«Le Tour va être plié au bout de trois ou quatre jours, Pogacar va faire péter le truc et faire sauter Vingegaard.» Cette phrase sort de la bouche de Marc Madiot, le grand manitou de la Groupama-FDJ. A l'écouter, à l'instar d'une bonne partie des suiveurs, les jeux sont faits pour cette Grande Boucle (29 juin au 21 juillet). Même refrain pour David Moncoutié, ancien coureur et consultant Eurosport, allant même à dire que le leader du UAE Team Emirates n'avait aucunement puisé dans ses réserves lors de son Tour d'Italie. Même le leader de la Soudal-Quick Step Remco Evenepoel estimait «Tadej Pogacar intouchable» sur cette édition 2024.
Très bien, les bookmakers ont reçu le message. Mais pédaler jusqu'à Rome et claquer plusieurs étapes ont pesé sur l'organisme du Slovène. Trois semaines à vive allure et seulement deux jours de repos pour souffler, ce n'est pas du gâteau. Pendant qu'il se battait sur les routes italiennes, qu'il frottait pour éviter les chutes, qu'il répondait à la horde de journalistes, qu'il se coltinait les déplacements entre les étapes, les autres étaient en stage (ou pansaient leurs plaies). Ils préparaient le rendez-vous du mois de juillet loin du brouhaha.
Ses 10 minutes d'avance sur le second au classement général (réd: Daniel Felipe Martinez), ses 6 étapes remportées, Pogacar a écrasé le Tour d'Italie. Mais de là à parler d'un entraînement, il y a un monde. Trois semaines de course, c'est un exercice d'équilibriste constant, physiquement éreintant et usant nerveusement, sans parler du travail à fournir pour arriver au sommet de sa forme début juillet. Le pic de forme est un travail de longue haleine qui «se prépare des semaines, voire des mois à l'avance», nous confiait le cycliste valaisan Simon Pellaud.
Oui, sur le papier, Pogacar est le grand favori, surtout quand il assure «ne jamais s'être senti aussi fort».
Pogacar transpire la confiance. Mieux, son grand adversaire Jonas Vingegaard arrive sur la pointe des pieds, après sa grosse chute lors du Tour du Pays basque au mois d'avril. Pire, Visma-Lease A Bike, l'équipe du Danois, vient d'annoncer l'absence de Sepp Kuss, forfait après avoir contracté le Covid.
Les autres? Remco Evenepoel (dans une forme moyenne), Primoz Roglic (le mieux armé après son sacre au Dauphiné) ont goûté au bitume lors du Tour du Pays basque. Et au vu des performances sur le Dauphiné libéré et sur le Tour de Suisse, les principaux contradicteurs n'ont pas montré des garanties pour chatouiller le Slovène.
Il est difficile de voir «Pogi» battu avec ces informations, tant il semblait aérien au mois de mai. Il pouvait même se passer de son capteur de puissance - petit clin d'oeil à sa victoire lors de la deuxième étape à Santuario di Oropa.
Mais la vérité du mois de mai n'est pas celle de juillet. Le protégé de Mauro Gianetti n'a d'ailleurs plus été aperçu depuis son sacre sur la course en rose. Pis, les enseignements des courses par étape du mois de juin sont très souvent à prendre avec des pincettes.
Le poids historique peut aussi avoir son importance. Le doublé Giro-Tour de France reste pour beaucoup de coureurs un défi impossible. Il n'est pas anodin que le dernier auteur de ce prodigieux exploit n'est autre que Marco Pantani, en 1998.
Depuis, personne n'a réussi à imiter les monstres Fausto Coppi, Jacques Anquetil, Eddy Merckx, Bernard Hinault, Stephen Roche et Miguel Indurain. Même Lance Armstrong n'a pas voulu s'y frotter. Au sommet de leur art, les Chris Froome ou Alberto Contador ont tenté le défi impossible, avant de battre en retrait.
Contador a bouclé son pensum à bout de force sur les routes françaises en 2011 - plus tard, sa victoire sur le Giro lui a été retirée pour dopage. Chris Froome n'avait pas les jambes pour contrer son collègue Geraint Thomas en 2018.
«Pogi» est prévenu: l'enchaînement Giro-Tour est digne d'un entonnoir dantesque où il faut taire la douleur durant trois (nouvelles) semaines de course.
Mais le travail en amont, les données technologiques récoltées et la préparation poussée à son paroxysme devraient lui permettre de digérer la charge. «Les gains marginaux sont devenus fondamentaux», disait Vincenzo Nibali, pour espérer le doublé. Rien n'est laissé au hasard.
Jusqu'au 21 juillet, l'aventure sera longue. Les jambes vont-elles tenir? Le Slovène a brûlé des forces dans les cols transalpins malgré son apparente aisance. Avaler 3 321,2 kilomètres au total et 42 900 mètres de dénivelé positif, l'addition est salée pour l'organisme. Peut-être que l'évidence qui saute aux yeux des spécialistes du vélo devrait être un tantinet mesurée.