Didier Dubrit a écumé les terrains de Super League jusqu'à la saison dernière et pendant dix ans en tant qu'arbitre assistant, et non «juge de touche», comme il nous le fait poliment remarquer. «Nous sommes aussi arbitres, car il nous arrive de nous occuper de ce qu'il se passe sur le terrain», précise ce Vaudois de 35 ans.
Aujourd'hui employé au Comité international olympique (CIO) à Lausanne, Didier Dubrit a accepté pour watson de raconter sa riche expérience le long de la ligne de touche, quelques jours après l'agression d'un arbitre assistant en France.
Didier Dubrit, dimanche dernier lors de Saint-Etienne-Lyon, un assistant a reçu une pièce de monnaie sur le crâne. Cela vous est-il déjà arrivé?
Non. J'ai reçu des choses, mais rien de solide, ni de bien méchant: des verres en plastique vides et de la bière, surtout dans les petits stades, où les spectateurs sont situés deux mètres derrière nous.
Avez-vous déjà craint pour votre sécurité pendant un match?
(il réfléchit longuement). Je n'en ai pas le souvenir. Il y avait toujours un peu de pression, bien sûr, mais si j'avais eu peur que quelque chose puisse m'arriver, je n'aurais pas pu exercer mon métier correctement. Et puis, il y a assez peu de risques qu'un incident se produise en Suisse, sachant que les fans les plus virulents sont situés derrière les buts.
Mais il y a aussi quelques rares stades, comme celui d'Aarau, où les supporters sont situés sur un côté, et non pas derrière un but.
Oui, et c'est à Aarau que j'ai reçu le plus de bières durant ma carrière! Mais les fans sont tellement proches du terrain qu'ils savent qu'ils ne peuvent pas faire n'importe quoi, au risque d'être sanctionnés. L'ambiance y est donc plutôt bon enfant.
Quand vous receviez de la bière, vous restiez mouillé pour le reste du match?
Oui et c'est parfois long, comme le jour où j'ai été arrosé après trois minutes de jeu. Et quand il fait très chaud, la bière sur le maillot, ça ne sent vraiment pas bon! Mais même si le fait de jeter de la bière sur quelqu'un n'est pas très respectueux, et même si c'est un geste que je ne souhaite pas banaliser, ce n'est pas dangereux non plus.
Un peu comme les insultes. Les entendiez-vous?
Oui, et d'ailleurs, plus le stade était petit, et plus j'entendais distinctement les remarques des spectateurs. Ce n'est pas étonnant si Massimo Busacca, qui avait sifflé dans les plus grandes enceintes européennes, avait craqué dans le petit stade de Baden, faisant un doigt d'honneur aux fans bernois qui l'injuriaient en italien.
Une insulte vous a-t-elle un jour blessé?
Non. En tout cas, je ne m'en souviens pas.
Quand la situation est tendue, le rôle de l'arbitre principal est essentiel. Lors de Sainté-Lyon, M. Letexier a carrément arrêté le match afin de protéger son assistant. A quel point est-ce important d'avoir le soutien de l'arbitre principal?
C'est essentiel. C'est même l'aspect numéro un du métier: on n'a jamais la maîtrise totale en tant qu'assistant, puisque par définition, on est là pour assister l'arbitre principal. Mais pour que ça fonctionne, il doit y avoir une confiance mutuelle, parce que cette confiance va changer énormément de choses dans nos prises de décisions.
Vous avez souvent officié avec Sébastien Pache, c'est donc que ça se passait très bien entre vous.
Oui, j'ai fait une centaine de matchs avec Sébastien comme arbitre principal à différents niveaux du foot suisse. On se connaissait par coeur et on se faisait confiance. Si j'avais reçu une pièce de monnaie sur la tête, je sais pertinemment comment il aurait réagi, alors que j'aurais eu plus de doutes avec d'autres arbitres.
Il y avait donc des arbitres principaux avec lesquels le courant ne passait pas?
Oui, et c'était souvent réciproque: ces mêmes arbitres étaient aussi ceux qui m'appréciaient moins.
Les joueurs peuvent également vous faire du tort pendant un match. Certains s'énervent parfois contre l'arbitre assistant en le pointant du doigt ou en vociférant en sa direction. En vouliez-vous à ces footballeurs qui vous mettaient dans une position inconfortable, incitant le public à se retourner lui aussi contre vous?
Non, car j'ai toujours pensé que cela faisait partie du jeu. Il faut accepter que le public ne soit pas forcément avec vous, c'est ok, tant que ça reste dans le respect, que ce n'est pas dangereux. C'est aussi le rôle du public de pouvoir mettre de la pression. Celui de l'assistant, c'est d'être capable de résister à cela.
Résister face à la pression et aux critiques, c'est naturel chez vous, ou vous avez dû l'apprendre pour pouvoir exercer votre métier?
J'ai commencé à arbitrer très tôt, les petits déjà, quand j'avais 13 ans. Je suis ensuite arrivé en 1re ligue à 18 ou 19 ans, donc être arbitre a fait partie de la construction de ma personnalité.
Vous avez par la suite exercé en Challenge puis en Super League en tant qu'assistant. Quel était le stade suisse dans lequel vous préfériez vous rendre?
Celui de Saint-Gall, car il était presque toujours plein. Je me souviens y avoir arbitré le premier match post-Covid, le stade était comme une cocotte minute. Je n'avais jamais ressenti autant de ferveur, peut-être aussi parce que je n'étais plus habitué à tant de bruit après les huis clos imposés par la pandémie, mais c'était une ambiance vraiment dingue.
C'est dans ces moments que l'on se rend compte que le public est essentiel aux matchs de foot.
Bien sûr, même s'il n'est pas souvent avec nous! Les tribunes pleines, c'est ce qui permet de créer l'ambiance particulière qui entoure un match de football. Un de mes moments préférés, quand j'étais encore en activité, c'était d'ailleurs l'entrée sur le terrain: sentir l'effervescence du public, l'attente des spectateurs, ça a toujours été quelque chose de particulier.