Voilà des semaines que les médias faisaient miroiter à Donald Trump une invitation dans le château écossais de son bon copain Charles III. Chose promise, chose due. Le premier ministre Keir Starmer n'a pas manqué de la glisser dans ses valises, lors de sa visite à Washington, il y a dix jours. Une invitation présentée avec toute la fierté et le cérémoniel requis, et qui n'a pas manqué sa cible: l'ego du président américain.
Rien de tel pour apaiser la fougue du géant orange américain et le convaincre de se tenir à carreau qu'une missive royale signée du roi d'Angleterre. Un «homme merveilleux» avec lequel Trump entretient une correspondance écrite régulière depuis plusieurs années.
La bonne humeur de Donald Trump fût de courte durée. Le lendemain, le chef d'Etat américain et son vice-président JD Vance recevaient Volodymr Zelensky dans le Bureau ovale, pour une séance d'humiliation publique qui restera probablement gravée dans les livres d'Histoire.
Ne restait plus au président ukrainien qu'à rentrer chez lui, en Europe, panser ses plaies et sécher ses larmes. Non sans un petit détour chez son allié britannique, pour un sommet européen et une rencontre avec le premier ministre Keir Starmer, suivi d'une autre avec Charles III.
Rien de tel qu'un bon thé près de la cheminée de la résidence de campagne privée du souverain, à Sandringham, dans le Norfolk, pour se remonter le moral.
Même si des sources du gouvernement britannique se sont empressées d'affirmer que l'épisode du Bureau ovale et la rencontre entre Charles et Zelensky n'avaient aucun lien, il n'empêche. Le timing de cette rencontre laissait penser à une véritable démonstration de solidarité de la part du monarque britannique, envers le président ukrainien.
Puis c'est au tour d'une autre cible privilégiée de Donald Trump, le premier ministre canadien démissionnaire Justin Trudeau, de venir goûter aux plaisirs de la campagne anglaise et à la compagnie de Charles III. Le roi et l'ex-chef d'Etat se sont entretenus chez lui le 3 mars. Entre les scones et les sandwichs, les tarifs douaniers paralysants infligés par Donald Trump à son voisin du Nord ont été évidemment posés sur la table. Justin Trudeau l'a confirmé lui-même.
L'avenir et l'indépendance du Canada: une question qui concerne forcément Charles III, lui qui est également chef de l'Etat de ce pays du Commonwealth.
«Bien sûr, il sait qu’il doit garder à l’esprit qu’il est à la fois chef d’Etat du Royaume-Uni et chef d’Etat du Canada, ainsi que chef du Commonwealth. Cela nécessite une diplomatie délicate, étant donné que les intérêts de tous ne sont pas alignés», glisse une source proche de Charles dans le Sunday Times.
C'est peu de dire que le monarque britannique de 76 ans s'est retrouvé empêtré au milieu de la scène politique mondiale, ces derniers jours. Un exercice qui comporte son lot de risques, étant donné que Charles est tenu par la Constitution de se tenir à l'écart de la politique - la survie de la monarchie elle-même en dépend.
«Ce furent six jours de diplomatie royale des plus délicates, réfléchies et nuancées», confirme une source royale, au Times. «Sa Majesté est très consciente de sa responsabilité à l’échelle mondiale, régionale et nationale – et s’est impliquée avec passion dans tous les détails»
Véritable atout pour le gouvernement britannique, la popularité des Windsor leur confère un pouvoir diplomatique depuis des années. Et la famille royale semble enfin prête à renouer avec ce rôle de soft power. «Il y a un regain d'intérêt et d'impérativité pour le rôle que l'institution a joué pendant de nombreuses années», atteste un collaborateur du palais dans le Times. «C'est ça, le soft power. C'est le rôle que (Charles) peut jouer en géopolitique sans outrepasser les conseils du gouvernement.»
Au milieu de ce climat géopolitique et international mouvementé, instable et tendu, Charles III se retrouve donc propulsé dans un rôle inattendu: stabilisateur.
Mais sa mission va bien au-delà d'un simple «pacificateur» (le terme est de lui, lors d'une interview en 2020) dans la crise entre Donald Trump et Volodymyr Zelensky. Selon des sources proches du souverain, son rôle actuel se porte sur trois volets: construire des ponts avec l’Amérique, afficher un soutien continu de l’Europe à l’Ukraine et, enfin et surtout, soutenir les royaumes du Commonwealth.
Preuve qu'on ne fait pas d'omelettes sans casser des oeufs, le soutien affiché à Volodymyr Zelensky par Charles III n'aurait pas manqué de froisser Donald Trump. Le président américain, qui porte la famille royale en haute estime, se sentirait désormais «moins spécial», selon ses alliés dans le Daily Mail.
D'autres sources du 10, Downing Street ont nié que la rencontre royale ait provoqué quelques tensions que ce soit. Au contraire, le premier ministre Keir Starmer et Donald Trump seraient en contact direct sur leurs portables respectifs - un «engagement positif», décrivent des sources britanniques.
«Nous ne reconnaissons pas ces informations. Nous avons été sans équivoque sur l'importance des Etats-Unis en tant qu'allié du Royaume-Uni», a objecté un porte-parole du gouvernement au Mail, lorsque le tabloïd a émis l'idée que Donald Trump était en train de «bouder». «Nous continuerons à travailler main dans la main et sommes impatients d’accueillir le président Trump.»
Fidèle à lui-même, le palais de Buckingham a quant à lui refusé de confirmer le contenu des audiences privées. Ni même si le roi a échangé avec Donald Trump, depuis l'envoi de son carton d'invitation livré par Keir Starmer.
Quoi qu'il en soit, Charles, toujours en plein traitement contre un cancer entamé il y a un an, semble fin prêt à suivre les traces de la défunte reine. Plus décidé que jamais à embrasser un rôle diplomatique dans cette période historique cruciale. Quitte à se casser la figure. Le funambulisme est un exercice périlleux - en particulier pour un monarque de 76 ans, aussi motivé soit-il.