C'est la phrase que l'on a souvent entendue depuis le début de la guerre d'invasion russe en Ukraine: «Vladimir Poutine a déjà perdu», a déclaré Joe Biden pour la dernière fois en juillet. Le président américain ne faisait pas tant référence à la situation militaire, dans laquelle la Russie et l'Ukraine se livrent actuellement une sanglante guerre, mais plutôt Poutine en personne, qui a dû payer un prix si élevé qu'il est d'ores et déjà donné perdant.
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Pour le Kremlin, l'annexion de l'Ukraine devait être une première étape dans la reconstruction d'un empire russe. Poutine voulait démontrer que la Russie était prête, avec la Chine, à jouer un rôle de leader dans un nouvel ordre international multipolaire.
Mais tout ne s'est pas passé comme l'avait souhaité le chef du Kremlin. L'armée ukrainienne et son soutien occidental se sont montrés plus résistants que prévu à Moscou. La Russie, en revanche, est affaiblie et s'accroche de toutes ses forces aux territoires de l'est de l'Ukraine qui ont déjà été conquis.
Poutine a donc commis une erreur de jugement. Le coût pour la Russie et l'élite politique s'avère si élevé qu'il doit redouter les conséquences finales: des pertes humaines considérables, des sanctions occidentales frappant l'économie russe, et l'isolement international de la clique dirigeante du Kremlin.
Pour l'Occident et l'Ukraine, ce ne sont toutefois pas que de bonnes nouvelles, car ces arguments justifient aussi le fait que Poutine fasse durer la guerre.
C'est aussi pour cette raison que les experts en sécurité et les diplomates occidentaux s'accordent à dire qu'une négociation de paix en Ukraine n'est pas encore possible. «La paix est un bien grand mot, car il faudrait d'abord que l'Ukraine et la Russie s'entendent sur un cessez-le-feu et que les combats cessent», a déclaré l'expert en sécurité Christian Mölling dans une interview accordée à t-online début août.
On l'a vu récemment lors du sommet de paix en Arabie saoudite, où le plan de paix du président ukrainien Volodymyr Zelensky a été discuté sans la Russie. La rencontre n'a certes pas eu de résultats visibles, mais l'Ukraine a pu approfondir ses discussions avec des pays comme la Chine. La formule de paix ukrainienne repose sur 4 points:
Si les 40 Etats participants s'accordent sur ces arguments, la Russie rejette en revanche la formule. Il n'y a actuellement «aucune base pour un accord», a déclaré le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, au New York Times dimanche.
La déclaration de Peskov peut néanmoins être interprétée comme un signe que les dirigeants russes sont de plus en plus sous pression. Et Poutine sait que même la Chine s'est prononcée en faveur de l'intégrité du territoire ukrainien. Ce qui devient un problème pour le Kremlin.
Car en Russie aussi, la guerre de Poutine sera naturellement jugée à l'aune de ce qu'elle aura réellement apporté au pays. La Russie semble trop faible sur le plan militaire pour conquérir l'ensemble du pays. Même la séparation de l'Ukraine de la mer Noire est probablement impossible. Au contraire, les soldats russes s'enterrent sur les lignes de front et espèrent que l'armée ukrainienne ne parviendra pas à percer les lignes de défense.
Pour l'instant, la Russie peut tenir la plupart des territoires conquis. Mais en perspective, la situation est fatale à Poutine, qui se trouve face à un constat d'échec. Si un état des lieux de la situation actuelle devait être fait, voici ce qui en ressortirait d'un point de vue russe:
En somme, c'est un grand dilemme pour Poutine, qui n'a pas de bonnes options. Son armée a subi de grandes pertes dans cette guerre, de nombreux soldats russes sont tombés, beaucoup de matériel de guerre a été détruit et doit maintenant être renouvelé. Ce qui augmente la pression – déjà forte – sur les dirigeants russes pour qu'ils réussissent.
Mais les investissements dans cette guerre d'agression ont été si importants du côté russe qu'à Moscou, ce n'est pas seulement un calcul coût/bénéfice qui détermine si elle doit être poursuivie. Après les nombreux échecs russes, il en va désormais aussi du pouvoir de Poutine.
Les dynamiques de guerre sont devenues une menace sérieuse pour le régime russe. Les défaites font naître des doutes sur la sagesse et la compétence des dirigeants et un échec peut entraîner la chute d'un gouvernement. C'est d'ailleurs souvent la raison pour laquelle les gouvernements continuent à faire la guerre: l'aveu d'une défaite pourrait rendre plus difficile le maintien au pouvoir.
Et cela semble également s'appliquer à Poutine. «Il a exigé beaucoup de sacrifices de la part de la population russe, mais aussi des élites russes. Non seulement de nombreux soldats russes sont morts, mais la guerre d'invasion a également coûté beaucoup d'argent et de ressources aux élites», estime Mölling.
Pour échapper au règlement de compte final, Poutine doit donc continuer à se battre. Le président russe espère probablement que le soutien militaire de l'Occident à l'Ukraine finira par s'estomper. Mais ce n'est pas la seule chose qu'il espère. Les élections américaines de 2024 auront certainement un impact plus ou moins direct sur la guerre, si cette dernière n'est pas terminée. Si le prochain président des Etats-Unis ne s'intéresse pas à l'Ukraine, la Russie pourrait alors faire valoir sa supériorité industrielle en matière d'armement par rapport à l'Ukraine et peut-être gagner cette guerre.
Ce qui n'est pas chose possible pour le président russe actuellement. Si Poutine acceptait un cessez-le-feu sur la base du déroulement actuel du front, cela réduirait la menace pour la Crimée et permettrait à la Russie d'occuper une partie encore considérable du territoire ukrainien. Ce qui confirmerait toutefois qu'aucun des objectifs de Poutine n'a été atteint. Certes, les médias d'Etat russes pourraient malgré tout promouvoir cela comme une victoire, mais cela pourrait aggraver la frustration parmi les élites russes.
«Poutine le fait avec de la propagande et avec violence», explique Mölling à t-online. Le chef du Kremlin doit craindre que le règlement de sa guerre en Russie intervienne avant la fin du conflit proprement dit. Il prépare déjà le terrain pour se décharger de toute responsabilité. Ainsi, des généraux russes sont régulièrement limogés et la propagande russe dresse un tableau idéologique d'une lutte contre l'Otan. Mais ces tentatives d'expliquer l'échec semblent plutôt impuissantes.
Une conclusion qui donne de l'espoir à l'Ukraine. Toutes les tendances — militaires, économiques, diplomatiques — pointent dans la mauvaise direction pour Poutine, et le Kremlin ne semble pas avoir de plan convaincant pour sauver la situation. La facture pour Poutine arrivera, la seule question est de savoir à quel moment.
Traduit et adapté par Noëline Flippe