Fin 2020, alors que Joe Biden vient fraîchement d'être élu président des Etats-Unis, tout le monde se prépare à fourguer Donald Trump dans les oubliettes de l'Histoire. Tout le monde? Presque.
Car, en toute discrétion, le roi d'Angleterre Charles III prend soin de maintenir le lien et sa correspondance personnelle avec l'ancien président, en lui faisant parvenir de temps en temps une missive manuscrite, pour «le plus grand plaisir de Donald Trump et de son épouse Melania». Des lettres qu'il attend avec «impatience», flatté de cette attention.
N'y voyez pas d'accointances politiques particulières de la part du monarque. Pour les Windsor, la correspondance est un geste naturel et nécessaire. Un héritage de la défunte reine, qui s'était fait une spécialité de bichonner ses relations à vie avec les présidents américains - 13 au total, au cours de ses 70 ans de règne. Elle en avait fait un pilier de la politique étrangère britannique.
Si le 47e président entretient des liens cordiaux avec le roi d'Angleterre depuis des décennies, on ne peut pas dire qu'il en soit autant du Royaume-Uni et des Etats-Unis, dont la relation a été mise à mal par plusieurs «bévues» diplomatiques ces derniers mois.
A commencer par les critiques de plusieurs personnalités éminentes du parti du premier ministre travailliste, Keir Starmer. Pour ne citer que lui: le tout nouvel ambassadeur britannique aux Etats-Unis, Lord Mandelson, qui a démarré son mandat en s'excusant platement pour avoir décrit Donald Trump comme un «danger pour le monde» et un «presque-nationaliste blanc et raciste». La nomination de cet «idiot», selon les mots de Chris LaCivita, l’un des plus proches collaborateurs de la campagne Trump, a fait bondir l'administration.
Pour ce qui est des liens personnels entre le président Donald Trump et Sir Keir Starmer, difficile de trouver compagnons de route plus différents. Un promoteur immobilier américain, populiste et fondateur d'un mouvement MAGA à son image. Un ancien procureur d’Etat britannique, réputé pour son esprit procédurier, son respect des règles et son style modéré.
Le contraste n'a pas empêché Donald Trump d'affirmer «avoir une très bonne relation» avec son homologue, qu'il «aime beaucoup». Lors d'un appel téléphonique détendu en décembre dernier, leurs sujets abordés allaient du parcours de golf de Donald Trump en Ecosse, à son admiration pour la barbe «moderne» du prince William, en passant par son «obsession» pour le nombre d’oiseaux tués par les éoliennes.
Malgré une longue liste de faux pas diplomatiques «qui n'auraient pas dû se produire», selon Washington, il semblerait que Keir Starmer ait été reçu de manière conviviale par Donald Trump, ce jeudi. «Le plus important, à l'heure actuelle, est de trouver comment s'assurer que la relation ne dérape pas et d'essayer de réparer une partie des dégâts», glisse une source proche de la Maison-Blanche dans le Daily Telegraph.
En effet. Pour préserver la relation si «spéciale» entre le Royaume-Uni et les Etats-Unis et adoucir une atmosphère pour le moins tendue, les Windsor sont attendus au tournant. Prêts à être déployés dans rien de moins que «la mission de soft power la plus importante du 21e siècle», selon le quotidien britannique conservateur.
L'idée n'a rien de fantasque. Car l'affection que voue Donald Trump à la monarchie britannique, qu'il a hérité de sa mère écossaise et grande fan d'Elizabeth II, n'est plus à démontrer. Pour l'anecdote, le président conserverait un album photo de ses rencontres avec la défunte monarque et sa progéniture, à bord de son avion.
Selon Ed Owens, historien royal, c'est l'aura de la famille royale et l'autorité «traditionnelle» qu'elle dégage qui attire Donald Trump telle une mouche le miel. «Ils font partie des personnes les plus connues au monde et il aimerait penser qu'il est la personne la plus connue au monde», poursuit l'expert sur CNN.
C'est tout particulièrement le cas de Kate et William, qu'il perçoit comme «l'avenir et le jeune couple glamour de la monarchie». «Nous serions fous de ne pas en profiter», confie à ce sujet une source de Whitehall.
