Cet adversaire du Lausanne-Sport a un parcours de vie fou
Flavius Daniliuc aurait aussi pu être un excellent vendeur. Le nouveau défenseur central bâlois n’a besoin d’aucun temps d’adaptation pour engager la conversation avec des inconnus. Dès la séance photo, il échange volontiers sur les dialectes suisses, allemands et autrichiens.
Et contrairement à bien des joueurs en situation d’interview, le jeune Autrichien de 24 ans pose lui-même des questions, s’intéresse à son interlocuteur et sait raconter des histoires. Et des histoires intéressantes, Daniliuc en a déjà plusieurs à son actif.
Sa carrière sportive débute par un petit drame. Tout enfant, on lui diagnostique une malformation cardiaque: un trou dans la paroi du cœur, qu’il faut opérer.
«C’était critique, mais l’opération s’est bien passée», résume l'arrière central bâlois. Après l’intervention, le médecin recommande une activité physique régulière: «Il a dit à mes parents: "Laissez-le faire du sport, cela renforcera son cœur."» Daniliuc essaie le tennis et l’athlétisme avant de découvrir sa passion: le football.
Cage dorée à Madrid
Alors qu’il évolue chez les jeunes du Rapid Vienne, une rencontre change complètement la vie de la famille Daniliuc, composée de huit membres. Flavius, le benjamin, se distingue lors d’un tournoi et attire l’attention d’un recruteur du Real Madrid. Celui-ci aborde son père, Michael Daniliuc, et propose que son fils effectue un essai chez les Merengues. «Pour ma famille, c’était inimaginable», se souvient Daniliuc.
Au sein du très prestigieux club espagnol, le jeune Autrichien est effectivement retenu après une semaine d’entraînement, parmi 2 500 jeunes testés. A part lui, un Italien aurait pu rester au centre de formation du Real, mais ses parents refusent. La famille Daniliuc décide, elle, de tenter le coup: «Une telle chance ne se représentera jamais.» Que le transfert d’un enfant de neuf ans soit une chose plutôt exceptionnelle, Daniliuc ne le comprendra que plus tard:
A l’exception de ses deux aînés déjà majeurs, toute la famille reste d’abord à Madrid. Le père et la mère quittent même leurs emplois pour le rêve de leur plus jeune fils. «Nous vivions des économies de mon père, qui avait toujours mis un peu d’argent de côté grâce à son travail de chauffeur poids lourd», raconte Flavius Daniliuc. Car le Real Madrid ne versait évidemment aucun salaire.
Le Rhénan garde un souvenir enchanté de sa première année au centre de formation madrilène: «C’était un rêve.» Mais bientôt, sa mère et ses frères et sœurs rentrent en Autriche, puis son père Michael doit à son tour retourner à Vienne, faute d’emploi en Espagne. Flavius reste seul à douze ans, à l’internat du Real Madrid, avec des coéquipiers beaucoup plus âgés. Comme le club tient à garder l'Autrichien, il lui verse désormais de l’argent de poche.
Bien que sa progression sportive soit constante et qu’il franchisse toutes les sélections internes du Real, Daniliuc devient de plus en plus malheureux:
Par ailleurs, la Fifa examine alors certaines clauses de contrats douteuses concernant des mineurs au Real Madrid. «Je faisais partie de ces 60 à 70 cas», explique le défenseur. En janvier 2017, le Real est d’ailleurs sanctionné d’une interdiction de transfert. Mais Flavius Daniliuc n’est déjà plus à Madrid.
Le coup de main d'une star
A l’été 2014, âgé de treize ans, il quitte l’Espagne. Un rôle important est joué par David Alaba, aujourd’hui capitaine de l’Autriche et défenseur du Real Madrid. Par l’intermédiaire d’un journaliste ami, Michael Daniliuc entre en contact avec le joueur, neuf ans plus âgé que son fils. Peu après, Alaba rend visite à la famille Daniliuc à Vienne, dont il est lui-même originaire. «Tout le monde était là, et la famille entière était très nerveuse», raconte le Bâlois.
Mais Alaba se montre simple, aimable et serviable; peu après, il glisse un mot à Matthias Sammer, alors directeur sportif du Bayern Munich, en faveur du jeune joueur prometteur du Real. Daniliuc reçoit une invitation pour un essai, où il convainc encore comme milieu offensif.
Comme les transferts internationaux de mineurs sont interdits, l'Autrichien s’entraîne d’abord six mois dans un internat de football à Bad Aibling, en Allemagne. Il y côtoie notamment Percy van Lierop et Ognjen Zaric, futurs employés du FC Bâle. En janvier 2015, il rejoint finalement le club munichois dans les règles.
