Ce fut une surprise réussie. Le voyage de Volodymyr Zelensky à Washington - son premier à l'étranger depuis le début de la guerre - était totalement inattendu. Et il n'est resté qu'une demi-journée environ. Mais on ne saurait sous-estimer la force symbolique de cette courte visite. Elle a été un signal non seulement pour les Etats-Unis, mais aussi pour le monde entier.
Le président ukrainien poursuivait deux objectifs. D'une part, il voulait s'assurer la poursuite du soutien de l'Occident contre l'agresseur russe. Car la guerre n'est pas terminée malgré les succès remarquables des Ukrainiens. Et d'autre part, il a souligné la volonté de persévérer de son peuple, qui souffre de la terreur des missiles et des drones.
Le même jour, quelques heures auparavant, l'antipode de Zelensky, Vladimir Poutine s'était, lui aussi, adressé au public. Le maître du Kremlin ne s'était pas beaucoup exprimé en public depuis les défaites de ces derniers temps. Le président russe a pris la parole lors d'une réunion du ministère de la Défense à Moscou, retransmise à la télévision.
Le contraste ne pouvait guère être plus grand. Les apparitions de Zelensky à Washington aux côtés du président Joe Biden et son discours devant le Congrès ont été l'expression de sa détermination et de sa persévérance. De son côté, Poutine a tenté de décrire le déroulement de la guerre comme un succès. En réalité, son discours était empreint de perplexité et de slogans de persévérance.
Pour Volodymyr Zelensky, l'enjeu était de taille. A partir de janvier, les républicains auront une courte majorité à la Chambre des représentants. Le nouveau Speaker, le républicain Kevin McCarthy est un partisan de l'aide militaire et financière à l'Ukraine. Mais il est sous la pression des trumpistes, qui veulent réduire ou stopper complètement les fonds.
La réponse du président ukrainien a été souveraine.
«Le courage ukrainien et la détermination américaine» doivent garantir l'avenir de la liberté.
Devant le congrès, l'ancien comédien Zelensky a fait feu de tout bois, avec humour et des gestes forts comme la remise d'un drapeau ukrainien de Bakhmout signé par des soldats. Le président s'était rendu mardi dans la ville de la ligne de front, disputée depuis des mois, la veille de son voyage aux Etats-Unis.
Vladimir Poutine, lui, ne s'est jamais rendu sur le front depuis le début de la guerre en février. Au Kremlin, on pensait que la guerre durerait au maximum trois jours. Aujourd'hui, il y en a plus de 300 et la fin n'est pas en vue. Faute de succès sur le champ de bataille, les Russes se sont contentés ces derniers temps de s'attaquer à l'approvisionnement énergétique ukrainien.
Lundi, Poutine s'est rendu en Biélorussie pour la première fois depuis trois ans. Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, avait déjà démenti au préalable les spéculations selon lesquelles il voulait convaincre l'ami dictateur Alexandre Loukachenko d'entrer en guerre. Loukachenko est certes entièrement dépendant de Moscou, mais la guerre est extrêmement impopulaire au sein de son peuple.
Poutine est reparti les mains vides, et n'avait pas grand-chose à annoncer dans son discours de mercredi. «Je suis sûr que nous atteindrons tous nos objectifs», a affirmé le chef du Kremlin avec beaucoup d'assurance. Il a ajouté qu'il n'y avait «aucune restriction financière» pour le réarmement de l'armée. Indirectement, il a dû reconnaître que les drones, notamment, constituaient un point faible pour la Russie.
Au final, la seule annonce de Poutine fut l'augmentation des effectifs de l'armée à 1,5 million d'hommes. On ne sait pas d'où proviendront les 350 000 hommes supplémentaires. Car en réalité, le Kremlin avait déclaré que la mobilisation partielle ordonnée en septembre était terminée.
Dans le même temps, Vladimir Poutine a souligné qu'il ne devait pas y avoir d'«économie de guerre» en Russie, ce qui serait préjudiciable au pays. Il s'agissait d'une tentative évidente de faire croire à la normalité du peuple russe. Pourtant, Poutine avait lui-même déchiré, avec la mobilisation partielle, le contrat non écrit qui disait en gros: vous nous laissez tranquilles et nous vous laissons tranquilles.
Depuis le début de la guerre, jusqu'à un million de personnes auraient fui la Russie. Beaucoup d'entre elles sont bien formées. Ainsi, près de 100 000 spécialistes en informatique auraient quitté le pays. La pénurie de main-d'œuvre qualifiée, aggravée par la mobilisation, pèse sur l'économie russe en plus des sanctions qui déploient de plus en plus leurs effets.
Cela nuit non seulement au moral des soldats, mais aussi à celui de la population. L'enthousiasme pour la guerre, qui n'a jamais été particulièrement prononcé en Russie, diminue. C'est ce que montrent des sondages commandés par le Kremlin et divulgués au portail d'information de l'opposition Meduza.
Officiellement, la guerre continue d'être qualifiée d'«opération militaire spéciale». Les experts doutent que la Russie ait les capacités de mener une offensive de grande envergure, contre laquelle le haut commandement ukrainien met en garde. En effet, l'armée russe renforce en premier lieu ses lignes de défense dans les territoires occupés, ce qui ne plaide pas pour une attaque imminente.
Faute d'autres options, la Russie tente de bombarder l'Ukraine pour la plonger dans le froid et l'obscurité. Cela pèse lourdement sur la population, mais sa volonté de tenir bon est impressionnante. L'intervention de Volodymyr Zelensky à Washington en a été le révélateur: le président ukrainien agit alors que Poutine brasse de l'air.