Notre pays compte 1,7 million d'enfants et adolescents (chiffre 2020). On les reconnaît chaque été à leur short flashy, leur sourire détartré aux Calippos et aux acrobaties toujours plus spectaculaires qu'ils réalisent en sautant dans les lacs et les piscines. Des vidéos qui fleurissent ensuite sur les réseaux sociaux comme autant de trophées et d'invitations au dépassement de soi.
Ce spectacle aérien, cette concurrence exacerbée chaque été, la Fédération suisse de plongeon n'en profite pourtant pas. Elle ne comptait que 122 plongeurs licenciés parmi les 8-18 ans la saison dernière, un chiffre en diminution par rapport à la période précédant la pandémie (174 licenciés). C'est étrange: on ne connaît aucune autre discipline sportive pratiquée par autant de jeunes dont l'engouement populaire, bien que saisonnier, ne se reflète pas dans le nombre d'inscrits en clubs.
Pourquoi la Fédération suisse ne profite-t-elle pas, même un peu, de ce réservoir de jeunes talents? «Parce qu'il y a une grande différence de niveau entre ce qu'on peut observer à la piscine ou sur les réseaux sociaux de la part de jeunes déjà hyper doués et ce qu’exige la pratique du plongeon de compétition, sans compter que la compétition en elle-même n’est de loin pas l’objectif de la majorité des jeunes», résume Maël Mülhauser. Le Genevois connaît bien le sujet: c'est un ancien athlète devenu chef de la relève au sein de la Fédération suisse de plongeon.
Des enfants et adolescents qui vont jusqu'à réaliser des doubles saltos aux dix mètres, il en croise parfois au pied des plongeoirs:
Partir avec un retard de quelques années, ça peut se rattraper dans beaucoup de secteurs professionnels. Mais pas dans le sport. Quatre ou cinq saisons de perdues, c'est une carrière envolée. «C'est très difficile de refaire son retard et ça a un effet démotivant», relève Maël Mülauser, avant de prendre un exemple qu'il connaît bien: le sien.
Paradoxalement, ce n'est donc pas dans les bassins extérieurs que se recrutent les futures stars de la discipline, mais plutôt dans les salles de gym, lorsque ce ne sont pas des talents directement issus des écoles de plongeon. «Ceux qui ont déjà fait de la compétition en gym artistique ou en trampoline peuvent se mettre au plongeon vers 13 ans car on travaille sur les mêmes bases gymniques que ces sports, renseigne Maël Mülhauser. Dans ce cas-là, le transfert de compétences se fait de manière beaucoup plus fluide.»
D'ailleurs, ceux qui commencent le plongeon entre 6 et 8 ans font près de la moitié de leur entraînement à sec, sur trampoline ou matelas de gymnastique. Car ce n'est qu'en répétant inlassablement chaque figure que les apprentis obtiendront les repères nécessaires à une pratique de haut niveau, le plongeon de compétition demeurant une discipline très codifiée. Celle-ci a donc peu de choses à voir avec ce qui s'observe dans les bassins chaque été, où il ne s'agit que de s'amuser en variant les styles.
Le degré d'exigence requis est à la fois un frein pour la croissance du nombre de licenciés, mais dans le même temps une garantie de survie pour la discipline. Un étrange paradoxe qu'explique très bien le chef de la relève:
Intéresser les adolescents, même s'ils ne deviendront jamais de futurs champions, «reste toutefois essentiel et très bénéfique pour un bon climat de club, souligne Maël Mülhauser. D'ailleurs, plusieurs projets sont développés pour améliorer l’accessibilité du plongeon à tous les degrés, comme les Kids-Cup, des compétitions de niveau intermédiaire. Cela permet de faire vivre le sport populaire, de favoriser une émulation autour de la pratique et de montrer, au final, qu'on ne reste pas entre nous, dans notre petit monde ultra codifié.»
Quand les piscines extérieures fermeront, à la fin de l'été, il y aura encore des tremplins pour accueillir les adolescents et leur permettre de s'amuser et de développer de nouvelles compétences artistiques. Pour les Calippos en revanche, on ne garantit rien.