La présidente des commerçants lausannois: «Ça allait exploser»
La présidente de la Société coopérative des commerçants lausannois (SCCL), Anne-Lise Noz, se montre préoccupée concernant l'avenir des siens dans la cité vaudoise. Le collectif «Ma Riponne va cracker» s'est même fendu d'une lettre ouverte adressée au syndic et à la Municipalité, pour fustiger la «situation intenable» liée à l’Espace de consommation sécurisé (ECS).
Interrogée à cet égard, Anne-Lise Noz, à la tête d'une chocolaterie, n'est pas surprise par la grogne. Elle appelle à empoigner le problème et aider les commerçants pour garder la ville de Lausanne attractive.
Les commerçants de la Riponne sont en colère et ont diffusé une lettre ouverte à l'attention du syndic Grégoire Junod. Etiez-vous au courant?
Non, je n'étais pas courant. Mais l'action a eu beaucoup de visibilité dans les médias. J'ai été choquée par le contenu de la lettre et des photos.
Les commerçants lausannois sont-ils dans une mauvaise posture?
La situation est assez grave. Elle l'est depuis un moment et elle est rendue visible ces derniers temps.
Cette grogne semble de plus en plus forte. Il y a eu un moment charnière où la situation s'est fortement aggravée?
La crise du Covid a été une situation difficile pour la majorité des commerçants. A la sortie de la pandémie, il y a eu le déclenchement de la guerre en Ukraine et une instabilité géopolitique qui n'a été rassurante pour personne.
Il y a un autre facteur?
Avant la crise sanitaire, la situation économique était plus ou moins bonne. Les commerçants avaient une trésorerie suffisante pour compenser les mauvais mois de l'année.
Surtout, il y a une addition de problèmes qui décourage les clients; une accessibilité semée d'embuche, la perte de pouvoir d'achat, le sentiment d'insécurité; il y a une dégradation de l'image de Lausanne et ça ne favorise pas la marche des affaires.
Et on ne peut pas compter uniquement sur la clientèle lausannoise?
En tant que commerçant ou commerçante, non, on ne peut pas vivre uniquement avec les habitants lausannois.
Comment se déroule la relation avec la Municipalité?
En tant qu'association faîtière et institutionnelle, la relation est fluide depuis 3-4 ans et on arrive à négocier des éléments qui ont apporté de réelles améliorations sur le terrain.
C'est-à-dire?
Il y a un défaut de prise en compte et de compréhension de ce qui se déroule sur le terrain. Je pense qu'il y a une certaine partie des conseillers communaux qui font la sourde oreille. Nous avons eu dernièrement un débat avec les chefs de groupe des différents partis politiques.
Pouvez-vous développer?
Pour eux, nos soucis viennent principalement du e-commerce, de la perte du pouvoir d'achat et ça s'arrête là. Sauf que quand cela touche une esthéticienne, un avocat, une coiffeuse, une physiothérapeute, ce n'est pas imputable au e-commerce.
N'est-ce pas les loyers exorbitants qui découragent?
Si on regarde les choses en face, au centre-ville, il y a dix ans, ils étaient déjà exorbitants. Il n'ont pas doublé d'une année à l'autre. Par exemple, j'ai eu trois ans de suite des augmentations de loyer pour mon commerce. Mais ça n'explique pas le fait que même des grandes enseignes, implantées depuis longtemps, ferment tour à tour.
Quels sont les facteurs qui obligent les commerces à fermer boutique?
On peut mettre dans la balance les loyers. Il faut aussi mesurer l'insécurité, l'accessibilité, ainsi que la diminution des boutiques en activité qui pèse aussi sur l'attractivité de la ville. S'il y a une perte d'attractivité, ça ne va pas ramener de nouveaux clients, parce qu'il y a de moins en moins d'enseignes. Les partis ne pourront pas se détourner sur la prise en compte de ces facteurs et des manifestations qui se déroulent bientôt tous les week-ends.
Les manifestations impactent les commerces?
Le droit de manifester est inaltérable. Nous, ce qu'on demande, c'est qu'une place soit dédiée (réd: la Riponne) et que les défilés ne bloquent plus le centre-ville tous les week-ends.
Et quelle a été la réponse?
