Ça risque peut-être d'être court, mais, en tout cas, ce sera intense. Pas seulement parce que la visite d'Etat de Charles et Camilla à Ottawa prend des faux airs de sprint: 15 heures de voyage pour à peine 20 heures sur place (le premier événement public aura lieu lundi à 13h50, heure locale, et le dernier mardi à 11h55). Mais surtout parce que ce séjour s'inscrit dans un contexte diplomatique et politique explosif qui ne manquera pas d'en faire un moment historique.
C'est sans l'ombre d'une «hésitation», murmurent des sources royales au Daily Mirror, que Charles III aurait accepté l'invitation du tout nouveau premier ministre britannique Mark Carney à assister à l'inauguration officielle du Parlement canadien. Une première depuis 40 ans pour un monarque britannique - après Elizabeth II, en 1957, puis en 1977.
Presque aussi attaché à ce pays membre du Commonwealth que ne l'était sa défunte mère, Charles répète à qui veut l'entendre son intention de se rendre dans la nation du hockey et du sirop d'érable depuis qu'il est montré sur le trône, selon un ancien responsable du gouvernement à Politico.
Le moment est plus que symbolique, alors que le grand voisin américain se montre plus vindicatif et agressif que jamais envers le Canada, sous la houlette de Donald Trump, qui a multiplié les provocations à l'égard du pays qu'il qualifie de «51e Etat américain».
Dans ce contexte tendu, la visite de Charles se serait décidée et organisée assez rapidement. «Si vous m'aviez dit il y a six mois, ou même trois mois, que le roi ouvrirait le Parlement du Canada et prononcerait le discours du Trône, je ne vous aurais pas cru», a déclaré Robert Finch, président de la Ligue monarchiste du Canada, au National Post.
Il s'agissait pour le pays menacé d'envoyer à Donald Trump un message «puissant»: le Canada n'est pas à vendre. «Le roi, en tant que chef d'Etat, renforcera la puissance et la force de ce message», analyse Ralph Goodale, haut-commissaire du Canada au Royaume-Uni, au Mirror.
Comme le murmure un ancien fonctionnaire du gouvernement britannique à Politico, Charles est loin d'être «juste un type qui va aux choses où on lui dit d'aller». Le roi a une responsabilité et les Canadiens, dont les poussées abolitionnistes sont moins virulentes qu'en Australie ou d'autres nations du Commonwealth, comptent sur lui pour défendre leur souveraineté.
Après tout, l'administration Trump fait peser sur le pays une «menace existentielle», selon Patricia Treble, journaliste canadienne et fine connaisseuse de la monarchie britannique, au Daily Telegraph.
Outil de soft power dont chaque punchline sera notée, analysée et disséquée, le roi d'Angleterre aura une tâche pour le moins délicate. Concilier sa fonction de chef d'Etat du Canada avec les efforts du premier ministre Keir Starmer de maintenir des relations solides avec les Etats-Unis. Des efforts dans lesquels Charles jouera un rôle actif, puisqu'il lui incombera prochainement d'accueillir Donald Trump pour une visite d'Etat en grande pompe au Royaume-Uni.
D'autant que les liens entre la famille royale et le premier ministre canadien n'ont jamais été aussi étroits: le frère de Mark Carney, Sean, est directeur des opérations du palais de Kensington, la maison royale du prince William.
Toutefois, en interne, un diplomate britannique rejette l'idée que le soutien du roi au Canada entre en contradiction avec la stratégie de son gouvernement de «draguer» les Etats-Unis. Cette visite sera «plutôt positive», selon ses termes dans le Mirror, et Charles, qui se doit d'être le plus apolitique possible, ne se risque pas de se montrer trop ouvertement critique envers Donald Trump.
Quelles que ce soit les retombées de ce gage de soutien royal, une chose est sûre. Le sprint de 20 heures de Charles est un rappel indéniable et douloureux de son état de santé. Celui d'un homme de 76 ans sur le point d'entrer dans son 16e mois de traitement contre le cancer. Comme le souligne le correspondant royal du Daily Beast:
Malgré tous les efforts du palais de Buckingham pour afficher un air le plus normal possible, c'est la première fois que le roi effectue un voyage à l'étranger aussi court - ses récents séjours au Canada en tant que prince de Galles se prolongeaient généralement plus de trois jours.
Il s'agit non seulement d'un autre rappel du sérieux avec lequel les médecins du roi prennent sa crise de santé actuelle - mais aussi de l'envergure de ce geste diplomatique. «Qu'un monarque atteint d'un cancer traverse l'Atlantique pour une nuit souligne le sérieux avec lequel ce devoir est pris. Et les mesures extraordinaires prises pour protéger la guérison de Charles», conclut le Beast.