18 degrés et de la pluie: les Neuchâtelois qui se rendront à Pontarlier, ville d’arrivée de la 20e étape du Tour de France, à bord du train spécial des CFF, feraient bien de se couvrir et de ne pas oublier leur parapluie.
Les conditions s’annoncent toutefois bien moins exécrables que le 15 juillet 2001, date de la dernière arrivée du Tour dans la cité franc-comtoise.
Ce jour-là, la météo est absolument dantesque. Il pleut des trombes d’eau du premier au dernier des 222,5 kilomètres entre Colmar et Pontarlier, si bien que les hélicoptères restent cloués au sol. Ce ne sont pourtant pas les éléments extérieurs qui ont marqué cette étape hors norme, mais bien le scénario de la course. Et pour cause: l’échappée du jour coupe la ligne avec 35 minutes et 54 secondes d’avance sur le peloton, un écart record dans l’histoire du Tour d’après-guerre.
Ludo Dierckxsens (Lampre), Marc Wauters (Rabobank) et Aitor Gonzalez (Kelme) prennent la poudre d’escampette dès le cinquième kilomètre. Très vite, le trio est rejoint par une douzaine d’hommes: Pascal Chanteur et Sven Teutenberg (Festina), Erik Dekker et Bram De Groot (Rabobank), le regretté Andrey Kivilev (Cofidis), l’inévitable Jacky Durand (FDJ), Ludovic Turpin (AG2R), François Simon (Bonjour), Servais Knaven (Domo), Nicola Loda (Fassa Bortolo), Stuart O’Grady (Crédit Agricole) et Alexandre Vinokourov (Team Telekom).
Tous ont coché cette étape. Trop accidentée pour permettre un sprint massif, mais pas assez sélective pour provoquer une explication entre leaders, elle offre un terrain idéal aux baroudeurs et à ceux qui ne craignent ni le froid ni la pluie.
Cependant, la présence d’Alexandre Vinokourov, ambitieux au classement général, empêche l’échappée de creuser l’écart. On roule derrière pour la contrôler, avec en première ligne l’équipe US Postal de Lance Armstrong. Or le Kazakh crève en cours de route, ce qui l'oblige à rentrer dans le rang. Une aubaine pour les coureurs restés à l'avant.
Le peloton renonce dès lors à maintenir un rythme soutenu. Ni les conditions difficiles, ni la défense du maillot jaune n’y changent quoi que ce soit. Il faut dire que la tunique de leader est assurée de rester dans les rangs de l’équipe Crédit Agricole. De loin le mieux classé de l’échappée, Stuart O’Grady est en position de ravir la première place du classement général à son équipier Jens Voigt.
L’écart devient rapidement gigantesque. Au sommet de la côte de Saint-Hippolyte, à 66 kilomètres du but, les fugitifs comptent 32 minutes et 10 secondes d’avance. De quoi inquiéter Lance Armstrong? Toujours pas. Pourtant, à l’avant, Andrei Kivilev n’est pas un second couteau. Cinquième du récent Critérium du Dauphiné, il semble réaliser la très belle opération du jour. Mais l'équipe US Postal reste sereine: Armstrong rattrapera son retard dans les Alpes puis les Pyrénées. Pour l’heure, il préfère se ménager, tout comme son rival Jan Ullrich.
La fin d’étape donne lieu à une série d’attaques entre les membres de l’échappée matinale. Marc Wauters profite de la supériorité numérique de l’équipe Rabobank pour s'extirper du groupe. Suivi par Knaven, il est repris par tous ses compagnons de fugue, sauf Pascal Chanteur, définitivement distancé.
Son équipier Erik Dekker secoue à son tour l'échappée sous l’arche des 25 kilomètres. Knaven prend immédiatement sa roue, et le duo Gonzalez-Wauters parvient à recoller à moins de dix kilomètres de l’arrivée.
Toujours en supériorité numérique avec deux représentants à l’avant sur les quatre coureurs restants, les Rabobank multiplient les offensives, contraignant leurs adversaires à répondre à chaque attaque. C’est finalement Erik Dekker, équipé de manchettes et jambières, qui s’impose au sprint dans ce petit groupe et remporte la 8e étape, un an après avoir été élu super combatif du Tour de France. Cinquième à plus de deux minutes, Stuart O’Grady subtilise le maillot jaune à son collègue du Crédit Agricole Jens Voigt.
Fui par les caméras en raison de l’écart creusé par les hommes de tête et des conditions météorologiques, le peloton, dont plus personne n’a de nouvelles, se trouve encore à 25 kilomètres de l’arrivée au moment où le Néerlandais franchit la ligne. Il terminera donc avec un retard de 35 minutes et 54 secondes sur ce que l’on appelle encore aujourd’hui le «coup de Pontarlier».
Etape de moyenne montagne oblige, les délais à l’arrivée sont serrés. Officiellement, 161 coureurs se retrouvent hors course. Heureusement, il existe un article dans le règlement qui autorise les commissaires à réintégrer les coureurs éliminés massivement.
Le peloton est donc repêché et reprend le lendemain, depuis Pontarlier, la route en direction d’Aix-les-Bains. Contrairement aux étapes de 1985 (Pontarlier-Morzine-Avoriaz par la Romandie) et 2009 (Pontarlier-Verbier), aucune incursion ne sera faite en Suisse. Il en sera de même cette année au départ de Nantua, dans l’Ain.
Au général, François Simon et Andrey Kivilev conserveront un peu de leur avance, gagnée à la sueur de l’échappée, au passage des Alpes. Toutefois, Lance Armstrong finira par combler ses 35 minutes de retard: il s’emparera du maillot jaune dans les Pyrénées. Le Français Simon terminera ce Tour de France 2001 à la sixième place, à la surprise générale, soit deux places derrière le Kazakh, quatrième à moins d'une minute du troisième Joseba Beloki. Kivilev décédera moins de deux ans plus tard sur les routes de Paris-Nice. Cet accident tragique incitera l’Union cycliste internationale (UCI) à rendre le port du casque obligatoire en course.
S’il est peu probable qu’un tel écart se reproduise samedi en direction de Pontarlier, les baroudeurs devraient sans doute se disputer la victoire, au regard du profil casse-pattes de l’étape. Une fois la bataille pour intégrer l’échappée terminée, le groupe de tête pourrait même largement distancer le peloton si personne ne dérange le Top 10 et que l'on décide de ralentir, pour attendre par exemple les sprinteurs. Aucun leader ne prendra cependant le risque de jouer avec les délais à la veille de l’arrivée finale à Paris.