Notre rencontre a lieu sur l'Astoria, une péniche mythique. Construite en 1911, elle se situe sur la Tamise au sud-ouest de Londres, et appartient depuis 1985 à l'ancien guitariste de Pink Floyd, David Gilmour. C'est là que les albums des Floyd A Momentary Lapse of Reason et The Division Bell ont été composés.
Le bateau est entouré d'un jardin bien entretenu, semblable à un parc. Gilmour, 78 ans, tout de noir vêtu, est en bonne santé, éloquent et d'excellente humeur. Pour que cela reste ainsi, son assistant conseille d'éviter, si possible, les questions sur son ennemi juré et ex-collègue Roger Waters. Parlons donc plutôt de choses réjouissantes. Par exemple de l'exquis nouvel album de Gilmour, Luck And Strange, son premier depuis 2015.
watson: Romany, votre plus jeune fille, qui à 22 ans, chante sur la chanson Between Two Points. Quand avez-vous découvert sa voix fantastique?
David Gilmour: Ce n'est rien de nouveau pour moi. (rires) Pendant la période de confinement, nous avons diffusé quelques concerts depuis notre grange avec notre petit groupe familial. C'est là qu'il est devenu évident que sa voix et la mienne s'accordaient à merveille.
Votre avant-dernier album est paru il y a neuf ans. Pourquoi cela a-t-il duré si longtemps?
Mes albums commencent toujours lentement. Chez moi, cela peut prendre des années avant qu'un nouveau projet prenne son envol. Les chansons évoluent à leur rythme. Ça se forme tout seul. C'est la magie de ce travail – la musique me prend par la main.
Pouvez-vous décrire comment cela se passe?
Malgré de nombreuses années d'expérience, je ne sais toujours pas vraiment comment cela fonctionne. Je ne prétends pas qu'un être supérieur déverserait son génie sur moi ici et là. Ce concept me semble imaginé par des hippies. Mais je ne veux pas le rejeter complètement.
Vous avez écrit la musique ici, sur l'Astoria. Dans quelle mesure la rivière vous inspire-t-elle pour composer?
Flotter sur l'eau, que ce soit une rivière, un lac ou la mer, ça vous fait quelque chose. Cela a sa propre magie, son propre charme. C'est une source d'inspiration. Nous venons tous de l'eau, nous avons rampé hors de l'eau il y a des millions d'années. Au fond, nous sommes toujours des êtres aquatiques. L'eau m'apporte de la paix.
Dans la chanson-titre Luck And Strange, vous faites un retour sur votre enfance, sur l'âge d'or des sixities et des seventies.
J'ai grandi à une époque plus libre et insouciante.
Nous avons également connu des guerres, comme la malheureuse guerre du Vietnam, mais un fort optimisme régnait dans le monde. Le mouvement hippie, pour lequel j'avais de la sympathie, proposait quelques utopies merveilleuses. Nous croyions en un monde meilleur, nous croyions en «All You Need Is Love», même si nous nous doutions bien sûr que l'amour seul ne suffirait pas non plus. Malgré tout, je suis resté optimiste jusqu'à aujourd'hui.
Serait-il approprié de vous qualifier de hippie?
Non, je ne suis pas un hippie. Je suis une personne très terre à terre et je vis dans un monde capitaliste. Je suis sûr qu'il pourrait y avoir de meilleurs systèmes économiques. Mais je vis dans ce monde et je participe à ce monde et à ses activités. Je ne me qualifierais pas de capitaliste, mais bien sûr, je le suis aussi.
Est-ce qu'il y a parfois des collisions dans votre système de valeurs entre votre côté capitaliste et votre côté, disons, socialiste?
Oui, cela arrive tout le temps. Il faut alors se battre jusqu'à ce qu'on trouve un compromis.
Queen a récemment vendu les droits de ses chansons pour un milliard de dollars américains. Envisagez-vous de faire de même?
J'aimerais bien vendre les chansons de Pink Floyd. Je n'ai pas besoin de cet argent, mais c'est épuisant de devoir prendre sans cesse des décisions concernant ce matériel. J'aimerais bien me débarrasser de ces trucs.
Le nouvel album, c'est la musique que je veux faire aujourd'hui, qui signifie tout pour moi, qui reflète où je me trouve dans ma vie.
Il faudrait bien sûr que vous soyez tous d'accord. Et comme on le sait, il n'est pas facile de se mettre d'accord avec Roger Waters sur quoi que ce soit...
Si, si, j'ai bon espoir que cela arrive tôt ou tard.
The Piper's Call parle du mirage des drogues. Vous êtes-vous toujours tenu à l'écart de ces produits?
Non, je ne peux pas en dire autant. Je n'étais pas un ange.
Mais depuis de nombreuses années, je me limite à la consommation de produits légaux.
Rick Wright, décédé en 2008 à l'âge de 65 ans, joue à titre posthume sur l'album. Que signifie pour vous le fait de l'entendre dans la chanson-titre avec un vieil enregistrement de clavier datant de 2007?
C'est merveilleux d'avoir Rick avec nous. J'ai utilisé une petite jam-session que nous avions eue ensemble. J'en ai beaucoup d'autres, mais j'ai trouvé cette idée particulièrement motivante. Nous avons joué et rejoué ce seul accord dans l'original pendant environ vingt minutes.
Cette chanson est-elle une sorte de pont vers Pink Floyd?
Je ne me soucie pas beaucoup de l'héritage de Pink Floyd. J'ai quitté ce groupe, non, Roger a quitté ce groupe quand j'avais la trentaine. Et maintenant, j'ai passé 70 ans. Je ne pense pas beaucoup à Pink Floyd. Nous nous sommes bien amusés – la plupart du temps.
(Traduit et adapté de l'allemand par Léa Krejci)