Pour la première fois, les Suisses ont dépensé plus d'un milliard de francs pour des produits issus du commerce équitable, et ce, malgré les prix record du cacao et du café. Une évolution sur laquelle revient Fabian Waldmeier, le directeur du label Fairtrade Max Havelaar.
Fabian Waldmeier, quel est votre produit préféré issu du commerce équitable?
Difficile à dire, mais le plus important pour moi, c'est sans doute le café bio Fairtrade. Si je n'en ai pas, je n'arrive pas à me lever le matin.
Justement, que rapporte le label commerce équitable Fairtrade à un paysan qui produit ce café?
Actuellement, le prix sur le marché mondial est très élevé, c'est pourquoi il ne faut pas tenir compte de notre prix minimum, qui s'élève à 1,80 dollar la livre. Il y a une prime Fairtrade de 20 centimes par livre de café vert. Pour le bio, nous versons un supplément de 40 centimes.
Pour 500 grammes de café torréfié, cela représente donc un peu plus de 3 francs.
Le producteur peut-il en vivre?
Dans le cadre du commerce équitable, c'est toujours le prix du marché ou le prix minimum qui est payé, auquel s'ajoute une prime. Le revenu effectif d'un producteur de café dépend d'autres facteurs. Actuellement, les prix sont certes élevés, mais les pertes de récolte sont également importantes.
De plus, les prix baisseront à nouveau. C'est pourquoi le concept de commerce équitable avec des prix minimums garantis reste pertinent.
L'année dernière, les commerçants suisses ont vendu 22% de café Max Havelaar en plus. D'où vient cette croissance?
L'an dernier, de nombreux commerçants et torréfacteurs ont élargi leur assortiment. L'entreprise romande La Semeuse en est un exemple, et a doublé son chiffre d'affaires Fairtrade l'an dernier. En Suisse, le café équitable représente une part de marché de 18%, il y a donc encore une marge de progression. A titre de comparaison, pour les bananes, notre part de marché est de 52%. Notre objectif à long terme est d'atteindre également cet ordre de grandeur pour le café.
Les ventes de jus d'orange ont été moins bonnes en revanche. Qu'est-ce qui a posé problème?
D'une manière générale, les consommateurs suisses achètent moins de jus d'orange depuis un certain temps. Il y a aussi eu des difficultés d'approvisionnement, et certains produits ont dû être retirés du marché. C'est pourquoi les ventes ont baissé, ce qui est dommage pour les petits producteurs du Brésil.
La demande de cacao et de café est revanche restée massive. Malgré des prix qui ont fortement augmenté, et alors que les produits issus du commerce équitable sont encore plus chers. Cela n'a apparemment pas découragé votre clientèle.
C'est vrai. La demande semble toujours être là, malgré la hausse des prix. Il est possible que l'inflation ait entraîné des décalages, c'est-à-dire que les clients se soient tournés vers des produits moins chers.
C'est aussi grâce à cela que nous avons pu augmenter notre chiffre d'affaires de 4% l'année dernière, principalement grâce à l'augmentation des volumes.
En 2024, les distributeurs suisses ont vendu pour la première fois des produits labélisés Max Havelaar pour une valeur de plus d'un milliard de francs. Quels ont été les produits les plus populaires?
Le chocolat, les bananes et le café ont été les moteurs des ventes. Outre ces produits Fairtrade classiques, nous avons enregistré une croissance réjouissante pour les fruits secs et les noix, mais également pour les fleurs coupées.
La Suisse est probablement aussi leader en raison de son pouvoir d'achat élevé?
C'est une explication. Les Suisses achètent en moyenne pour 112 francs de produits équitables par habitant, ce qui est un record mondial. Une autre raison est la grande notoriété de notre label, ainsi que la structure unique du commerce avec les deux grandes coopératives Migros et Coop.
Ce pouvoir d'achat élevé pourrait justement inciter les commerçants à optimiser leurs marges grâce à votre label. Comment empêchez-vous cela?
En tant que donneurs de licence, nous n'avons aucune influence sur les prix de vente dans les rayons. Nous fixons les prix minimums et les commissions pour la vente des matières premières. C'est notre seul moyen d'intervention.
Mais il n'est pas dans votre intérêt que la clientèle soit flouée, et c'est d'ailleurs un reproche que l'on fait aux aliments bio.
Notre objectif est qu'un maximum de paysans puisse vendre leurs produits aux conditions du commerce équitable.
Nous souhaitons évidemment que les produits équitables soient abordables, et ne constituent pas seulement des produits de niche aux prix élevés. C'est pourquoi il est intéressant pour nous que le Fairtrade soit disponible dans toutes les catégories de prix.
Malgré une croissance de votre chiffre d'affaires, il reste encore beaucoup à faire. Sur l'ensemble des 30 milliards de francs de produits alimentaires vendus en magasin, votre influence reste modeste. Cette situation vous dérange-t-elle?
