Un an après son lancement, le demi-tarif Plus a-t-il tenu ses promesses?
Marco Lüthi: Absolument. Nous avons déjà vendu près de 200 000 abonnements, un chiffre bien au-delà de nos attentes. Nous avons visé juste.
L'abonnement se présente sous la forme de trois crédits: 1000, 2000 et 3000 francs. D'autres options de crédits sont-elles prévues?
Pour l’instant, rien n’est figé. Nous avons déjà apporté quelques ajustements. A son lancement, le demi-tarif Plus incluait un renouvellement automatique, mais nous avons abandonné cette option.
Depuis octobre, ils peuvent recharger leur crédit dès qu’ils atteignent la phase de bonus. Avant de proposer d’autres évolutions, nous devons d’abord observer son adoption à long terme.
Le secteur doit reconquérir des clients après la crise de Covid. L'offre est attractive… mais est-elle réellement rentable?
Oui, ce n’est pas une offre «leurre». Le demi-tarif Plus comble l’écart entre le demi-tarif classique et l’AG. Il cible surtout ceux qui prennent régulièrement les transports sans parcourir de longues distances et vise aussi à encourager leur utilisation pour les loisirs, et pas seulement pour le travail.
Quel est l'objectif principal du demi-tarif Plus?
Nous voulons inciter les gens à laisser leur voiture au garage et à privilégier les transports en commun. L’un des leviers est la «gamification»: lorsqu’un utilisateur a déjà du crédit disponible, il sera plus enclin à prendre le train ou le bus, même pour ses sorties personnelles.
Cette incitation à la mobilité est-elle durable?
C’est un vrai changement de paradigme. Lorsqu'on possède une voiture, on a naturellement tendance à l’utiliser, car l’investissement de départ est fait (achat, assurance, parking). Avec le demi-tarif Plus, nous recréons un fonctionnement similaire pour les transports publics: en ayant déjà payé un crédit, l’utilisateur prend plus facilement le bus, le train ou le tram.
Le secteur est sous pression. La course aux économies de la Confédération touchera probablement aussi les transports publics. Devons-nous nous attendre à une hausse des tarifs?
La Confédération cherche à réduire les coûts, et cela pourrait toucher le secteur des transports publics. Pour l’instant, rien n’est décidé, mais la pression financière est bien réelle.
Le projet «Myride» serait un tournant majeur pour le secteur. Malgré le succès du projet pilote, vous ne prendrez une décision définitive qu'à la fin de l'année. Pourquoi?
Malgré le succès du projet pilote, nous restons prudents. Nous avons testé «Myride» avec 3000 utilisateurs, et les résultats sont encourageants. Mais lorsque plusieurs millions de voyageurs utiliseront ce système, il faudra s’assurer qu’il fonctionne sans faille. Nous parlons ici de la répartition des revenus des transports publics, qui représentent six milliards de francs par an. La moindre erreur pourrait provoquer des distorsions majeures dans la répartition des recettes entre les différentes compagnies de transport.
Qu'entendez-vous par distorsions?
«Myride» suit numériquement l'ensemble du voyage et offre des réductions intéressantes aux voyageurs fréquents. Cela nous permet de savoir de manière plus précise qui se déplace avec quel moyen de transport, contrairement au billet classique en papier. Ce qui pourrait conduire à une redistribution des bénéfices.
Il n'est pas exclu que certaines entreprises de transport reçoivent éventuellement moins d'argent qu'auparavant, parce que leur part des trajets a été surestimée jusqu'à présent. C'est pourquoi nous devons d'abord comprendre les transferts possibles.
Il y a une résistance au sein de la branche contre le projet?
Pas d’opposition frontale, mais des interrogations légitimes. Chaque entreprise veut s’assurer qu’elle ne sera pas lésée par le nouveau système. Nous prendrons une décision en novembre.
Selon les rumeurs qui circulent dans la branche, ce sont surtout les transports publics zurichois (ZVV) qui freinent le projet.
La ZVV gère des recettes beaucoup plus élevées que les autres régions. Le moindre ajustement dans le modèle de répartition des revenus pourrait représenter des millions de francs d’écart. La ZVV ne s’oppose pas au projet, mais elle veut des garanties avant d’avancer.
Si le projet est validé, quand sera-t-il déployé?
