A la Migros, les suppressions de poste se suivent et se ressemblent. Nouveau couperet en ce mois de juin: le géant orange annonce la suppression de 415 emplois chez Migros Industrie, dont une partie de licenciements. Dans la foulée, on apprend que M-Electronics sera vendu à Media Markt, qui récupère environ la moitié des magasins — les autres fermeront.
C'est un coup dur de plus pour les employés. Cette annonce fait suite à une première, au mois de mai, précisant que 150 suppressions de poste au siège de Zurich étaient prévus.
Migros l'avait annoncé en février: près de 1500 suppressions de poste allaient avoir lieu au fur et à mesure des restructurations prévues cette année, dont une partie seraient des licenciements. Nous avions alors discuté avec le syndicat Unia, qui s'était dit outré par ces décisions.
Contacté, Unia semble cette fois-ci avoir changé de ton: ce n'est plus la colère qui prime, mais une certaine fatigue, audible au bout du fil. La responsable du secteur détaillants Anne Rubin estime que «les employés sont maintenus dans une grande incertitude et chacun se demande s'il est le prochain sur la liste ou non».
Selon les syndicats, cette pression se ressent dans la vente comme la logistique et l'industrie. «L'année 2024 se profile mal pour les employés. Migros n'hésite plus à licencier et à trancher dans le vif de manière brutale.» Pour les syndicats, c'est sûr:
Une annonce après l'autre, parfois dans le sillage d'un rachat: s'agit-il de la fameuse «technique du salami», utilisée pour éviter de faire une trop grande annonce qui fâche d'un coup? Tristan Cerf, porte-parole de la Migros, s'en défend:
Le géant orange a en effet annoncé tout de suite la couleur. «On ne peut pas attendre la fin de l'année pour annoncer ce que l'on fait», notamment vis-à-vis des collaborateurs concernés, estime Tristan Cerf. «L'information doit aussi pouvoir circuler à l'interne jusqu'à eux.»
Les annonces spécifiques de suppressions de postes et de licenciements suivront donc au fur et à mesure que Migros arrivera à vendre telle ou telle filiale. Pour la vente de M-Electronics à Media Markt, cela concerne 50 suppressions de poste et 100 employés qui vont «retrouver un travail au sein du groupe».
Puis suivront Micasa et Do+it Garden. Tristan Cerf assure d'ailleurs, brève vérification à l'appui, que plus de 1000 jobs sont à pourvoir chez Migros en ce moment.
Du côté d'Unia, on dénonce cependant l'ambiance au sein de l'entreprise: «Plusieurs employés nous ont indiqué des menaces de représailles s'ils nous parlaient. Nous avons des témoignages qui proviennent des quatre coins de la Suisse», assure Anne Rubin. «Un salarié a été menacé par le gérant d'être mis sur la liste des "prochaines personnes licenciées" si c'était le cas.»
Tristan Cerf l'assure, au sein de l'entreprise qui compte près de 100 000 employés, «s'il y a des comportement condamnables, on peut les signaler grâce à un outil de dénonciation anonyme. Cela peut viser n'importe qui, même un responsable.» Cela se fait, toutefois, toujours, dans le cadre de l'entreprise:
Tristan Cerf précise toutefois: «Chaque employé est libre de se faire représenter par le syndicat qu'il veut. Mais il y aussi des règles de compliance: il est interdit de donner des informations relatives à l'entreprise à l'extérieur.» Et Unia est justement une entité extérieure à la Migros, celle-ci ne le reconnaissant pas comme faisant partie de ses partenaires sociaux, qui négocient notamment les salaires et les plans sociaux.
Le plan social de Migros, parlons-en. «Celui-ci a été négocié sans que les employés concernés soient au courant», signale Anne Rubin. Pour les syndicats, Migros choisit les partenaires sociaux qui l'arrangent.
D'autant que ce plan social, tous les employés ne le touchent pas, selon Unia. «Si un employé a la chance de se voir proposer un poste de remplacement, il devrait par exemple accepter un trajet pouvant durer une heure jusqu'à son nouveau lieu de travail.» C'est en effet ce que Migros considère comme «acceptable». Une astuce pour exclure les employés qui le refusent du plan social? Tristan Cerf n'en croit pas un mot:
Il déroule: «Le plan social prévoit plusieurs éléments et les distances sont prises en compte. Cela doit être faisable pour l'employé.» Nous n'en saurons cependant pas plus, car les détails des plans sociaux ne sont accessibles qu'aux employés.
Pour Unia, certains employés seraient confrontés à un dilemme: garder leur travail, mais réduire leur qualité de vie avec de longs trajets, ou se retrouver au chômage sans plan social. Anne Rubin cite l'exemple de cette mère de famille qui habitait à moins de 15 minutes de son lieu de travail et devrait désormais faire près de 50 minutes de voiture pour aller travailler.
Une solution ubuesque alors que «Migros a un réseau extrêmement dense de coopératives. Et c'est sans compter les bouchons ou la circulation dense le matin ou le soir», tempête la syndicaliste.
Mais la suppression des emplois n'est pas le seul problème. Car les employés restants sont dès lors soumis à de fortes pressions. «Le rythme et la densité du travail, déjà élevé, vont encore augmenter», estime Anne Rubin.
La syndicaliste prévoit que la quantité de burnouts va augmenter et avec lui le nombre d'absences, ce qui va rendre le travail encore plus difficile pour ceux qui restent. Quid des employés de M-Electronics qui vont désormais être employés par Mediamarkt? «Ce n'est pas vraiment un employeur connu pour avoir des conditions de travail favorables», estime Anne Rubin, qui pointe du doigt de possibles péjorations similaires pour certains employés des autres filiales à vendre de Migros, en fonction de leur racheteur potentiel.
Pour Unia, un fait divers prouve les aléas des restructurations chez Migros: «A Zurich, l'administration centrale a déjà dû rappeler une partie des personnes licenciées, au mois de mai, car on n'arrivait pas à suivre au niveau de la quantité de travail», relève avec ironie la syndicaliste.
Une information révélée par le site alémanique Inside Paradeplatz, la bête noire de la Migros. Tristan Cerf assure qu'il ne «sait pas d'où viennent ces informations» et que «même si elles ne concernent à priori qu’une ou deux personnes, on n’a toujours pas trouvé les cas soi-disant concernés». Et de rajouter: «Tout collaborateur sortant peut librement postuler à une place disponible.»
Rien ne va plus chez Migros? Les syndicats estiment que l'image de la Migros comme employeur social modèle «est en train de s'effriter».
Le porte-parole de Migros explique que la «situation actuelle du marché imposait un recentrage sur le cœur d'activités». Mais il l'assure:
«La responsabilité sociale, c'est aussi celle de sortir nos 100 000 salaires et d'assurer nos conditions à long terme dans une activité conforme au marché», assène Tristan Cerf. Il revient sur la figure de Gottlieb Duttweiler:
Et de conclure: