Ces paroles ne vous disent rien? Il faut croire que vous n'êtes pas sur TikTok. Ou alors, que votre algorithme a prohibé toute nouvelle tendance musicale qui frise un chouïa le code, en expurgeant des mots comme «fiak» («fesses» en langage familier), «seins» ou encore «BBL» (le «Brazilian Butt Lift» renvoie à une opération visant à agrandir ou remodeler les fesses).
Car, qu'on le veuille ou non, cette chanson complètement farfelue a débarqué voici quelques semaines dans nos «Pour Toi» et a déjà pété nos crânes à force de passer en boucle sur des trends à toutes les sauces.
@jesuispuki Jpeux forcer encore un peu ou pas ???
♬ KONGOLESE SOUS BBL - Theodora
Le titre du son? Un très sobre Kongolese sous BBL, qui tâte autant de la pop que du «bouyon» des Antilles, un son percutant originaire de la Dominique très apprécié dans les remixes. A son écoute, impossible de ne pas avoir envie de se lever de sa chaise, et de jeter son plus beau twerk en plein open space (cela dit, même si la tentation est grande, attendez l'afterwork).
Le clip est bien entendu à l'image de son artiste, Theodora, 21 ans seulement, mais un bagout détonant dégoupillé comme une petite grenade de self-love. En un banger, l'artiste parisienne d'origine congolaise a déjà généré 4 millions de streams au compteur de Spotify.
Sur YouTube, le clip explose aussi les bilans avec 2 millions de vues, tandis qu'ils sont plus de 100 000 fans à suivre celle que l'on surnomme désormais la Boss Lady sur TikTok. Mi-novembre, c'est au tour de Skyrock de flairer le bon filon et de s'engouffrer dans la brèche en l'intégrant à sa playlist. La nouvelle venue se retrouve désormais sur les grandes ondes, se disputant les bonnes notes du Top Singles au coude à coude avec des maestros comme Gims ou Gazo.
Dans le clip Kongolese sous BBL, l'ultra-féminité de Theodora partage les spotlight avec un second degré assumé, à l'image de son look criard à base de grillz bling et d'ongles strassés, aussi chargés qu'une oeuvre de Damien Hirst. Sans oublier les perruques aux reflets scarabée ou carrément bleu électrique façon Umi Ryuuzaki.
Un look très éloigné de celui d'une étudiante de l’ENS (École normale supérieure), dont Theodora avait d'abord intégré la classe prépa'. Avant de laisser tomber l'idée d'une carrière politique, comme l'explique l'artiste dans cette interview.
Quant aux paroles, elles ne sont pas à prendre avec des pincettes, mais avec un humour décomplexé. Que les prudes qui ont le rire bloqué dans l'œsophage depuis la naissance éloignent leurs oreilles!
@cosmeticary_bxl Réponse à @K’ pov : ton boss ressemble au chouchou des nanas @Milhan @Boss lady 💋🪖 #milhan #soledad #kongolesebbl #bestboss #skincare #cosmeticary #bruxelles #fyp ♬ son original - taylor
Kongolese sous BBL agit comme une pilule effervescente et a permis à son artiste de devenir mainstream.
Cependant, l'antichambre musicale de Theodora n'est pas uniquement tapissée de posters de Polly Pockets trashy «pétées sous Cali». L'artiste parisienne, fille d'un opposant politique au président Joseph Kabila, née en Suisse puis parachutée dans le 77, aime faire les choses de façon carrée, et n'a pas peur de viser grand. Elle a dévoilé début novembre une mixtape de 10 titres, intitulée Bad Boy Love Story, et produite par son frère Jeez Suave.
La galette émulsionne dans son chaudron euphonique des influences aussi diverses que l'afrobeat, la pop, ou encore le shatta, en passant par le rap. Un univers de bonbon acidulé qu'on avale sans hoqueter, et qui n'est pas sans nous replonger dans une vibe nostalgique des années 2000.
Dans ses visuels, comme dans ses paroles, pour reprendre les termes du média Nova, Theodora ne renie pas un certain engagement; elle tient à valoriser la beauté de la femme noire, et rejette le parallèle constamment tiré entre l'hyperféminité et la vulgarité, ou encore la superficialité. Fière de ses origines et de sa féminité, Theodora compte bien assumer ce qui fait d'elle un être unique, et n'hésite pas à jouer sur les codes du «trop» et de l'«excès» pour marteler son message comme un clou dans la bien-pensance.
Pour Theodora, sa musique appartient avant tout au «peuple»:
A écouter l'album, on valide fort les titres FNG et 233 km/h. Et on reprendrait bien un doigt de phonk mélancolique sur Entracte: Histoire d’amour, Commérages et Chardonnay.
Surfant sur son aura de phénomène émergent, et malgré les quelques doigts tendus qui l'accusent d'appropriation culturelle du bouyon antillais, Theodora profite à fond de sa hype soudaine. Elle a d'ailleurs été invitée à se produire sur la scène de la véritable «girl boss» du rap francophone, Shay, à Bruxelles.
A la voir aussi à l'aise, difficile de prêter à cette ex-étudiante de l'ENS une autre trajectoire que celle d'une artiste bien dans sa peau et dans sa génération.
Reste à savoir si cette révélation de l'automne saura décoller l'étiquette «buzz du moment», pour devenir la machine à tube qu'elle promet d'être en 2025.