Marianne Vos a fait une très grosse bêtise qui a entraîné sa disqualification, dimanche lors de l'Open de Suède. On craignait, à la lecture de cette information, d'apprendre que la Néerlandaise avait percuté un bambin ou expédié une rivale dans un ravin, mais c'est en fait pour avoir posé ses avant-bras sur le cintre du vélo que la championne a été sanctionnée. Une des deux pratiques proscrites par le règlement de l'Union cycliste internationale depuis 2021, l'autre étant la position Mohoric, popularisée par le coureur éponyme.
Leurs contempteurs jugent ces postures dangereuses (on y reviendra) et affirment qu'elles donnent le mauvais exemple, ce qui prête à sourire: si l'on attend des champions qu'ils nous montrent quoi faire par l'exemple, pourquoi autoriser les pilotes de Formule 1 à doubler par la droite, et les nageurs en eau libre à s'éloigner des zones de baignade?
Non contents de déresponsabiliser les athlètes, les partisans du règlement déresponsabilisent aussi les spectateurs, qu'ils jugent trop imbéciles pour faire la part des choses entre une course sur route fermée entre professionnels, et leurs sorties dominicales autour de Fiaugères (FR).
S'il faut attendre des coureurs qu'ils nous ressemblent (et inversement), qu'est-ce qui chez eux suscitera encore notre admiration? Marianne Vos est une formidable ambassadrice du cyclisme féminin doublée d'une personnalité populaire. Elle est trois fois plus suivie que Stefan Küng sur Instagram. Quel message l'UCI adresse-t-il à ses 150 000 followers en lui retirant une victoire pour une position qui n'a en rien contribué à la rendre plus forte ce jour-là?
Et si le but est de protéger les coureurs, intention louable, pourquoi autorise-t-on encore des dos d'âne à 500 mètres d'une ligne d'arrivée? A force de légiférer, l'UCI a perdu le sens des priorités, ce qui peut se révéler dangereux sur la route.
Une chute terrible au sprint final dans le tour du Burgos en Espagne le 3ème coureur a dû sauter sur un dos d'âne sa roue arrière a fait un tête à queue heureusement que les casques sont rendus obligatoire pour éviter les drames. pic.twitter.com/0ncsJQLsJh
— HMIMID69 (@HMEMID) August 3, 2022
«Si ça se trouve, c'est pour cela qu'ils nous interdisent certaines positions: pour pouvoir éviter les obstacles en fin de parcours», ironise un coureur du World Tour que nous avons contacté.
C'est le principe de toutes les obsessions: elles induisent une vigilance accrue sur les objets sur lesquels elles portent, au détriment d'autres menaces, parfois au moins aussi importantes. Or l'obsession que l'on devine ici, c'est celle du tout sécuritaire. Le cyclisme n'en a pas le monopole: la plupart des sports sont rattrapés par des points de règlement visant à limiter les risques, quitte à dénaturer la pratique. En ski alpin, les patrons de course rabotent les sauts des descentes afin de freiner les champions alors qu'en voile, les organisateurs du Vendée Globe interdisent certaines zones de navigation au motif qu'elles seraient trop dangereuses pour des marins qui, rappelons-le, s'embarquent dans une aventure en solitaire autour du monde.
La chose est toutefois un peu différente en cyclisme, où la menace ne vient pas du revêtement (comme en ski) ou du climat (comme en voile), mais de la potentielle perte de maîtrise du coureur. Concrètement, avoir les fesses sur la tige de selle ou les avant-bras sur le guidon menacerait l'équilibre à vélo. C'est parfaitement vrai. Mais ce risque-là ne doit-il pas être laissé à l'appréciation du champion? N'est-ce pas aux athlètes de trouver la juste proportion entre risques et bénéfices? Certains coureurs ne sont pas bons en descente et en paient le prix en se faisant distancer. Pourquoi freiner ceux qui sont suffisamment habiles pour adopter la position Mohoric et ainsi gagner en aérodynamisme?
On pourrait objecter qu'un cycliste roule rarement seul en compétition, et que s'il venait à tomber, il pourrait entraîner dans sa chute plusieurs dizaines d'autres. C'est parfaitement vrai aussi. Sauf qu'aucune des deux positions proscrites n'a provoqué de dégâts légitimant leur interdiction. La raison est simple: la posture Mohoric est utilisée en descente, par des coureurs par définition moins entourés et qui subiraient donc seuls les conséquences de leur audace. Celle de Marianne Vos, connue sous l'appellation «pattes de chiots», n'est pas davantage à risques puisqu'elle est profite plus souvent aux échappés qu'aux coureurs du peloton.
Les interdictions viseraient donc à protéger des athlètes inconscients du danger, donc à se substituer à leur capacité de jugement. Soit. Mais comment faire passer un tel règlement sans revêtir le maillot jaune de la contradiction? Les cyclistes sont sans cesse encouragés à aller au bout d'eux-mêmes; à escalader le terrible Ventoux en plein après-midi de juillet, parfois deux fois dans la même journée; à descendre des cols à près de 100 km/h; à sprinter en frôlant les balustrades. Et on vient gentiment leur expliquer que le fait de rouler avec les avant-bras sur le guidon représente un risque?
Le plus grand risque, finalement, tient dans les conséquences d'un tel règlement. Codifier le comportement, c'est pénaliser l'audace. C'est encourager tout ce que les amoureux du vélo déplorent, des coureurs qui se ressemblent de plus en plus et qui, avant d'être très obéissants avec le règlement, l'étaient déjà avec les oreillettes et les capteurs de puissance. C'est demander à Peter Sagan de franchir la ligne d'arrivée comme tout le monde, sur le Tour de France entre Berne et Finhaut/Emosson il y a six ans. C'est donner envie d'encourager les motos avant les coureurs.