Jingkun Xu s'éloigne doucement de l'Australie. Cela veut dire qu'il entrera d'ici peu en 2025. Pour lui, les festivités seront néanmoins courtes et un brin affligeantes, et pas seulement parce que le Nouvel an occidental n'est pas aussi significatif que celui du calendrier chinois. Le skipper se trouve seul sur son bateau dans les mers du Sud. On ne peut que lui souhaiter une nuit calme et apaisée, lors de laquelle il n'aura pas à larguer une fusée de détresse.
Des fusées, des feux d'artifice et des pétards: il y en aura justement d'un tout autre calibre à l'autre bout du monde. Déclenchés lors de soirées bien plus endiablées que celle que vient de débuter Xu, ils risquent de provoquer des drames. On ne compte plus les décès ou les blessures graves liés au maniement des engins pyrotechniques la nuit de la Saint-Sylvestre.
Ces accidents, Jingkun Xu les connaît mieux que personne, lui qui est amputé du bras gauche depuis l'âge de 12 ans. La perte de son membre s'explique par la manipulation de feux d'artifice. Cette blessure a transformé le cours de son existence. Or elle ne l'a privé ni de sa bonne étoile ni de ses ambitions les plus ardentes.
Dans l'impossibilité de reprendre la ferme familiale, et voué à vivre au cœur des montagnes de son enfance, Xu a vu la «voile» venir à lui, dans un pays où elle en était pourtant à ses balbutiements. Le néo-marin n'avait que 16 ans et aucune expérience de la mer lorsque son bon niveau en sport lui ouvrit les portes de l'équipe nationale, nouvellement créée en vue des Jeux organisés à domicile trois ans plus tard.
10e à Pékin en 2008 à bord d'un Sonar, Jingkun Xu aurait pu abandonner sa nouvelle discipline, suite à la dissolution du projet chinois au lendemain des épreuves paralympiques. Mais voilà: après ses premières manœuvres sur l'eau, le jeune homme découvre Ellen MacArthur et est soudain marqué par les exploits de la navigatrice britannique. Il se prend alors à rêver de course au large et met tout en œuvre pour un jour participer au Vendée Globe.
Xu devient instructeur et retape un vieux bateau sur lequel il s'exerce. Sans brûler les étapes, il fait un pas important vers son souhait le plus cher, en s'installant en Bretagne, puis fait ses premières armes sur la Mini Transat 2015. Un long tour du monde en catamaran plus tard, le marin chinois acquiert l'ex-Imoca d'Alan Roura qu'il prépare seul, et fonde une équipe d'abord uniquement composée de sa compagne et lui-même. C'est peu comparé aux mastodontes de la voile.
Le skipper est aujourd'hui le premier Chinois à participer à «l'Everest des mers», cela alors qu'il a grandi dans les montagnes, est issu d'un pays où la culture «voile» a longtemps été inexistante et ne peut compter que sur son bras droit. Imaginez un peu devoir grimper en haut du mât ou effectuer des réparations par mauvais temps, abandonné au milieu de la mer, avec un segment manquant. Il faut un sacré courage pour s'élancer dans une telle aventure.
Jingkun Xu n'est certes pas le premier navigateur porteur de handicap à prendre part à ce redoutable tour du monde en solitaire, sans escale et sans assistance, rendu encore plus compliqué par une infirmité. Né sans main gauche, le Français Damien Seguin, multiple médaillé paralympique, est parvenu à boucler le Vendée Globe il y a quatre ans et se trouve actuellement 15e de cette nouvelle édition. Xu, 32e, est donc loin de pouvoir rivaliser avec. Mais qu'importe, sa présence en mer au large de l'Antarctique a quelque chose de très spécial, de par son parcours et son histoire. L'homme n'aurait pas dû être là et pourtant, il y est et en inspire plus d'un.
Je croyais qu'un athlète ayant marqué les Jeux olympiques ou paralympiques de Paris 2024 devait impérativement être la personnalité sportive de l'année. Or sans avoir participé à l'édition française, Jingkun Xu incarne parfaitement ce double événement planétaire organisé tous les quatre ans. Tout comme Seguin, il a dit adieu aux compétitions paralympiques pour se mesurer aux athlètes valides sur l'une des épreuves les plus difficiles au monde. C'est tout simplement remarquable.