Le voici, celui qui doit concrétiser le projet le plus futuriste du pays. Certains le considèrent comme une vue de l'esprit, d'autres comme une utopie. Mais ce projet ne plane pas haut dans le ciel, il s'ancre plutôt bien profond dans la terre puisqu'il s'agit d'une ligne de fret souterraine à travers la Suisse, financée par le secteur privé à hauteur de plus de 30 milliards: le Cargo sous terrain (CST). Un projet presque deux fois plus cher que la NLFA, la Nouvelle ligne ferroviaire à travers les Alpes.
Christian Späth, 56 ans, se dirige d'un pas ferme vers une salle de réunion. Il n'a rien d'Elon Musk, ni de quelqu'un qui veut changer le monde. Grand, vêtu d'une chemise claire, d'une veste sombre un peu longue et de lunettes rondes à fine monture. On le verrait plutôt à l'Office fédéral des transports que dans une start-up qui veut révolutionner les infrastructures helvétiques. On en achèterait, des choses, à cet homme sérieux. Mais est-ce qu'on lui prendrait aussi ce fameux «Cargo sous terrain», ou CST?
Christian Späth a commencé début octobre et se trouve face à une montagne de problèmes. Crédit Suisse compte parmi les principaux actionnaires. La banque a été fondée autrefois par Alfred Escher et a financé en grande partie ses plans ferroviaires, alors inédits, sur lesquels les CFF se sont basés. C'est dans cet esprit d'innovation que l'ingénieur civil et les têtes pensantes de la CST s'imaginent. Ils ont peut-être un autre point commun avec la grande banque: ils pourraient manquer d'argent.
Christian Späth doit en quelque sorte relancer la machine après les gros titres négatifs et les licenciements de l'été. Il a oeuvré pendant plus de dix ans chez Implenia, où il était en dernier lieu responsable du génie civil. Sa tâche la plus importante, selon lui?
Jusqu'à présent, seule la phase de développement et de planification a été financée. Pour ça, les onze actionnaires principaux, dont Coop, Migros, la Poste, Swisscom et la Banque cantonale de Zurich ainsi que des acteurs plus petits, ont injecté 140 millions de francs. Cette somme fait vivre 28 collaborateurs, dont des ingénieurs et des spécialistes en informatique et en logistique, basés à Olten (SO).
140 millions, des cacahuètes comparé avec les sommes encore dues. Selon les estimations actuelles, il faudra plus de trois milliards pour le premier tronçon, prévu de Härkingen (SO) à Zurich. L'extension finale avec un réseau de Saint-Gall à Genève et une ligne vers Bâle engloutirait, elle, 35 milliards de francs.
L'idée de base du CST a de quoi séduire: transporter les marchandises dans des tubes souterrains à une vitesse d'environ 30 kilomètres par heure entre les centres urbains du pays. Grâce à ce système, les marchandises ne circulent pas depuis les centres logistiques uniquement lorsqu'un camion ou un train est plein, mais en continu. Elles n'arrivent pas dans les embouteillages et ne provoquent pas de trafic, mais économisent des trajets en camion – un avantage également pour l'environnement.
Le système pourrait être utilisé pour presque tout ce qui tient sur une palette – des vêtements et de l'électronique aux denrées alimentaires en passant par les objets du quotidien.
Comme les 100 millions de capital de départ exigés par la Confédération ont été réunis, celle-ci a créé en 2021 la première base légale pour ce projet pionnier avec la loi fédérale sur le transport souterrain de marchandises. C'est ensuite que les problèmes ont débuté. En effet, pour l'aménagement concret, il faut qu'un plan sectoriel de la Confédération passe à l'enquête publique. Les bases que CST a élaborées à cet effet lui ont valu de sévères critiques.
La ville de Zurich ne mâche particulièrement pas ses mots. La plupart des documents ne remplissent même pas les exigences légales, affirmait-elle au printemps. Elle critique les trois sites prévus pour le hub en ville, notamment parce qu'ils se situent dans des zones résidentielles où il ne serait pas envisageable de rajouter du trafic. En effet, si Cargo Sous Terrain réduit le nombre de camions sur les autoroutes à l'extérieur de la ville, les colis remontent à la surface et doivent tout de même être distribués. Le CST n'entraînerait ainsi qu'une réduction du trafic de moins de 1% en ville de Zurich, selon les calculs de cette dernière.
Le Canton a également conclu que l'approche était prometteuse, mais que plusieurs conditions n'étaient «pas remplies». Il l'a fait savoir à la Confédération. La prise de position des autorités argoviennes allait dans le même sens: il existe encore «diverses réserves fondamentales ainsi que des incertitudes ou un malaise».
Christian Späth ne se laisse pas décourager pour autant. «La Suisse a prouvé à maintes reprises qu'elle pouvait mettre en œuvre de tels projets», dit-il. Il ne veut plus donner de calendrier précis.
Il réfléchit désormais à des échéances plus petites. Il travaille à ce que le Conseil fédéral fixe le plan sectoriel dans le résultat intermédiaire de l'an prochain. L'ouverture du premier tronçon, initialement annoncée pour 2031, est repoussée.
Ce que cache ce retard, ce sont les nombreuses étapes de la procédure menées en parallèle, estime l'ingénieur.
Mais les processus de décision de la démocratie directe fonctionnent différemment. Les examens et les retours d'analyse s'enchaînent, instance après instance. Tout cela entre ensuite dans la suite de la planification.
Le représentant d'un office impliqué affirme que la qualité des documents était en partie insuffisante, probablement aussi en raison de la procédure choisie par le CST. Ce qui importe, c'est la faisabilité technique et non la faisabilité politique. Pour relier deux sites zurichois, Cargo Sous Terrain a par exemple proposé l'option de construire des tubes de transport de plusieurs mètres de diamètre sur l'ensemble de la voie - «un projet qui n'a presque aucune chance».
Le responsable souhaite maintenant adapter la procédure à ce qui se fait habituellement. Au cours des prochains mois, il entend mener des discussions avec les autorités et les partenaires potentiels et trouver des compromis. L'ensemble du projet sera en outre soumis à un contrôle de réalisme. Pour les hubs de Zurich, par exemple, il faudra revoir les comptes et montrer plus précisément à la ville comment elle peut en profiter.
Il apparaît en outre qu'une sorte de tapis roulant pourrait remplacer les véhicules autonomes envisagés jusqu'ici. Christian Späth examinera aussi la possibilité de poser des tubes dans le sol du tunnel pour le transport du CO2 produit par exemple par les usines d'incinération des ordures ménagères. Il pourrait être expédié en Scandinavie via Bâle et y être stocké dans le sol - un procédé appelé «captage du CO2», déjà pratiqué.
Voilà qui permettra d'engranger l'expérience nécessaire pour la phase suivante, au cours de laquelle les questions juridiques deviendront centrales. Mais le responsable doit tout de même respecter un calendrier. Sans recettes significatives, Cargo Sous Terrain dépenserait actuellement entre cinq et huit millions de francs par an. Späth ne commente pas ce chiffre. Mais dans quelques années, tout doit être prêt pour lancer le chantier. Faute de quoi, les caisses seront vides et il ne servira alors plus à rien de trouver des partenaires financiers pour le chantier.
L'Alémanique croit dur comme fer à ce «projet pionnier». Il est convaincu qu'il existe un modèle commercial viable. «Ce que nous voulons construire n'existe encore nulle part ailleurs», déclare-t-il.
(Adaptation française: Valentine Zenker)