Cette comparaison est trop réductrice. Nous ne certifions par exemple ni le lait ni la viande. Pour établir une comparaison, nous devrions donc nous limiter à notre assortiment. On verrait alors que les aliments équitables occupent une place importante. Par exemple, une banane sur deux vendues porte notre label. Mais il est clair qu'il y a encore beaucoup de potentiel.
Vous avez mentionné les grands distributeurs. Migros a récemment déclaré, dans le cadre de sa restructuration, que le développement durable n'était plus une priorité. Comment percevez-vous cela?
Nous sommes en dialogue permanent avec Migros, et la collaboration est constructive. Nous partons donc du principe que nous pourrons continuer à nous développer avec ce détaillant dans le domaine du commerce équitable. La nouvelle stratégie de développement durable de cette entreprise est ambitieuse, mais elle souligne simplement que les produits issus du commerce équitable ne doivent pas être des biens de luxe. C'est dans ce contexte délicat que nous devons évoluer.
Comment cela doit-il se faire concrètement ? Le développement durable n'est pas gratuit.
C'est exactement ça, le développement durable n'est pas gratuit.
Les chocolats «Prix Garantie» de Coop, qui sont également produits avec du cacao issu du commerce équitable, en sont un exemple. Pour d'autres produits, comme le café bon marché, cela n'est pas possible, car la formule garantissant un prix minimal et des primes ne fonctionne tout simplement plus.
Dans le domaine des labels durables, tout est un peu confus. Lindt, par exemple, préfère miser sur ses propres programmes et labels. Comment comptez-vous convaincre de tels acteurs de vous rejoindre?
Notre label peut être utilisé de manière complémentaire. Nespresso, par exemple, a son propre programme de durabilité, qui vise surtout la qualité. L'entreprise mise néanmoins sur Fairtrade Max Havelaar pour certaines variétés de café, car:
Grâce à une bonne marche des affaires, vous avez pu percevoir l'an dernier des droits de licence de 9,2 millions. Qu'est-ce qui en est fait?
Lorsque la fondation suisse Max Havelaar a été créée en 1992, il était clair que nous devions être autosuffisants. Pour cela, nous avons introduit des droits de licence. Un tiers de ces recettes est versé à l'organisation faîtière Fairtrade International ainsi qu'aux différents réseaux dans les pays producteurs.
Votre fondation porte le nom de Fairtrade Max Havelaar. Dans le roman éponyme de 1860, le fonctionnaire colonial fictif Max Havelaar critique l'exploitation de l'île de Java par la domination néerlandaise. Avez-vous lu le livre?
Oui, je l'ai trouvé très intéressant. Mais il n'est pas facile de suivre son intrigue, qui a plusieurs couches.
Que retirez-vous de ce livre?
Nous évoluons aujourd'hui dans un commerce de produits et de marchandises qui a une longue histoire. Autrefois, on parlait aussi de commerce de marchandises coloniales. Les défis auxquels nous sommes encore confrontés aujourd'hui ne sont pas nouveaux, ils remontent à loin. Il faut de l'énergie pour changer les choses. Le personnage de roman du livre le montre, il faut bien commencer un jour. C'est pourquoi le livre a donné son nom à Fairtrade Max Havelaar lors de sa création, mais il se déroule à une autre époque.
Le fossé Nord-Sud n'a toutefois guère changé. En Suisse, le cacao ne pousse pas, mais l'industrie chocolatière touche la majeure partie de la valeur ajoutée. On pourrait encore qualifier cela de colonialiste.
Je ne parlerais pas de colonialisme. Mais nous avons toujours une chaîne d'approvisionnement dans laquelle il existe une nette inégalité de pouvoir. Il faut en être conscient et se demander quelle est notre position de pouvoir, et celle de notre interlocuteur. Nous essayons de renforcer la position des producteurs et de les impliquer.
Ce serait encore mieux pour les pays producteurs si, un pays comme le Ghana par exemple, pouvait produire lui-même du chocolat à partir du cacao. Vous êtes d'accord?
De telles approches sont absolument essentielles. Il existe des exemples de coopératives certifiées Fairtrade qui produisent sur place des produits semi-finis, comme le beurre de cacao. Ou dans le cas du café en Amérique latine, où les plus grandes entreprises du commerce équitable ont leurs propres torréfacteurs, avec lesquels elles approvisionnent au moins le marché local.
Une plus grande transformation sur place et l'exportation de tels produits seraient souhaitables, dans une perspective de politique de développement, mais il faudrait également s'attaquer au cadre politique. Les droits de douane sur les produits transformés sont parfois plus élevés que ceux sur les matières premières. Cela complique l'exportation depuis les pays du Sud.
Traduit de l'allemand par Joel Espi