Depuis deux jours, les dissidents de Vladimir Petkovic vivent cachés dans les montages ou demandent l'asile politique à la France. Ils savent l'animosité qu'ils encourent - ils ne veulent pas finir au pilori avec ceux qui trempent leur ananas dans la fondue. Ils savent l'inanité de s'opposer aux éloges de la vox populi, puisque cette voix est d'abord un klaxon, et le peuple un gigantesque kop.
«Le reste»... Mais quoi, au juste? Entre anonymat et protection des témoins, les dissidents romands expliquent que Petkovic «maîtrise parfaitement le français et refuse obstinément de le parler. Difficile de ne pas y voir du mépris».
Les Alémaniques relèvent qu'il parle l'allemand, «mais moins bien aujourd'hui qu'à ses débuts avec la Nati. Or, avec un salaire de 1,45 millions de francs par an, Vladimir Petkovic aurait les moyens de suivre des cours Migros. D'autant que le job de sélectionneur n'est pas le plus prenant du monde».
Tous constatent des deux côtés de la Sarine:
Trop ci, trop ça, pas assez là: qui s'en soucie aujourd'hui, dans les rues inondées de joie et de bière? Sept années de contestation balayées en 120 minutes: c'est la magie du football, comme ils disent.
Pour un peu, Vladimir Petkovic se rêverait un destin à la Aimé Jacquet, un incompris tout comme lui, «un taiseux», «un gueux», «un brave type» dégoté à la boucherie du coin, très précisément celle de Sail-Sous-Couzan, quand l'équipe de France n'intéressait personne. Jaquet était si mal aimé, peu en phase avec son prénom, qu'il a fallu le rebaptiser «Mémé», lui trouver des rudesses de vieil emmerdeur, avant que la victoire ne le transforme en grand humaniste.
Petkovic est un peu pareil, troisième choix après Marcel Koller et Lucien Favre, mêmes postures de persécutés, mêmes moqueries sur son accent, même propension à voir le mal partout. Sepp Blatter disait qu'il était d'une neutralité confondante. Pour Mario Widmer, ancien faiseur de roi à «Blick», il n'avait ni le bon goût du chocolat, ni le prestige des montres, tout juste le charisme d'un pylône de téléphérique.
Il y avait toujours un hic, forcément, quand la Suisse ultra-conservatrice parlait de Petkovic, un nom que l’on ne marie pas facilement à la bonne société zurichoise – d’ailleurs Credit Suisse a continué de sponsoriser Hitzfeld - une stature granitique, une gueule un peu mastoc de Maturin colérique. Et ce regard perché qui, selon les dissidents, doit moins à son mètre nonante qu'à une haute opinion de lui-même (mais maintenant qu'il gagne, on y voit de la timidité).
Après avoir tout entendu, Aimé Jacquet, lui, s'était retiré dans sa longère en promettant de «ne jamais pardonner». Que dira Petkovic si, par le plus grand des destins, il remporte l'Euro?
Il pourra dire, à tout le moins, que s'il n'écume pas les stades de Super League, Hitzfeld n’a pas davantage «schlagé» dans les buvettes, ni irradié la moindre chaleur humaine à travers son vieil imper gris façon inspecteur Derrick.
Il pourra dire qu'en grande majorité, les joueurs apprécient son tact, sa droiture, sa clarté. Il pourra justifier que sous son autorité, l'équipe de Suisse affiche certes des limites, mais aussi une volonté plus manifeste de les dépasser, une tournure d'esprit orientée plein sud, vers des cultures de possession et de pressing haut... typiquement espagnoles - loin des options frileuses et psychorigides de l’ère Hitzfeld.
Il pourra prouver qu'avec lui, la Suisse a eu un projet de jeu, une certaine idée du football, et que face à la France, elle était seule avec ces idées-là, prête à en mourir.
A travers la mystification des champions du monde français, c'est comme si tout un pays avait découvert Petkovic et les avantages de son melting-pot. C'est toute la magie du football qui, en quelques incantations patriotiques, transforme un oiseau de malheur (l'aigle bicéphale) en coucou des grandes heures, un visage fermé en figure patriarcale. ⬇️
Encore une victoire contre l'Espagne et on fera rimer Petkovic avec helvétique. Encore deux victoires et même Guillaume Tell aura l'air d'un hipster en goguette, détrôné par le «beau Petko» et ses costards que plus personne ne voudra lui tailler.