La Suisse va construire des «bunkers pour pendulaires»
Il fut un temps où la petite Suisse rêvait de devenir une puissance nucléaire. Sous l’effet de la guerre froide, le Conseil fédéral avait déclaré, en 1958, que le pays devait se doter de l’arme atomique. Un groupe de travail avait alors remis au gouvernement des plans secrets comprenant l’enrichissement d’uranium et des essais nucléaires sur le territoire suisse.
Tandis que ces ambitions militaires s’effondraient, un autre concept a connu un essor spectaculaire, celui de l'abri atomique pour la population. Conçus dans les années 1960 puis déployés sur tout le territoire, ces bunkers offraient un refuge contre les bombes nucléaires, les attaques chimiques ou biologiques. Ils pouvaient aussi servir de lieux d’accueil d’urgence lors de catastrophes naturelles.
Peu de pays disposent d’une infrastructure aussi développée. Actuellement, on recense en Suisse quelque 370 000 abris de protection civile pour la population. Ils se trouvent soit dans des habitations privées, soit dans des bâtiments publics. S’y ajoutent 1700 sites destinés à la protection civile et aux organes de commandement, ainsi qu’un nombre indéterminé d’installations militaires.
Membre de la direction du Laboratoire de Spiez, le centre de compétence suisse pour la protection contre les menaces nucléaires, biologiques et chimiques, César Metzger explique:
Il ajoute:
Ces règles demeurent en vigueur aujourd’hui. Toute personne qui construit une maison doit prévoir un abri de protection ou verser une contribution compensatoire.
Des contrôles tous les 10 ans pour les bunkers
En général, ces abris se trouvent sous terre, entourés de béton armé et fermés par une ou deux portes blindées. Les parois doivent être assez épaisses pour résister non seulement aux armes conventionnelles, mais aussi à une onde de choc nucléaire d’une pression de 10 tonnes par mètre carré, soit environ un bar.
Un système de ventilation équipé de filtres NBC garantit l’arrivée d’air frais tout en empêchant l’infiltration de retombées radioactives ou de gaz toxiques. Le Laboratoire fédéral de Spiez teste au préalable tous les composants destinés à ces constructions. Par ailleurs, les cantons ont l’obligation de contrôler chaque abri au moins une fois tous les 10 ans.
Problème d'équipement et menace
La Suisse, pourtant connue comme une véritable nation du bunker, se heurte aujourd’hui à plusieurs difficultés. Celles-ci concernent notamment les équipements installés dans ces abris, dont certains ont plusieurs décennies et arrivent en fin de vie. Les joints en caoutchouc des systèmes de filtration deviennent cassants, les lits de camp sont affaissés et même les toilettes sèches présentent des dysfonctionnements.
Pour que ces abris restent opérationnels, une modernisation s’impose d’urgence. Le Conseil fédéral a donc édicté récemment une série de nouvelles directives. Il a aussi relevé le montant de la contribution de remplacement. Désormais, les propriétaires qui ne construisent pas d’abri doivent verser 1400 francs par place au lieu de 800. Cet argent est destiné à financer la construction ou la rénovation de nouvelles installations de protection.
L’offensive du Conseil fédéral répond à un constat inquiétant. La menace nucléaire s’est rapprochée comme jamais depuis la guerre froide. Fin octobre, le président américain Donald Trump a annoncé la reprise d’essais nucléaires – les premiers depuis 33 ans – en réaction au «bruit de sabre» venu du Kremlin. La Russie détient à elle seule quelque 6000 ogives nucléaires.
L’«horloge de l’Apocalypse»
Grâce à la portée considérable des missiles et des ogives modernes, le danger se fait désormais sentir près de la Suisse. César Metzger observe:
Dans le même temps, la tentation de vouloir «appuyer sur le bouton rouge» semble avoir diminué partout dans le monde. L’«horloge de l’Apocalypse», réglée par des scientifiques américains, marque actuellement 89 secondes avant minuit, un record historique de proximité avec la catastrophe nucléaire.
«La mobilité a fortement augmenté ces dernières années. Il faut en tenir compte en cas de crise», souligne César Metzger. L’objectif n’est pas de construire de nouveaux abris, mais de transformer des infrastructures existantes comme des gares, des parkings ou des tunnels. Le Bureau fédéral de la protection de la population doit désormais étudier la faisabilité de ce projet. Ses travaux porteront notamment sur les effets des explosions, l’analyse des flux de mobilité et des simulations de crise.
Il est déjà clair que ces «bunkers pour pendulaires» ne seront qu’une version allégée des abris traditionnels. Ils devront surtout protéger des armes conventionnelles – éclats, débris, ondes de choc – mais pas des effets d’une frappe nucléaire. Une différence qui s’explique par les coûts, car construire de véritables abris atomiques pour les pendulaires serait tout simplement trop onéreux.
Des «protection alternatives»?
La mise en place de ces «installations de protection alternatives», comme les appelle la Confédération, prendra encore plusieurs années. Mais la direction fixée par le gouvernement est claire, la Suisse doit se préparer à une situation d’urgence. La guerre qui se poursuit en Ukraine montre bien, selon lui, «que les conflits armés constituent encore au 21ᵉ siècle une menace bien réelle».
Comme souvent dans son histoire, la Suisse peut compter sur certains atouts géographiques. En cas d’attaque nucléaire, le relief montagneux lui offrirait une certaine protection:
Traduit de l'allemand par Joel Espi