Quand on a posé le problème sur la table auprès de la Municipalité, on a senti une ouverture sur le sujet. Cela a été fait en deux temps. Mais avec d'autres groupes politiques, le débat était plutôt clivant. Pour certains, le droit de manifester sera toujours supérieur à la situation dégradée des commerçants. C'est dur à entendre.
A vous écouter, certains élus communaux ne vous prennent pas en considération.
Une grande majorité des commerçants ne vivent pas à Lausanne. Moi j'y vis. Par contre, le fait d'y passer son temps six jours sur sept nous donne une expérience du terrain qui est rarement prise en compte. Maintenant, il faut qu'on arrive à s'écouter et à se parler. La transition écologique ou urbaine, à mon sens, est mal gérée. Ça va trop vite en comparaison avec ce qu'il se passe sur le terrain.
Rendre la ville de Lausanne piétonne, n'est-ce pas se tirer une balle dans le pied?
Ce n'est pas forcément se tirer une balle dans le pied. Il faut des mesures d'accompagnement. On nous cite souvent Pontevedra, en Espagne, parce que son centre-ville est entièrement piéton et tout roule, les commerçants sont heureux. Mais il faut voir les mesures mises en place.
Lesquelles?
Ils ont construit des parkings en périphérie dans une proportion qui correspond à 10% de la population. Ils ont aménagé des endroits où les voitures peuvent circuler. Ils ont aussi pris une mesure forte en interdisant l'arrivée de supermarchés ou d'hypermarchés en périphérie. Là, à Lausanne, on va avoir un tram au centre-ville. Est-ce qu'il y a des parkings-relais (P+R) qui ont été pensés le long de cette ligne du tram...
Je dirais que non.
Voilà. A Lausanne, on veut avoir des ambitions fortes, avec une transition qui s'est accélérée pendant le Covid, sans passer par les habituelles mises à l'enquête, et on a manqué des mesures d'accompagnement.
Comme des indemnisations pour les commerçants?
Je salue la Ville de Genève qui a instauré ces indemnisations en cas de travaux. Nous sommes aussi en discussion avec la municipalité de Lausanne pour mettre en place ce genre de soutien, dès à présent. Quand vous avez une rue impactée pendant une année par des travaux importants, les commerçants ne tiennent pas le coup. Il faut continuer à les soutenir pour traverser cette période.
A combien chiffre-t-on la perte avec des travaux?
C'est 30% de chiffre d'affaires amputé pour les commerces en général. Je viens de lire qu'à Genève, les autorités ont estimé à 34%.
Ne devrait-on pas se montrer patient avec ces travaux?
La question n'est pas d'être patient. La question, c'est de pouvoir continuer à offrir les conditions-cadres à ceux qui font vivre la ville. Il faut trouver un moyen de soutien pour permettre cette transition sans que de nombreux commerçants passent à la trappe.
N'est-ce pas à nous, consommateurs, de changer nos habitudes pour faire nos courses?
Aujourd'hui, nous sommes sur le chemin du changement et de la manière dont on consomme. Il y a beaucoup personnes qui font des efforts et qui peuvent faire ces efforts. Par contre, on ne doit pas oublier ceux pour qui c'est moins facile. Lausanne doit pouvoir rester accessible pour tout un chacun. Il faut un équilibre.
Vous pensez que la Ville de Lausanne est trop autocentrée?
Quels sont les échos de vos clients qui défilent dans votre chocolaterie?
Les échos négatifs viennent plus souvent des clients qui n'habitent pas à Lausanne. L'accessibilité est devenue compliquée au centre-ville. Avant, ces clients venaient régulièrement. Désormais, ils viennent chez le médecin et profitent de faire quelques courses dans la foulée.
Et du côté des commerçants qui décident de partir de Lausanne, où vont-ils?
On a des commerçants qui ont commencé à délocaliser. Ils se déplacent vers Lutry, Cully; ils optent pour des lieux plus périphériques.
Selon vous, Lausanne n'est plus une ville attractive?
J'aimerais qu'elle le reste. On fait tout pour qu'elle le reste et que nos clients continuent à nous rendre visite. Finalement, chaque commerce qui ferme, s'il n'est pas remplacé derrière, c'est une petite part d'attractivité qui diminue.