Nous mettons les bouchées doubles. Dès que la décision sera prise à la fin de l'année, nous la déploierons rapidement.
Les voyageurs pourront-ils encore acheter un billet en liquide après le déploiement de «Myride»?
Notre priorité est de convaincre un maximum de clients de passer au numérique, mais nous ne forcerons personne. Pendant une phase de transition, «Myride» coexistera avec les anciens tarifs. Ceux qui souhaitent encore payer en liquide pourront le faire. Ce qui nous laissera le temps de développer de nouvelles solutions pour les clients qui ne souhaitent pas utiliser des fonctions numériques.
Il pourrait y avoir une alternative avec une carte rechargeable au kiosque, par exemple. Vos réflexions vont-elles en ce sens?
C’est une option intéressante. Il existe déjà des cartes de bons et la fonction de paiement sur le SwissPass. Aujourd’hui, 6,7 millions de SwissPass sont équipés pour le paiement sans contact. Il faut mieux communiquer sur cette option.
L'abonnement général traditionnel sera-t-il un jour rendu obsolète et supprimé par «Myride»?
Non, le but est de simplifier la vie des voyageurs en évitant de devoir choisir à l’avance entre un billet ou un abonnement. Avec «Myride», il suffira de monter à bord, et l’application s’occupera du reste.
La protection des consommateurs estime que «Myride» met en danger la protection des données. Quel est votre avis?
Nous respectons l’anonymat des voyageurs. Nous collectons uniquement les données nécessaires pour facturer les trajets, bien moins que ce que font certains commerçants avec leurs programmes de fidélité.
L'objectif est donc de passer aux billets numériques d'ici 2035. A la ZVV, les billets ne sont plus vendus dans les bus depuis le changement d'horaire de décembre, même chez CarPostal. Quelles ont été les réactions des clients?
CarPostal n'a reçu que peu de réactions, et les plaintes ont été rares. La plupart des clients n'utilisent plus d'argent liquide depuis longtemps et n'achètent plus de billets dans les bus. L'évolution vers des solutions numériques vient de la clientèle, pas de la branche.
Chez les voyageurs, le son de cloche est différent. On y parle de discrimination. Par exemple, on ne peut plus payer en espèces dans certaines gares, et l'achat de billets dans le train coûte dix francs de plus. Est-ce justifié?
Chaque entreprise de transport public décide elle-même des canaux de distribution qu'elle souhaite proposer. L'argent liquide est un facteur de coûts. Rien que l'achat d'un distributeur de billets qui accepte l'argent liquide coûte entre 30 000 et 50 000 francs. Et c'est sans compter l'installation et l'exploitation. La gestion de l'argent liquide est en outre complexe et coûteuse, car il faut faire les comptes quotidiennement et assurer la sécurité de l'argent.
Quel est le coût d'une personne qui paie un billet en espèces à un tel distributeur?
Il n'y a pas de réponse générale, cela dépend beaucoup de l'endroit où l'on se trouve. Un distributeur de billets en ville de Zurich, où les transports publics recensent près d'un million de passagers par jour, coûte évidemment moins cher par billet qu'un distributeur situé dans une commune de campagne, où le nombre de voyageurs par jour est de 20. A cela s'ajoutent des coûts qui sont difficiles à comptabiliser. Il faut par exemple former le personnel à l'utilisation de l'argent liquide, il faut des mesures de sécurité, etc.
Le secteur est également confronté à la resquille. Quel est l'impact financier des resquilleurs?
Chaque année, environ un million de personnes voyagent sans billet ou avec un titre invalide. Cela représente un manque à gagner de 200 millions de francs, payé en partie par les contribuables.
Environ 50% des voyageurs sans billet valable sont des récidivistes. Faut-il augmenter les contrôles?
Il existe un groupe de personnes qui soit ne peuvent pas, soit ne veulent pas payer. Ces personnes ne sont guère dissuadées par les contrôles. Le fait qu'elles soient dénoncées à la troisième fois ne les préoccupe pas non plus. C'est malheureusement un fait: il y a des personnes qui ne respectent pas les règles. Nous devons vivre avec ça. Augmenter les contrôles ne serait pas rentable. Une partie des fraudeurs ne paieront jamais, peu importe le nombre de contrôles. Aujourd’hui, les équipes adaptent déjà les contrôles selon les risques et les horaires.
