Entre les grognements de notre oncle Bernard et les appels au boycott du top model Gigi Hadid, le monde entier se sent l'obligation de donner son avis sur le conflit israélo-palestinien. Au milieu du brouhaha, il n'y a guère qu'une institution dont on n’attendait rien. A l'exception, peut-être, d'un silence distant. La royauté britannique. C'est dire la surprise générale lorsque William, ce prince qui s'était toujours efforcé de rester le plus discret et le plus consensuel possible, a ajouté sa voix à celles de la mêlée.
Le communiqué est tombé mardi, sur les réseaux sociaux, à l'issue d'une rencontre avec des employés humanitaires de la Croix-Rouge britannique. Les mots sont saillants, le ton vibrant, les propos précis, sans les platitudes polies auxquelles nous ont accoutumé les communicants du palais.
Cette déclaration publique, la plus audacieuse et la plus passionnée jamais publiée par le prince de Galles, valait bien une réponse. Quelques heures plus tard, le gouvernement israélien répliquait à la missive de Son Altesse par un sec: «Les Israéliens souhaitent bien entendu que les combats cessent le plus rapidement possible, ce qui sera possible une fois que les 134 otages auront été libérés et que l'armée terroriste du Hamas, qui menace de répéter les atrocités du 7 octobre, aura été démantelée.»
C'était tout. Ne restait que l'énorme surprise suscitée par l'intervention royale du bon prince de Galles, sur l'un des conflits mondiaux les plus polémiques et les plus délicats de mémoire récente. Un coup d'épée tranchant dans des décennies de tradition royale. Celle de se tenir soigneusement à l'écart de la politique et des sujets qui fâchent.
Une tradition de neutralité instaurée bien avant le règne d'Elizabeth II, mais dont la défunte reine avait fait une priorité absolue. Durant 70 ans, Elizabeth s'était appliquée à ne formuler aucun commentaire politique. Encore moins à dispenser des conseils non sollicités sur les affaires internationales. C'était tout particulièrement le cas du Moyen-Orient. «Une patate chaude», résume un ancien assistant du palais au Times, dont la reine n’avait surtout pas voulu s'emparer. Son petit-fils, William, lui, a préféré «enfiler ses gants de cuisine».
Si le statut de l'héritier du trône autorise à peine plus de libertés que celui de souverain, même l'ancien tenancier du titre, Charles, pourtant réputé pour «s'exprimer» avec passion sur tous les sujets qui lui tiennent à cœur, avait quelques scrupules à dépasser les limites. Lancé sur l'agriculture biologique ou l'homéopathie, il pouvait s'interrompre brusquement sur sa lancée. Sa parade consistait alors, selon des initiés, à avancer ses poignets comme s'ils étaient liés par des menottes invisibles. Des menottes que William, lui, a arrachées.
A présent que son père s'est retiré de ses fonctions publiques pour suivre son traitement contre le cancer et qu'il s'apprête à le remplacer pour telle ou telle occasion, la prise de parole de William laisse un avant-goût prégnant du jour où il prendra les commandes: celui d'un homme d’Etat impliqué sur la scène mondiale.
Un pied dans le plat politique et une preuve supplémentaire que William envisage son rôle de monarque bien différemment de sa défunte grand-mère. A en croire ses proches, le prince n'entend pas s'arrêter en si bon chemin. Sa déclaration sur le conflit israélo-palestinien ne sera pas la dernière - d'autres interventions sur des crises nationales ou mondiales devraient jalonner son mandat.
Au cours des dernières années, en privé, le prince de Galles n'a jamais fait mystère de sa volonté de «repousser les limites». De signifier quand, où et comment faire avancer les causes qu'il juge importantes - sans pour autant compromettre sa position publique, encore moins celle de la Firme.
La guerre qui déchire le Moyen-Orient constitue pour lui une excellente rampe de lancement. En 2018, William est entré dans l’histoire en devenant le premier membre de la famille royale britannique à se rendre en Cisjordanie occupée, pour visiter un camp de réfugiés palestiniens, auxquels il avait juré lors d'un discours: «Vous n'êtes pas oubliés».
Si cette intervention était extrêmement risquée pour la sacro-sainte neutralité royale, le prince de Galles ne s'est pas jeté naïvement dans le bain. Entre une grand-mère et un père qui n'ont cessé toute leur vie de naviguer entre pensées privées et devoir public, il a grandi à bonne école. Sans oublier l'influence de sa mère, Lady Diana, qui a toujours rejeté l'idée selon laquelle un appel à l’aide humanitaire relevait de la dérive politique.
Avant de publier cette déclaration, William a «beaucoup réfléchi», évalué les options, pesé ses mots. Et fini par trancher. Les images d’enfants innocents pris dans un conflit et la catastrophe humanitaire en cours à Gaza valaient bien le risque de susciter une polémique. D'autant que le risque était contrôlé.
Bien qu'on ignore si William a reçu l'approbation du roi avant avant de publier son appel à «cesser les combats», on sait qu'il avait celui du gouvernement britannique. Avant publication, son communiqué a été soumis au ministère des Affaires étrangères, avant d'être transmis à Downing Street et de finir sur le bureau du premier ministre Rishi Sunak, qui l'a validée avec enthousiasme.
Ce qui n'a pas empêché le prince William de s'attirer son lot de controverses et d'angoisses. Pendant qu'un ancien ministre s'insurgeait auprès du Times de cette intervention «imprudente», voire «troublante», un autre déplorait «une approche hautement risquée de la part du prince de Galles qui, je le crains, pourrait entraîner des conséquences et des complications inattendues».
«Le principe sous-jacent de notre monarchie constitutionnelle, c'est que les membres de la famille royale ne s'engagent pas dans des questions politiques controversées», renchérit un député au Telegraph, «du moment où il existe des convictions divergentes et fermement ancrées dans ce pays»..
A ces craintes et critiques, le palais de Kensington réplique que le message de William reste largement apolitique. Son communiqué n'appelle en effet ni à un cessez-le-feu immédiat ni à une solution à deux Etats. «C'est quelque chose dans lequel nous ne nous impliquerions pas», insiste un assistant.
Un constat partagé par l'historien Eugene Rogan, de l'université d'Oxford. Pour lui, le prince a réussi son tour d'équilibriste: «Certains lui reprocheront forcément de ne pas s'attarder sur les Israéliens retenus en otages par le Hamas à Gaza. D’autres auraient pu souhaiter que son langage soit plus énergique, par exemple en appelant à un cessez-le-feu 'immédiat'.»
Que cette extraordinaire prise de risque suscite éloges ou critiques, une chose est sûre: mûrement réfléchie, pesée et soupesée, la déclaration de William ne relève pas d'un coup de tête ou d'un caprice. Une autre l'est moins: si ce genre de positionnement deviendra une habitude qui définira son héritage en tant que prince de Galles... Et, un jour, en tant que roi.