Depuis toujours, Alisha Lehmann suscite un mélange d'admiration et d'indignation dans le public. L'attaquante de 26 ans polarise comme aucune autre footballeuse. Un calendrier avec des images érotiques, de la publicité pour le poker en ligne et beaucoup de maquillage: ses détracteurs trouvent de nombreuses raisons de s'offusquer de la Bernoise.
D'un autre côté, elle est un modèle pour de nombreuses jeunes filles: parce qu'elle est émancipée, fait ce qu'elle veut et est footballeuse professionnelle.
Un exemple de son aura? Fin novembre, le stade du Letzigrund à Zurich s'agite au moment où Alisha Lehmann, star des réseaux sociaux et chouchoue de nombreux fans, entre sur le terrain pour l'échauffement. Elle est enfin à nouveau titulaire avec la Nati, face à l'Allemagne. Mais sa performance laisse à désirer, elle ne tire pas une seule fois au but. Conséquence logique: la sélectionneuse nationale, Pia Sundhage, la remplace à la mi-temps.
C'est, à ce jour, le dernier match que Lehmann a joué pour l'équipe de Suisse. Lors du test contre l'Angleterre, quelques jours plus tard, la Bernoise est restée sur le banc. Début 2025, elle a raté le premier rassemblement de la Nati pour cause de blessure et a zappé le deuxième par manque de temps de jeu. Autrement dit: c'est de plus en plus clair que l'Euro à domicile, cet été (2 au 27 juillet), s'éloigne pour elle. En tout cas dans le onze de base.
«Elle doit prouver qu'elle a sa place dans cette équipe», a prévenu Pia Sundhage. La coach a précisé:
Entre les lignes, une annonce claire de Sundhage à Alisha Lehmann: aucune place pour l'égoïsme dans l'équipe nationale.
La question de savoir si la présence d'une influenceuse des réseaux sociaux – qu'Alisha Lehmann est, avec ses 16,5 millions de followers rien que sur Instagram – est bénéfique pour la Nati préoccupe depuis longtemps. Tout comme le regard des coéquipières sur le statut de star de la Bernoise.
Lara Dickenmann, 135 capes avec l'équipe de Suisse et retraitée depuis 2019, a un avis bien tranché qu'elle a donné dans Blick:
Dickenmann nuance toutefois:
L'ex-milieu de terrain de la Nati estime aussi que Lehmann peut servir de modèle pour les jeunes joueuses qui veulent percer.
Alisha Lehmann compte 57 sélections, dont 26 comme titulaire, pour huit buts. Grâce à sa vitesse, elle a souvent une longueur d'avance sur la défense adverse. Mais malgré cette qualité, l'attaquante bernoise n'a jamais réussi à se rendre indispensable avec la Nati, n'y même à s'y s'établir.
«Elle ne m'a pas particulièrement convaincue ces dernières années en équipe nationale. Elle est certes rapide, mais il en résulte peu de choses», analyse Lara Dickenmann. Sa prestation contre l'Allemagne le 29 novembre (défaite 6-0) reflète ce constat: Lehmann a été empruntée avec le ballon dans les pieds, même quand elle avait de l'espace.
En fait, cette performance terne de la star des réseaux sociaux contre la Mannschaft n'a rien d'étonnant: elle peine aussi avec son club, la Juventus Turin, qu'elle a rejoint l'été dernier. Elle n'a été titulaire que cinq fois et doit se contenter, la grande majorité du temps, de brèves apparitions (en quatorze matchs de championnat, elle n'a inscrit que deux buts).
C'était pareil avec son club précédent, Aston Villa, où elle s'est éteinte la saison passée. De titulaire, elle est passée à remplaçante quasi systématique.
Rater un Euro ne serait pas une première pour Alisha Lehmann: il y a trois ans, elle avait renoncé – de son plein gré, selon la version officielle – au tournoi en Angleterre parce que, selon ses propres dires, elle ne se sentait «pas prête mentalement».
Mais n'était-ce pas une manière de se protéger? A l'époque, on disait en coulisses que le sélectionneur, Niels Nilsen, ne la trouvait pas assez forte. Le Danois l'a souvent laissée sur le banc. Alors Lehmann a-t-elle voulu éviter l'humiliation d'une non-sélection en renonçant volontairement? La thèse a été alimentée par le fait que l'attaquante a tout de suite été convoquée par la successeure de Nilsen, Inka Grings.
Mais manquer l'Euro à domicile serait une autre histoire. En premier lieu pour Alisha Lehmann, mais aussi pour l'Association suisse de football (ASF). Car il y a cette question: la Nati peut-elle se passer des plus de 16 millions de followers de la Bernoise?
C'est grâce à eux que l'attaquante s'est fait un nom depuis longtemps au-delà de la Suisse. Et elle est, logiquement, un important support publicitaire pour le football féminin en général, et suisse en particulier. Pour donner un ordre d'idée, la superstar du tennis Roger Federer, adulé dans le monde entier par des fans de toutes les cultures et de tous les âges, n'a «que» 12 millions d'abonnés sur Instagram.
De nombreuses spectatrices, surtout les plus jeunes, viennent principalement au stade pour Lehmann. Pour voir leur star d'Instagram en direct, lui faire un signe de la main ou même prendre un selfie avec.
Viktoria Weber, experte en marketing dans le bureau zurichois Monami, a déclaré à 20 Minuten, après la mise à l'écart de l'attaquante avec la Nati, que son absence pourrait avoir un impact négatif sur les autres footballeuses suisses: celles-ci ne pourraient plus exploiter leur potentiel publicitaire au maximum.
Mais Viktoria Weber rappelle qu'il serait «injuste» de sélectionner des joueuses sur la base de leur notoriété sur les réseaux sociaux et que «ce ne serait finalement pas une bonne publicité pour l'équipe nationale».
Lara Dickenmann est du même avis et pointe un autre problème, selon elle, lié au statut d'influenceuse d'Alisha Lehmann sur les réseaux sociaux:
Grâce à cette notoriété sur le web, la Bernoise est une figure de la Nati au moins aussi importante que Ramona Bachmann et Lia Wälti, qui livrent, elles, des performances convaincantes depuis des années. Mais pour jouer l'Euro, il faudra plus que des followers sur Instagram.
Trop de réseaux sociaux et pas assez d'efficacité sur les pelouses: ce mélange dévastateur semble devenir fatal à Lehmann. Même si Pia Sundhage lui laisse encore la porte ouverte pour ce Championnat d'Europe. «Chaque joueuse qui n'est pas là a encore la chance d'être sélectionnée», a assuré la coach.
Alisha Lehmann a maintenant besoin, en premier lieu, de temps de jeu avec la Juventus. Et, ensuite, de la bonne volonté de Sundhage. A moins de trois mois du début du tournoi, l'affaire est à suivre de très près.
Traduction et adaptation en français: Yoann Graber