Pour William, tous les feux sont au vert. Lui qui exerce désormais une influence «vraiment puissante et vraiment importante» sur l’avenir de cette «relation spéciale», il serait «ravi» de se lancer dans une offensive de charme royal.
Le prince «réalise le rôle important que lui et sa famille jouent», renchérit une source du palais au Telegraph. «Il est important que nous ne soyons pas impliqués dans la politique quotidienne, mais lorsque le moment est venu et que le gouvernement de Sa Majesté demande de l'aide, le prince est heureux de jouer son rôle et de soutenir là où c'est nécessaire.»
Comme pour le premier ministre Keith Starmer, le coup de foudre entre le prince britannique de 42 ans et le président américain de 78 ans n'a rien d'une évidence. Alors que la politique énergétique de Donald Trump se résume à «forer bébé, forer», annuler l'interdiction des pailles en plastique tueuses de tortue et la construction d'éoliennes sur son territoire, le prince et son père Charles III ont placé la lutte contre le changement climatique au cœur de leurs patronages.
Et pourtant. Lors de leur rencontre en décembre, à l'occasion de la réouverture de la cathédrale Notre-Dame en décembre, la conversation entre Donald et William semble avoir été plus que fluide: elle s'est révélée carrément «chaleureuse».
Et, c'est assez rare pour le souligner, le président américain n'a pas tari d'éloges après ce moment avec le prince de Galles: «un homme bon», «vraiment très beau» et qui «fait un travail fantastique».
Des compliments qui ont dû faire tourner le sang du pauvre prince Harry, cible de la colère et de plusieurs attaques du président américain depuis son départ pour les Etats-Unis avec sa femme Meghan, en 2020.
Leurs opinions divergentes sur le climat n'empêcheront pas les membres de la famille royale de poursuivre leur opération séduction. «Je ne pense pas que le roi va abandonner, il va continuer à souligner l'importance de l'action climatique», spécule l'historien royal Ed Owens. «Mais il le fera avec délicatesse. Il sait qu’il n’a aucun rôle sérieux à jouer dans la politique américaine».
«Le roi, en restant un maître diplomate, trouvera un moyen de faire fonctionner cette relation et de la développer», abonde le journaliste de CNN, Max Foster.
Désormais, les spéculations se multiplient sur le fait que Keith Starmer aurait glissé dans ses bagages un cadeau spécial pour flatter Donald Trump: une invitation pour une visite d'Etat au château de Balmoral, la résidence d'été de la famille royale, l'an prochain.
Reste à savoir si Donald Trump pourrait devenir le tout premier dirigeant élu à se voir offrir deux visites d’Etat. La dernière date de 2019. Elle a été précédée d'une première visite plus «officieuse» en 2018 - qui ne compte pas vraiment, car elle n'avait pas impliqué tout le cérémonial habituel, banquet, défilé militaire, parades à cheval et grands discours. Un attirail qui implique une organisation démente. Plusieurs officiels assurent qu'une telle invitation ne sera pas possible avant la fin du mandat, dans quatre ans.
Dans tous les cas, l'invitation a de quoi poser des questions. Pourquoi accorder un tel gage d'importance à l'un des chefs d'Etat les plus controversés de mémoire moderne, dont la définition de démocratie est très... relative? En particulier de la part d'une institution censée rester à l'écart de la politique? A ce sujet, plusieurs officiels tiennent à se justifier.
Autre possibilité pour le gouvernement britannique? Déployer le prince et la princesse de Galles aux Etats-Unis, un peu plus tard au cours du mandat Trump, ce qui pourrait motiver l'impétueux président à se tenir tranquille et à préserver ses relations avec le Royaume-Uni dans l'intervalle. La proposition paraît d'autant plus alléchante que 2026 marque le 250e anniversaire de l'indépendance américaine.
Et comme en diplomatie, tout est transactionnel, cette visite ne serait pas dénuée d'intérêt pour Kate et William, qui n'ont pas effectué de tournée officielle en Amérique depuis 2011 - et où ils sont aussi populaires qu'attendus. Ils apporteraient un «facteur glamour et de nouveauté», souligne Sally Bedell Smith, historienne royale basée aux Etats-Unis.
Aussi incomparable que difficile à quantifier, le «soft power» de la famille royale britannique est à nouveau sur le point de démontrer son utilité.