Les images ont fait couler beaucoup d'encre et de larmes à travers les Etats-Unis et dans le monde entier: le 35e président des Etats-Unis John Fitzgerald Kennedy a été abattu, à Dallas, le 22 novembre 1963.
L'histoire derrière cette exécution sur les routes texanes a nourri de nombreuses zones d'ombre. Les discussions sont multiples et persistent dans les troquets du coin avec des théories plus fumeuses les unes que les autres. Mais pas seulement, puisque les intellectuels et les médias n'ont cessé de décortiquer les différentes hypothèses.
Et si Lee Harvey Oswald, ancien marine et militant communiste ayant vécu en Union soviétique, n'était pas le meurtrier? Et s'il n'avait pas opéré seul? Et si, et si...
L'enquête n'a jamais été refermée, des archives sont rendues publiques au compte-gouttes, mais d'autres continuent d'être gardées sous-scellés - 97% des documents de la collection de la CIA sur l’assassinat de JFK ont été divulgués. Autre détail, on ne connaîtra le témoignage de Jackie Kennedy qu’en 2039, à l’issue des 75 ans du délai imposé par la Commission Warren.
Ce drame est un terreau fertile pour les théoriciens du complot; des centaines de versions sont exposées, allant de l'implication de la CIA à la mafia de Chicago, en passant par les extraterrestres.
La population américaine reste encore sous le choc, même de nos jours. Mais c'est surtout un pan historique que les écrivains (Marc Dugain a par exemple publié un livre, Ils vont tuer Robert Kennedy) ou encore Oliver Stone en tête de gondole avec son film JFK (1991) ont décortiqué, noirci des pages et des pages pour tenter d'éclairer les dessous du cas JFK.
En particulier le cinéaste qui en a remis une couche avec JFK revisited, un documentaire sorti en 2021 - par ailleurs refusé par Netflix. L'Américain martèle que la mort de JFK est liée à une équation «militaro-industriel». Kennedy voulait mettre fin à la guerre froide, refusait aussi que Fidel Castro ne soit exécuté par la CIA. Tout un tas d'informations qui ne font que gonfler le mystère entourant JFK et abreuvant la soif (théorique) des complotistes.
Selon Pascal Wagner-Egger, chercheur en psychologie sociale à l'Université de Fribourg et auteur du livre Psychologie des croyances au théorie du complot, le drame de Dallas est bien un pivot pour la complosphère: «Je pense que oui. Je cite toujours JFK comme première théorie du complot de notre époque moderne.»
Le fonctionnement d'un complotiste est très irrationnel, nous explique Pascal Wagner-Egger, décrivant un fonctionnement basé sur des anomalies: «Une anomalie est toujours une preuve indirecte. Vous ne pouvez pas vous rendre devant un tribunal avec ce genre d'indices. Au mieux, c’est le début d’une enquête.». Par exemple, les indices qui suggèrent l’existence de plusieurs tireurs dans l’affaire JFK ne sont pas des preuves.
L'enseignant-chercheur confirme que «certaines théories du complot sont plus plausibles que d’autres, comme l’assassinat de JFK par rapport à la Terre plate», mais derrière ces histoires souvent intéressantes, presque fascinantes à entendre, «il est irrationnel d’y croire avant le terme d'une enquête», tranche-t-il. «A partir de données erratiques, ces anomalies apparentes (la plupart ne le sont pas) ne sont pas des preuves de complot.»
Les complotistes donc, et dans le cas de l'assassinat de JFK, se basent sur des preuves insuffisantes.
«Un autre biais du complotisme est d’attribuer à un événement important une cause importante», rappelle Pascal Wagner-Egger, affirmant que «des recherches ont montré que si un président est seulement blessé par des tirs, les gens y verront moins le résultat d'un complot que si le président meurt (alors qu’en réalité il n’y a pas de différence). C’est ce qu’on appelle le biais de proportionnalité.»
Dans cette course à la vérité étouffée, le 22 novembre 1963 pourrait être la naissance du complotisme moderne et une première rampe de lancement avant le 11 septembre 2001? «Oui, sans doute. De plus, la CIA est ciblée dans les deux cas, et croire à un complot amène à croire à d’autres complots », confirme le professeur universitaire.
Les conspirationnistes ont un problème de méthode, selon Pascal Wagner-Egger, qui explique que leurs enquêtes sont toujours dirigées vers leur propre vérité. Une méthode qu'on appelle la cognition motivée. «Ils vont chercher ce qui va dans leurs sens. La conclusion est posée au début, et tous les efforts seront de trouver des éléments qui confirment cette conclusion déjà formée, en ignorant les éléments contraires.»
Lors de ces 60 années qui ont fait naître tant de doutes et de versions fantasmées, le meurtre de JFK peut être vu comme une modification de notre rapport à la vérité. «Comme c’est un cas non-résolu, la porte reste ouverte à toutes les hypothèses. De très nombreuses théories du complot accusant la CIA, le KGB, le milieu anti-castriste, etc., ont vu le jour, et seule la déclassification des dossiers pourrait peut-être apporter une réponse.»
Mais alors pourquoi ces enquêteurs improvisés ne cessent de redoubler d'inventivité et d'efforts, et de s'infliger des heures et des heures de recherches. Les complotistes sont «d’immenses narcissiques et ont un besoin de briller», décrypte le chercheur.
L'Amérique et les fadas de conspirationnisme ne peuvent se tenir à la version de la Commission Warren, rendue en septembre 1964. Pour eux, Dealey Plaza est une vérité bien moins romanesque que celle construite par ces théories le plus souvent musclées. A force de chercher des signes partout, il n'est pas possible de refermer le chapitre, car l'affaire est trop vendeuse.
Le monde ne peut accepter une vérité parfois fade et moins glamour.
Pour Pascal Wagner-Egger, la sphère complotiste surfe sur cette sensation d'être «les chevaliers de la vérité» et au niveau psy, d'obtenir «une revanche face aux élites» par le prisme de discours faussés. Et l'enseignant-chercheur de conclure que «la pensée rationnelle admet l’incertitude, et ne cherche pas à conclure avant d’avoir des preuves».