Lorsque Louane a sorti sa ballade Maman fin 2015, la jeune femme, alors âgée de 19 ans, venait de devenir orpheline: ses deux parents étaient décédés à peu d'intervalles l'un de l'autre.
Sept albums et dix ans plus tard, la musicienne française participe à l'Eurovision avec une toute nouvelle version de la chanson. Elle n'a jamais rêvé de participer à ce concours, avoue-t-elle lors d'un entretien dans son hôtel bâlois avec CH Media. Elle y participe surtout parce que la délégation française l'y a invitée.
Vos débuts d'artiste en France ont été spectaculaires: vous flottiez à douze mètres au-dessus du sol dans un stade rempli de 80 000 personnes. L'Eurovision peut-il encore vous rendre nerveuse?
Oh oui, sans aucun doute. L'Eurovision est une expérience totalement différente – et terriblement éprouvante pour les nerfs.
La compétition est incroyablement exigeante, bien plus sur le plan émotionnel que sur le plan physique. Lorsque j'ai chanté dans le stade, c'était un concert, alors que l'Eurovision est un concours – cela provoque des sentiments très différents.
Votre chanson est très personnelle – elle parle de la mort de votre mère et de votre propre maternité. En même temps, vous représentez votre pays. Comment gérez-vous cette contradiction?
Pour moi, ce sont deux dimensions complètement différentes. Sur le plan émotionnel, ce n'est pas difficile pour moi – j'ai toujours écrit des chansons très personnelles qui parlent de mes pensées et mes sentiments les plus profonds.
D'autant plus que Maman n'est pas une chanson triste, mais pleine d'espoir. Son message est le suivant: peu importe ce que vous traversez, vous vous en sortirez. Je n'ai pas peur des émotions. Par contre, j'ai un peu peur de la compétition. Mais c'est normal – du moins je l'espère.
Vous avez déjà publié Maman en 2015 et vous l'avez désormais entièrement réécrite. À qui s'adresse cette nouvelle chanson: à votre mère décédée, à vous-même ou à votre fille de cinq ans?
Pour moi, c'est plus qu'une simple version – c'est une nouvelle chanson, très différente. Le seul point commun avec la chanson de 2015 est le thème, c'est-à-dire une conversation avec ma mère.
Maman s'adresse à parts égales à ma mère et à ma fille. Elle ne s'adresse pas à moi – j'ai traité ces thèmes entre-temps.
Vous avez fait retirer l'ancienne version de Maman de toutes les plateformes de streaming. Pourquoi cela? Ne serait-il pas intéressant de garder l'ancienne chanson disponible dans le cadre de votre développement artistique?
Il se peut que cette ancienne chanson fasse partie de mon évolution artistique. Mais elle fait surtout partie de ma vie. Cette période a été douloureuse pour moi – trop douloureuse. C'est pourquoi je ne veux pas que cette chanson continue à faire partie de mon œuvre.
Je suis convaincue que ma mère est dans un endroit où elle a trouvé la paix. Et j'aimerais qu'elle n'entende plus qu'un seul message de ma part: à savoir que je vais bien et qu'elle peut être fière de moi. Cela peut sembler égoïste. Mais c'est mon chemin personnel et ma décision.
Votre chanson est calme, presque intime – et pourtant, elle fait de vous la favorite des bookmakers. Comment expliquez-vous l'écho de cette chanson?
Je ne sais pas exactement. Mais je pense qu'il y a deux messages centraux. Le premier est universel, car il parle de la maternité. C'est un thème auquel beaucoup peuvent s'identifier.
Qu'il s'agisse, comme dans mon cas, de la mort prématurée de mes deux parents ou d'autre chose. C'est mon message principal. Cette chanson s'adresse aux personnes que nous aimons, pour leur dire: ça a été très dur pour moi – mais maintenant, je vais enfin mieux.
Comment le fait de devenir mère a-t-il changé votre regard sur votre propre musique et sur le monde?
Peu de choses ont changé dans ma musique, à part le fait que je chante maintenant de temps en temps sur ma fille. Dans ma vie, en revanche, tout a changé. Quand on met un enfant au monde et qu'on le tient pour la première fois dans ses mains, c'est un sentiment indescriptible. C'est un véritable ascenseur émotionnel: il y a beaucoup d'amour, beaucoup de joie – mais aussi de la peur, car tout semble soudain possible. Être mère – ou devenir parent en général – est bouleversant. La naissance de ma fille est l'événement le plus incroyable de ma vie. Ma fille est mon soleil.
Votre spectacle a été conçu par Fredrik Rydman, qui s'est occupé du spectacle de Nemo l'année dernière. Comment s'est passée la collaboration?
C'était fantastique! C'est un génie. Pour la toute première rencontre, il est venu me voir chez moi. Il a immédiatement développé une vision claire du spectacle au cours de notre conversation. Ensuite, nous avons répété en permanence en Suède et en France. Le sable joue un rôle très important dans le spectacle: je me tiens dans un sablier.
Une victoire à l'Eurovision serait un moment particulier – pour vous, mais aussi pour votre famille. Que signifierait-elle pour vous?
Ce serait le plus beau cadeau pour honorer ma mère. Ce serait aussi une façon de remercier mon pays. Mes parents n'étaient pas français – mon père était polonais et allemand, ma mère portugaise et brésilienne. Leurs familles sont venues en France, et j'ai grandi là-bas, dans un pays merveilleux.
Quant à ma famille, elle serait tout simplement incroyablement fière. Ma sœur deviendrait complètement folle. (aargauerzeitung.ch)
Traduit et adapté de l'allemand par Léa Krejci