La gauche genevoise risque une humiliation historique
L’enjeu avant le second tour de l’élection complémentaire au Conseil d’Etat genevois qui se tiendra le 19 octobre est à la fois simple et vertigineux. Au vu des résultats de ce dimanche, l’UDC est en mesure de faire une entrée historique au gouvernement cantonal, au détriment des Verts, qui y ont fait leurs premiers pas il y a 28 ans, en 1997, sans jamais en avoir été chassés depuis.
«Wokisme» contre «extrême droite»
Entre le parti écologiste et le parti souveraino-conservateur, deux formations de moindre importance que les cadors PLR et PS absents du présent scrutin, l’antagonisme, sur le papier, est à son comble, comme un résumé des passions de l’époque. L’actuel conseiller national Nicolas Walder, le candidat des Verts arrivé en tête (32 573 voix, 29,6%) a longtemps incarné la gauche woke aux yeux de ses adversaires, peut-être en est-il encore le héraut à Genève. Quant à l’UDC, représentée par Lionel Dugerdil (27 031 voix, 24,6%), elle est au wokisme ce que la mangouste est au cobra – ou l’inverse.
L’Amérique de Donald Trump et la France de Marine Le Pen seront-elles convoquées dans les débats de l’entre-deux-tours pour faire barrage à l’UDC, dès lors assimilée à l’extrême droite? La gauche pourrait s’y résoudre. En effet, les calculs de reports de voix ne sont pas à son avantage.
Nicolas Walder, qui convoite le siège laissé vacant depuis la démission d'un autre Vert, Antonio Hodgers, ne peut compter avec certitude que sur les suffrages exprimés en faveur de Rémy Pagani (7466 voix, 6,8%), actuellement à bord de la flottille pour Gaza, qui porte les couleurs de la gauche radicale.
Lionel Dugerdil part au combat avec théoriquement plus de chances. Dimanche sur Léman Bleu, le candidat du MCG (Mouvement des citoyens genevois), Maikl Gerzner (7376 voix, 6,7%), a demandé de voter pour lui. Celui du Centre, allié aux Verts'libéraux, Xavier Magnin (20 782 voix, 18,9%), a appelé à l'«union des droites» derrière l'homme qui «représentera la droite», Lionel Dugerdil – mais les centristes doivent se réunir lundi soir en assemblée pour décider d'éventuels mots d'ordre.
Un «front républicain»
La gauche unie pourrait donc être tentée d’en appeler de son côté à un «front républicain» face au candidat UDC pour espérer combler son déficit de voix. La droite populiste crierait sans doute alors aussitôt à l’importation des débats français dans la culture politique suisse.
«Si Lionel Dugerdil devait être élu, portant à 5 sur 7 le nombre de sièges détenus par la droite et le centre, cela ajouterait au détricotage de l’ancienne majorité de gauche PS-Verts observé dans d’autres scrutins», note le politologue René Knüsel.
«Il reste qu’une partie de l’électorat de droite et plus encore du centre ne se retrouve pas dans la droite conservatrice ou nationaliste qu’est l’UDC», ajoute le politologue. S’abstiendra-t-elle? On ne compte pas moins de 5378 votes blancs au premier tour. Des Genevois ont peut-être estimé que l’«offre» qui leur était proposée était d’une qualité insuffisante.
Développement et sécurité
Demeure une question, la principale: de quoi parlera-t-on dans la campagne d’entre-deux-tours qui commence? Autrement dit, sur quels thèmes l’élection se fera-t-elle? Les pragmatiques en privilégient deux: d’une part, le développement du canton (logements, transports, écoles, etc.), la sécurité des citoyens de l’autre.
La paire de candidats restant en lice ne pourra pas donner l’impression de favoriser un thème, quel qu’il soit, au détriment de l’autre. Il lui faudra cocher toutes les cases.
Ouverture contre fibre protectionniste
Aussi est-ce probablement sur le profil que cela se jouera. Nicolas Walder, il l’a réaffirmé dimanche sur la chaîne Léman Bleu, est le candidat de l’ouverture. Lionel Dugerdil, lui, a une fibre protectionniste. La personnalité – l’UDC vigneron contre l’écologiste universitaire passé par le CICR; la Genève terrienne contre la Genève internationale – pèsera, elle aussi, dans la balance des électeurs.
Sur un plan plus politicien, plus transactionnel, l’UDC ne manquera pas de rappeler au PLR et au Centre ce qu’ils lui doivent dans l’élection de 2023 au Conseil d’Etat. Snober, ce ne serait pas la première fois, le candidat UDC, au motif qu’il sent le souffre, pourrait se payer cher lors des prochaines élections, en 2028.
Votations et élection: à gauche et à droite
Les personnes jointes par watson sitôt connus les résultats du premier tour ne cachaient pas leur étonnement face au score moins élevé qu'attendu de Nicolas Walder. On remarquera que les Genevois ont voté à gauche aux votations nationales et cantonales, mais davantage à droite à l’élection complémentaire. La raclée prise par l’initiative de l’UDC qui entendait accorder aux policiers une immunité plus large dans le cadre de leurs interventions (67,9% de «non») pourrait donner un argument à Nicolas Walder: comment voter pour un homme, Lionel Dugerdil, dont le parti voulait faire de la police une institution au-dessus des lois?
Mais son adversaire Lionel Dugerdil aurait tôt fait de lui rappeler les propos tenus dimanche sur Léman Bleu par Pablo Cruchon d’Ensemble à gauche, soutien du candidat écologiste suite à la défaite de Rémy Pagani, selon qui «la police tue». Une affirmation aussitôt combattue par les autres partis présents.
Pendant trois semaines, Genève risque de ressembler quand même un peu aux Etats-Unis et à la France. Une victoire de l'UDC serait historique. Une défaite de la gauche face à l'UDC serait aussi historique et un brin humiliante.
