A Paris, Anne Hidalgo a dû en apporter la preuve en personne: la baignade dans la Seine est sans danger, le fleuve n'est plus un cloaque. Elle a nagé 150 mètres pour faire passer ce message au monde entier. Son action a été très médiatisée: la BBC et CNN ont couvert l'événement en direct. Les épreuves dans la Seine doivent être une réussite des Jeux olympiques.
Mais la grande désillusion a suivi peu après le bain d'Anne Hidalgo. En raison de fortes pluies, l'eau de la Seine s'est transformée en un vrai bouillon. La charge en bactéries – surtout en E. Coli – était trop élevée. Le triathlon olympique masculin a donc dû être reporté d'un jour. Les entraînements de dimanche et de lundi ont dû être annulés.
Les habitants de la Suisse se frottent les yeux d'étonnement. En effet, chez nous, même lorsque la température de l'eau est de 16 degrés, les gens se jettent dans les rivières. Les Bernois, par exemple, accordent une importance mythique à leur Aar, souvent glacée. En été, la descente de la rivière est un must. Mais pas seulement à Berne: à Genève, Zurich ou encore Bâle, la baignade dans le Rhône, la Limmat ou le Rhin est un rituel apprécié en fin de journée lorsqu'il fait chaud.
Se laisser porter par le courant, au milieu de l'agitation urbaine, en passant devant des murs en béton et des immeubles d'habitation, est un culte et indique une certaine qualité de vie. Pourtant, la natation fluviale – devenue un plaisir des foules les jours de grande chaleur – a conservé son charme anarchique et désorganisé. A Bâle, il faut parfois éviter un cargo, à Genève, il faut chercher péniblement les entrées et les sorties, à Berne, il ne faut pas les manquer et à Zurich, il faut se tenir en équilibre sur d'étroites saillies en béton.
La natation en rivière est une histoire à succès helvétique. La Süddeutsche Zeitung vient de publier un article sur l'Isar, dans lequel les Munichois se laissent flotter. Il n'y a que «quelques endroits heureux» où cela est possible en Europe. Des délégations étrangères doivent se faire expliquer ce bonheur, notamment à Berne. Elles se rendent régulièrement sur place pour découvrir comment il est possible de faire flotter en été jusqu'à 5000 personnes dans un cours d'eau tout sauf inoffensif au cœur de la ville.
Certaines conditions doivent être remplies. Premièrement, l'eau des rivières doit être propre. Aujourd'hui, selon l'Office fédéral de l'environnement, la qualité de l'eau de baignade dans les lacs et rivières suisses est considérée comme «très bonne». 97% de tous les sites de baignade analysés obtiennent un résultat suffisant.
Pendant longtemps, ce n'était pas le cas en Suisse. Les rivières, en particulier, étaient utilisées abusivement comme exutoires pour les saletés des citadins et, plus tard, de l'industrie. Ce n'est qu'avec les stations d'épuration modernes, à la fin des années 1980, que la natation en rivière, par exemple à Bâle, est redevenue aussi populaire qu'au 16e siècle – à l'époque pour des raisons d'hygiène et de sport.
Deuxièmement, les autorités doivent tolérer la baignade en rivière. Pendant longtemps, il n'était pas conforme aux mœurs et à la morale de se baigner en public, et encore moins de mélanger les hommes et les femmes. Certaines piscines réservées aux femmes, à Zurich par exemple, témoignent encore aujourd'hui de cette conception de la morale.
Si la natation urbaine est autorisée, elle est également encouragée au niveau de la construction – par exemple par la rénovation des promenades sur les rives ou par la construction d'escaliers menant à la rivière. Des bancs, des douches ou des casiers ont également contribué à rendre la vie dans et autour des rivières encore plus dynamique.
La baignade en rivière est un luxe dont on ne peut que rêver dans les autres pays. A Paris, par exemple, elle est interdite depuis plus d'un siècle. Pour qu'elle soit possible et autorisée pour tous – avec les Jeux olympiques en prélude –, la ville et l'Etat français ont investi près d'un milliard et demi d'euros.
Cet argent a notamment servi à construire des stations d'épuration et un grand bassin de stockage qui recueille l'eau excédentaire en cas de fortes pluies. Celle-ci s'écoule en effet avec les eaux usées dans les mêmes égouts. S'il pleut trop, les égouts débordent et les eaux usées se retrouvent dans la Seine.
A New York non plus, personne ne se jette volontairement dans l'Hudson, et seuls les Londoniens les plus endurcis oseraient mettre plus d'un pied dans la Tamise, même si son état est loin d'être aussi tristement célèbre qu'en 1858. A l'époque, elle avait reçu le nom de «Great Stink» (grande puanteur) à cause de la quantité d'eaux usées déversées, qui dégageaient une odeur insupportable en raison du temps chaud de cette année-là.
Traduit et adapté de l'allemand par Tanja Maeder