faire cesser ce vacarme paraissent presque aussi dissuasifs que les pistolets à eau face aux incendies de forêt. Solidement installé depuis des siècles, le bruit est ici chez lui. Chacun y contribue à sa façon, plus ou moins civilisée, sans relâche ni repos. Les gens font même du bruit en mangeant.
Particulièrement sensible à la moindre agitation, Richard Gasquet a beaucoup pâtit de ce chahut:
Puisque les oreilles intelligentes se protègent, certain(e)s ont pris l'habitude d'entrer sur le court avec un casque, illusion d'une bulle que la première pique d'un spectateur viendra percer.
Car c'est une autre coutume locale: l'insulte. Pas n'importe laquelle: l'insulte franche et jubilatoire. Même Nick Kyrgios, qui n'a jamais eu l'âme d'un poète, en a pris ombrage: «Ici, ça dépasse tout. Je ne réussis pas vraiment à faire abstraction des saletés qu'on me balance à la figure», confessait-il en 2018. Son compatriote Bernard Tomic est intervenu plus énergiquement auprès d'un quincagénaire amer qui s'en prenait à sa virilité: «Je vais mettre mes couilles dans ta bouche et te donner de l'argent pour que tu te sentes mieux!»
Le tennis requiert du silence et, même si le silence est le plus sûr moyen d'être dérangé par le bruit, tout public est censé le respecter. Mais c'est New York, la ville qui ne dort jamais. Comme le chante si bien Sinatra: «Je veux me réveiller (...) et m'apercevoir que je suis le roi de la montagne (...). Si je peux réussir ici, je le pourrai partout ailleurs.»
Alors de nombreux joueurs en font toute une montagne, justement. Ils s'effarouchent de sa grandeur et son exubérance, avant de vaincre leur timidité ou leurs préjugés, parfois les deux (Stan Wawrinka), pour s'en éprendre follement. Même Andre Agassi, pourtant originaire de Las Vegas, eu du mal à s'y faire: «Les premières années, je n'ai pris aucun plaisir à jouer ici. Pour aimer le tournoi, il faut comprendre la ville et sa mentalité, un certain art de vivre.»
C'est le seul tournoi où il est possible de tomber le tee-shirt dans les tribunes, de s'embrasser goulument sous les ovations de la foule, de brailler et musarder en toute impunité. C'est le seul tournoi du Grand Chelem dont les stades majestueux diffusent de la musique à plein tube pendant les pauses sans se soucier du voisinage, notamment les bas courts adjacents. Son central, le court Arthur Ashe, est un chaudron aux murs écarlates où s'échauffent 23'000 spectateurs les soirs de plein - pour ne pas dire complètement bourré.
Certains spectateurs renversent de la bière sur le court, d'autres y déversent leur fiel - ça picole et ça rigole. Comme portés par une nouvelle norme acoustique, joueurs et joueuses semblent redoubler de couinements. On râle et on beugle dans tous les coins, avant de s'offusquer d’une mâchoire qui claque ou d'une dent qui grince.
La proximité avec l'aéroport de LaGuardia n'est évidemment pas étrangère à tout ce boucan. Le tournoi a obtenu que les avions au décollage fassent une petite boucle et ne viennent plus raser ses stades; Flushing Meadows n'en reste pas moins coincé entre un grand couloir aérien et deux bretelles d'autoroutes à six voies.
Avec une quarantaine de courts au total, il est aussi l'un des complexes sportifs les plus vastes au monde. Il trône dans un parc de 460 hectares, théâtre des expos universelles de 1939 et 1964, où de nombreuses communautés (essentiellement latinos) viennent jouer au soccer le week-end. A l'extrémité: le Shea Stadium, antre immense des NY Mets, le célèbre club de baseball.
Mais avant d'arriver en territoire conquis, les protagonistes de l'US Open commencent par affronter les embouteillages de Manhattan, à une vingtaine de kilomètres du site. Ils se faufilent sous un tunnel, fendent le Queens et ses faubourgs bordéliques, avant de sinuer entre les voitures de police posées comme des plots. Le périple peut durer de 30 à 140 minutes, selon le trafic et l'heure. Et puis là, le bruit se remet à courir... Les haut-parleurs parlent très haut, les cris volent. Sans oublier le vent qui fait valser les papiers gras et les effluves d'oignon frit. Sans oublier les vigiles qui tonnent et la clim qui ronronne.
Un joueur qui veut gagner l'US Open n'a plus qu'une chose à faire: frapper comme un sourd.
Cet article a été adapté d'une première version parue sur notre site en août 2022.