Le soleil brille sur la Californie, jeudi 4 mai, lorsque le duc de Sussex embrasse une dernière fois sa femme et ses enfants, avant d'être escorté par son service de sécurité privé vers l'aéroport. Une centaine de miles séparent son manoir de Montecito de Los Angeles, où l'attend un vol de nuit d'American Airlines à destination de Londres.
Harry le sait: les prochaines heures seront longues, rythmées par les files d'attente, les sandwichs avalés sur le pouce, les sauts de puce en voiture, le manque de sommeil.
Tout ça pour aboutir, enfin, au couronnement de son père. Dans le cerveau de l'ex-militaire, les plans sont parfaitement définis. «Entrer et sortir du Royaume-Uni dans les 24 heures», afin de pouvoir embrasser son fils Archie samedi soir, juste à temps pour son quatrième anniversaire.
Londres est grise, évidemment, lorsque le Boeing 777 atterrit juste après 11h20, vendredi. Vingt minutes de trajet plus tard, il retrouve son ancienne maison familiale dans le parc de Windsor, sous bonne escorte policière. L'une des conditions sine qua non de sa venue: bénéficier d'une équipe de protection de Scotland Yard.
Sa famille est trop occupée à peaufiner les ultimes préparatifs de la cérémonie pour accueillir Harry à Frogmore Cottage. La maison dans laquelle Meghan et lui ont dépensé des millions en rénovation, avant d'être expulsés définitivement en janvier, sur ordre du roi.
Cette nuit-là, tandis qu'il lutte contre les désagréments du jet lag, le prince inactif a peut-être arpenté les parquets et les moquettes de son ancien cocon. Conscient, sans doute, qu'il ne le fera plus jamais.
Samedi matin, jour J, il est un peu plus de 9 heures. Le duc, tout revêtu d'un élégant complet trois pièces griffé Dior, saute dans une BMW noire. A l'exception de sa croix de chevalier et des médailles sur son col, discrètes allusions à sa décennie de service dans les forces armées britanniques, rien ne laisse deviner que son propre père est sur le point d'être couronné roi.
Devant Westminster, le prince se greffe aux autres membres inactifs de la famille royale: ses cousines, les princesses Beatrice et Eugénie, et leurs époux. Sur ses lèvres, un expert labial croit décrypter une plaisanterie sur «sa journée bien remplie» et une indication: «Environ quatre heures moins le quart». On le saura plus tard, il s'agit de l'heure de son vol de retour.
Lorsque le prince Harry pénètre enfin dans l'abbaye, le monde aurait pu tout aussi bien s'arrêter de tourner. Des mois de spéculations exaltées, tous les scénarios possibles et imaginables esquissés, pour en arriver là.
Un esclandre, des cris, des pleurs, des coups de poing?
Point du tout.
Le prince qui tourmente la monarchie depuis des mois à coups de révélations scabreuses laisse à peine transparaître sa gêne, lorsqu'il longe l'allée sous les objectifs des caméras, des coups d'œil des curieux, des regards scrutateurs des chroniqueurs, médias et experts en langage corporel, recrutés en masse pour extirper la plus infime bribe de scandale. Ils devront tout juste se contenter d'une grimace. Une seule.
Après avoir souhaité bonne chance à l'archevêque de Cantorbéry, l'homme qui l'a marié en 2019 et s'est personnellement impliqué dans les négociations pour son retour au Royaume-Uni, Harry rejoint discrètement son troisième rang. Sans ciller, ni s'encoubler.
Sa tante, la princesse Anne, se tourne vers lui, pour échanger une blague. Le prince esquisse son premier sincèrement décontracté. Toute la durée du service, on ne verra quasiment plus son visage, bien caché derrière la plume rouge du chapeau de sa tante. Un regard jeté vers William, deux rangées plus loin, sera le seul échange entre les deux frères.
Le service touche à sa fin. Il pleut toujours lorsque la famille royale émerge en grâce de l'abbaye, sous les acclamations de la foule. Le clan prend la direction du palais de Buckingham pour le traditionnel salut au balcon et un déjeuner en famille.
Une invitation a été adressée à Harry en guise de «rameau d'olivier». Le prince exilé l'a déclinée. Si la plupart des membres de la famille royale ont poussé «un soupir de soulagement», selon un courtisan au Daily Mail, le roi aurait semblé «vraiment déçu».
Tandis que son clan saute des mini-quiches aux fèves et à l'estragon, des canapés au poulet «version moderne» au vin pétillant, le duc passe d'une voiture à une autre. Sa protection policière officielle vient de prendre fin, en même temps que la cérémonie de couronnement, indique le Telegraph.
Il est en direction vers l'ouest lorsque son père, Charles, porte un toast. Après avoir levé son verre à ses trois petits-enfants présents, le prince George, la princesse Charlotte et le prince Louis, le monarque adresse une pensée à «ceux qui ne sont pas là». Il souhaite à son autre petit-fils un très joyeux anniversaire, «où qu'il soit». «Un moment très doux», décrit un courtisan.
En milieu d'après-midi, le duc atteint la suite Windsor, le secteur VIP du terminal 5 d'Heathrow. Lorsqu'il monte à bord du vol British Airways de 15h45 en direction de Los Angeles, Harry porte encore son costume du matin et ses médailles militaires.
Son avion est en train de survoler l'Atlantique lorsque son fils, Archie, souffle sur sa quatrième bougie de son gâteau d'anniversaire - un cake au citron, cuisiné par Meghan, avec les fruits du jardin.
Au cours d'une réunion «intime et discrète» organisée par la duchesse, se seraient côtoyées ses voisines de quartier, Oprah Winfrey, Ellen DeGeneres et Serena William. Au programme: salades, hot-dog pour les enfants, animations dans le jardin de 11 hectares. «Aucune chance d'avoir une coupe de champagne», affirme une source britannique au Daily Telegraph. L'alcool est «mal vu pour les fêtes d'enfants à Montecito».
Juste avant 18h30, les nappes sont rangées et la fête est terminée lorsque le vol du prince se pose sur son sol d'adoption. Une Range Rover noire vient chercher Harry dans la zone VIP pour effectuer les deux dernières heures de supplice qui séparent le père de sa famille.
Il a raté les célébrations, certes, mais remporté son pari: venir à bout de ce voyage, remplir discrètement son devoir de fils, éviter les scandales, entretenir le lien infime et commercial qui le relie encore à la monarchie britannique, sans même avoir à dire bonjour. Surtout, le plus important: revenir à temps.
Harry n'a passé que 28 heures et 42 minutes sur le sol britannique.
Le duc de Sussex ne reviendra pas de sitôt. Tout laisse à penser que sa prochaine rencontre publique avec sa famille aura lieu lors des funérailles de son père. Faute d'un autre évènement royal suffisamment important pour le convaincre de faire le déplacement.