Nous les avions laissés il y a quelques mois, par une belle et froide journée du mois de mars, dans un restaurant un poil perdu du canton de Vaud. Depuis, Alé de Basseville et sa femme, l'architecte et ancienne mannequin Egla Harxhi, n'ont pas chômé.
Lorsque nous nous téléphonons mi-juillet, l'artiste au kilt légendaire revient tout juste d'un voyage de plusieurs semaines en Chine. Un pays où sa notoriété est bien implantée depuis une vingtaine d'années. A l'époque, ses œuvres et celles de ses collègues, Jean-Michel Basquiat et Andy Warhol, se retrouvaient vendues par le Metropolitan Museum - sans autorisation - à plusieurs acheteurs chinois.
Alé de Basseville vient d'inaugurer sa dernière exposition au musée d'art Songyang de Guangzhou. De cette mégapole de 18 millions d'habitants, il retient l'énergie, la démesure et l'avance de la mégapole sur une Europe «vieillissante» et «aigrie».
Mais c'est un autre projet inédit que le bien surnommé «prince viking» est sur le point de lancer avec sa moitié et une équipe de sept personnes: transformer et réinterpréter une collection entière de ses œuvres, toutes issues ou dérivées du célèbre shooting de Melania Trump nue de 1996, dans la blockchain. Une manière de les faire entrer dans «l'éternité».
L'idée d'inscrire l'œuvre d'Alé dans la blockchain date d'il y a quelques années déjà. «Elle a émergé en avril 2022, lors d’un dîner entre Alé et son ami Ronen, développeur et créateur de son site internet», explique à watson la compagne de l'artiste, Egla Harxhi.
Mais Alé de Basseville n'est pas convaincu. La blockchain, les cryptos, les systèmes financiers: c'est un monde qu'il connait, mais qui ne lui inspire aucune confiance. «Pour lui, les NFT, c'était déjà devenue une bulle spéculative», explique sa femme. «Il voulait que ça reste vrai. Profond. Libre.»
La curiosité piquée au vif, l'architecte commence toutefois à creuser de son côté. «Très vite, j’ai compris que si on voulait faire quelque chose avec du sens, il fallait que ce soit radicalement différent de ce que proposait habituellement l’écosystème NFT et surtout, que ce soit humainement solide», nous détaille Egla Harxhi.
Elle s'entoure, écoute, compare, se renseigne. Puis, accompagné de George, cousin d’Alé et ancien militaire, elle contacte développeurs et plateformes. «On a exploré plein de pistes: ventes, metaverses, collections 'premium' mais tout sonnait faux. Trop gadget. Trop court-termiste», poursuit-elle.
Avant de tomber, finalement, sur l'équipe du Sovereign Archive. «Et là, tout s’est aligné.»
Les contours du projet se précisent. Inscrire sur la blockchain 13 œuvres uniques et une pièce maîtresse d’Alé de Basseville, toutes issues ou dérivées de son archive photographique. Certaines réinterprétées, d’autres complètement transformées.
Au départ, l'artiste observe sa femme mener ce projet de plusieurs années avec un certain détachement. «Il m'a répété 1000 fois: 'Calme-toi... tu n'es pas en train de sauver des vies'», plaisante Egla Harxhi.
Il faudra attendre son récent voyage de trois semaines en Chine pour qu'il prenne enfin la mesure et l'intérêt de l'entreprise. C'est un «tournant». Encore habitué par ce qu'il a vu à Guangzhou, il lâche:
«Ce que nous faisons, c’est glisser une œuvre complète à l’intérieur d'une bouteille, la sceller et la laisser dériver, indestructible, dans cette mer numérique», illustre l'instigatrice du projet.
Contrairement aux NFT traditionnels, qui ne stockent généralement pas l'œuvre d'art réelle sur la blockchain mais seulement un certificat de propriété - un jeton - avec une URL pointant vers une image ou un fichier hébergé ailleurs (par exemple, sur un serveur privé ou un stockage décentralisé), les inscriptions d'Alé, qui utilisent les Ordinals Bitcoin, sont fondamentalement différentes.
L'intégralité du fichier de l'œuvre d'art - image, texte ou code - est directement écrite dans la blockchain, devenant partie intégrante du registre permanent et décentralisé de Bitcoin. N'étant pas dépendant d'un serveur externe, pas de dépendance à l'IPFS ou de liens, il ne peut être ni modifié, ni censuré, ni effacé.
Au-delà du geste artistique, les motivations ne sont-elles pas aussi pécuniaires pour Alé de Basseville? Car le potentiel de retombées financières est énorme. Egla Harxhi insiste sur le fait que générer du profit n'est absolument pas l'objectif du départ. «Comme toute initiative, on ne connait pas vraiment les résultats à l'avance. Le but premier, c'était d'intégrer le nouveau monde du web 3.»
The Sovereign Archive.
— The Sovereign Archive (@SovereignArtBTC) July 8, 2025
Sovereign by Nature, Eternal by Design.
‘eternalized’ on sat 1284381395575706. pic.twitter.com/6kM1qc4SL3
Et Alé de Basseville, à la fois descendant d'une famille ayant fait fortune dans les pétrodollars et paradoxalement punk de la première heure, s'est montré catégorique:
En cas de potentielles retombées financières, celles-ci seront réinvesties dans des actions concrètes, liées à l’art ou à des engagements humains, affirme l'équipe du couple.
Le team manager, George, souhaite par exemple développer de nouveaux programmes pour l’ONG Thank to Every American Military Veteran, qui vient en aide aux communautés de vétérans aux Etats-Unis. Quant à l'équipe du Sovereign Archive, elle veut de son côté poursuivre l’élargissement de l’archive et approfondir la réflexion autour de ce modèle.
Ce 26 juillet, Melania Trump s'apprête à entrer dans l'éternité. Sous forme de peintures imaginées à partir de photos originales d’Alé de Basseville et du fameux shooting de 1996. 13 œuvres uniques et une pièce maîtresse organisées comme un arbre généalogique numérique, sous le nom de Fearless.
«Ce corpus a vu le jour à partir de 2022, quand Alé s’est remis à peindre après une longue pause, il repris là où il s’était arrêté», confie Egla Harxhi. «A titre personnel, ce sont ses peintures que j’ai le plus hâte d’inscrire.»
Mais pourquoi avoir choisi ce célèbre shooting de Melania Trump en particulier? Pourquoi cette quasi-obsession pour la first lady américaine?
«L’image est devenue plus grande que l’image: absorbée par les tabloïds, déformée par les agendas, puis effacée des récits officiels. Et c’est précisément pour cela qu’elle devait être le point de départ du projet Fearless», explique l'équipe du créateur.
Quant à Melania, est-elles seulement au courant qu'elle est sur le point d'entrer dans l'éternité de cette manière? «La connaissant, c'est un projet qu'elle trouverait intéressant», note Alé de Basseville depuis Paris, lorsque nous échangeons par téléphone, courant juillet. La première dame s'est lancée elle-même dans les cryptomonnaies.
Toutefois, aucun contact n'a récemment été établi avec des représentants légaux à ce sujet. L'œuvre parle d'elle-même en tant qu'acte culturel souverain, indique l'équipe de l'artiste. «En l’inscrivant sur la blockchain, non pas comme un objet de consommation, mais comme une œuvre philosophique et politique, nous ne cherchons pas à provoquer. Nous cherchons à libérer. A refermer le cycle de l’exploitation, pour ouvrir celui de la mémoire.»