Sur le tout nouveau campus du Bayern, et bien plus proche de sa famille, Daniliuc s’épanouit:
Il avait reçu de solides valeurs familiales et, selon lui, n’a jamais été puni pour une chambre en désordre ou des corvées oubliées, contrairement à d’autres. Mais cette discipline a contribué à sa maturité. A Munich, il obtient un diplôme de fin de scolarité secondaire avant de se consacrer entièrement au football.
Le futur défenseur du FC Bâle évolue alors avec des joueurs devenus internationaux comme Angelo Stiller, Joshua Zirkzee ou Jamal Musiala, et apprend auprès d’entraîneurs connus tels que Martin Demichelis, Danny Schwarz ou Sebastian Hoeness. C’est là qu’il est repositionné en défenseur. «Si tu veux devenir pro, ce sera à ce poste», lui dit-on. Parfois, il s’entraîne avec l’équipe première: «Mais c’est un autre monde», reconnaît-il, humblement.
Dan Ndoye devient son meilleur ami
En quête de temps de jeu, Flavius Daniliuc rejoint Nice en 2020.
Sur la Côte d'Azur, il se lie d’amitié avec le Vaudois Dan Ndoye, qui deviendra un ami proche et lui recommandera plus tard de rejoindre le FC Bâle. «Nous étions tous deux nouveaux à Nice et sur la même longueur d’onde», explique Daniliuc, qui parle aujourd’hui six langues (allemand, anglais, roumain, espagnol, italien et français).
Deux ans plus tard, il rejoint l’Italie. La Salernitana, club de Serie A, lance alors un ambitieux projet et investit massivement: près de six millions d’euros sont versés pour son transfert, tandis que Franck Ribéry y évolue encore. Après avoir côtoyé Dante à Nice, l'Autrichien retrouve ainsi un autre ancien du Bayern. Quant à Xherdan Shaqiri, il l’a manqué de peu à Munich.
Après une première saison solide, qui lui vaut d’être appelé en équipe nationale (trois sélections), la suite se complique: fracture du métatarse, licenciement de l’entraîneur Paulo Sousa (encore un ex du FC Bâle). Autant de coups d’arrêt. Pour retrouver du rythme, il est prêté à Salzbourg, ce qui lui permet d’intégrer le groupe autrichien pour l’Euro 2024, sans toutefois entrer en jeu. Son dernier match international remonte à la rencontre de préparation face à la Suisse, à Saint-Gall le 8 juin 2024, où il affrontait justement son ami Dan Ndoye.
Les éloges de Magnin et des responsabilités
Mais Flavius Daniliuc reste en contact avec le sélectionneur Ralf Rangnick. Avant son transfert à Bâle, ils ont encore échangé au téléphone. Mais, reconnaît-il, «vu la concurrence (Alaba, Lienhart, Danso, Friedl), une convocation n’est jamais garantie, même en étant titulaire au FCB.»
Après la relégation de la Salernitana en Serie B, puis en Serie C, Daniliuc se retrouve sous contrat avec un club qui ne peut plus le payer. Les négociations pour un transfert traînent en raison d’exigences financières excessives. En attendant, il s’entraîne à Vienne avec d’autres joueurs sans club, sous l’impulsion de l’un de ses frères, lui aussi footballeur. Mais il est rappelé à Salerne:
Finalement, le dernier jour du mercato, il obtient sa libération pour rejoindre Bâle. Les deux clubs se seraient entendus autour de 500 000 francs.
Le FC Bâle s’était déjà intéressé à lui en 2022. Au début de cet été, le contact reprend. Suivent plusieurs entretiens en visioconférence avec l’entraîneur Ludovic Magnin et le directeur sportif Daniel Stucki. Avec son profil de défenseur axial à la relance soignée, fort d’une expérience déjà riche malgré son jeune âge, Daniliuc doit stabiliser la jeune défense bâloise. «Bâle, c’est la mentalité et le travail. Cela me correspond», affirme-t-il.
«Flavius apporte une grande expérience des ligues de haut niveau et a bénéficié d’une excellente formation», souligne Stucki. Et Magnin ajoute, après quelques séances:
Daniliuc se dit lui-même surpris:
Une démonstration de son talent a lieu en Europa League contre Stuttgart le 2 octobre, lors de la victoire 2-0, où il a été très solide. Et le nouveau patron de la défense bâloise semble aussi bien installé sur le terrain qu’en dehors.
Hors du terrain, son intégration est fulgurante. Il a déjà emménagé dans son appartement, et Albian Ajeti ainsi que Dominik Schmid lui ont montré les meilleurs cafés et restaurants lors d’une balade en ville. Il a découvert avec curiosité les images des célébrations du titre sur la Barfüsserplatz.
Flavius Daniliuc aimerait, lui aussi, fêter un jour un titre sur le balcon du club, avec les supporters. A Bâle, il est sous contrat jusqu’en 2028 et se verrait bien rester enfin plus longtemps dans une même équipe.
Adaptation en français: Yoann Graber