Souvent, les contrôleurs sont critiqués pour leur rigueur et leur manque de compréhension. Par exemple, il arrive que des voyageurs soient amendés pour avoir pris un billet quelques secondes trop tard ou simplement le mauvais billet. Les contrôleurs devraient-ils être plus flexibles?
C'est une bonne question, à laquelle on ne peut pas répondre de la même manière pour tous les lieux et toutes les entreprises. Les règles doivent être claires et cohérentes. Si on achète un billet papier avant le départ, il doit en être de même pour le numérique.
Un voyageur avec un billet incorrect ne devrait pas non plus être traité comme un fraudeur pur et dur. Il faut aussi éviter les situations absurdes, comme des passagers verbalisés pour être montés en première classe dans un train bondé.
...Comme les quatre jeunes Lucernois qui ont récemment écopé d'une amende de 75 francs parce qu'ils se trouvaient en première classe dans un train bondé.
Je ne connais pas le contexte de ce cas concret. Mais de tels cas isolés sont une mauvaise publicité pour les transports publics. Il est important d'agir de manière à calmer la situation. Lorsque j'étais directeur des transports publics zurichois, j'ai aussi assisté à des contrôles de billets et il y avait souvent des situations un peu tendues. Il est alors important de pouvoir expliquer aux gens sur place comment et pourquoi on procède ainsi et quelles sont leurs possibilités.
Dans les régions touristiques, CarPostal communique les informations en anglais notamment, parfois même en coréen. Cela va-t-il encore s'étendre? Comment la clientèle a-t-elle réagi?
Ces informations sont très utiles pour nos voyageurs internationaux. Mais elles aident aussi à répartir les flux de passagers: nous pouvons par exemple suggérer aux gens, dans leur propre langue, les endroits qui valent la peine d'être visités en dehors des hotspots touristiques. De plus, cela nous permet de soulager notre personnel. Celui-ci est souvent sollicité en anglais ou dans d'autres langues. Tous nos chauffeurs de bus ne parlent pas parfaitement anglais. Une extension n'est toutefois pas prévue pour le moment.
Le tourisme et, de manière générale, le trafic de loisirs sont en forte augmentation. Qu'en est-il pour CarPostal?
Le trafic de loisirs connaît également une forte croissance chez nous. Il y a toutefois des différences importantes selon les régions. De manière générale, dans de nombreuses régions, le trafic pendulaire n'est pas encore aussi fort qu'avant Covid, mais le trafic de loisirs l'est davantage. CarPostal est traditionnellement plus fort dans le trafic de loisirs et dans les transports scolaires. C'est pourquoi nous avons aussi une répartition plus homogène des passagers.
Que voulez-vous dire par là?
A Zurich, par exemple, nous avons remarqué que le vendredi matin, il y avait nettement moins de personnes dans les transports publics qu'avant la pandémie du Covid. Cela s'explique par le fait que de nombreuses personnes peuvent désormais faire du télétravail et choisissent le vendredi pour le faire. En revanche, la demande est répartie de manière plus homogène dans le trafic de loisirs. Les touristes internationaux, en particulier, assurent une bonne fréquentation de base sept jours sur sept. Ils vont aussi au Jungfraujoch quand il y a du brouillard.
Dans le canton de Zurich, un projet pilote de navettes autonomes sera bientôt lancé dans les transports publics. Ce projet va-t-il se généraliser?
Nous suivons de près ces projets, notamment à Zurich, Hambourg et en Norvège. Ces véhicules ne remplaceront pas les bus, trams et trains, mais peuvent compléter l’offre dans les zones moins desservies.
La clientèle est toutefois sceptique... Pensez-vous qu'elle fera confiance aux navettes autonomes?
L’acceptation sociale sera essentielle. Pour l’instant, les passionnés de technologie seront les premiers à adopter ces services.
J'étais sceptique malgré mon passé d'ingénieur EPF, mais j'ai changé d'avis après avoir étudié les projets en cours. Dans un premier temps, il sera important que les passionnés de technologie utilisent de telles offres. Sans eux, rien n'est possible. Mais il est clair qu'en fin de compte, l'acceptation sociale de tels véhicules sera centrale pour leur succès.
Traduit et adapté de l'allemand par Léa Krejci