Fribourg-Gottéron avait perdu le match initial de sa demi-finale contre Zurich. Sa toute première défaite à domicile dans un match de play-off contre les ZSC Lions. Mais l'entraîneur Christian Dubé ne se laissait pas déstabiliser. «Toutes les issues étaient possibles. Nous aussi, nous aurions pu gagner. Pourquoi devrais-je changer quelque chose ?», s'interrogeait-il.
Il n'a donc rien changé. Et a perdu, deux jours plus tard, le deuxième match. De la même manière. Et sur le même score: 2-3 après prolongation.
Après ce deuxième duel, cette fois disputé à l'extérieur, au Hallenstadion, il a quasiment tenu les mêmes propos, presque résigné:
Le coach québécois a encore fait cette déclaration, qui résume, en quelque sorte, ce début de série:
Traduction: ligne après ligne, Zurich te roule dessus, et quand tu penses que c'est fini, la ligne suivante fait pareil.
Les Zurich Lions jouent actuellement proche de la perfection. Tel que le machiniste tactique Rikard Grönborg l'a probablement conçu sur sa planche à dessin. Mais il en faut encore plus pour gagner. Parce que, dans un bon soir, Gottéron joue lui aussi comme une machine, avec une mécanique parfaitement huilée.
Mais quand deux équipes très bien structurées se battent à armes égales, c'est «l'effet Winkelried» qui fait la différence. Autrement dit: un seul homme – ou, dans l'idéal, plusieurs – capable(s) de briser une défense adverse quasiment infranchissable. C'est l'exploit qu'a réussi l'Unterwaldien Arnold Winkelried en 1386, quand il a ouvert une brèche dans les rangs serrés des Autrichiens à Sempach, offrant la victoire aux Confédérés.
En hockey sur glace, il s'agit de joueurs capables, individuellement, de briser la belle mécanique de l'adversaire. L'homme contre la machine, d'une certaine façon.
Gottéron a un seul Winkelried: Chris DiDomenico. Zurich en a beaucoup: Denis Hollenstein, Denis Malgin et Sven Andrighetto. Ce sont des artistes. Mais les Lions ont aussi des artilleurs au jeu plus simple, comme Chris Baltisberger, qui connaissent également le chemin des filets dans leurs moments lumineux. Les Nord-Américains appellent ces derniers des «grinders». Traduction littérale? Des broyeurs.
Trois scènes du deuxième duel dimanche au Hallenstadion reflètent la supériorité zurichoise au niveau individuel:
Scène 1 (13e minute): le score est toujours de 0-0. Le saltimbanque offensif de Gottéron, Chris DiDomenico, se faufile dans la défense zurichoise avec son style inimitable et parvient à tirer. Le portier des Lions, Ludovic Waeber, attrape le puck dans sa mitaine. L'attaquant fribourgeois, top scorer, s'approche un peu trop près de lui. Les cinq joueurs de champ zurichois l'encerclent et le mettent par terre, après une empoignade.
Résultat: DiDomenico et Reto Schäppi (un autre «grinder»), le Zurichois qui l'a le plus malmené, sont envoyés sur le banc des pénalités. Si les pensionnaires du Hallenstadion gardent Chris DiDomenico sous la main (leur gant, si vous préférez), il ne leur arrivera rien.
Scène 2 (15e minute): Sven Andrighetto exploite parfaitement une passe de Denis Malgin en supériorité numérique, d'un tir direct. C'est 1-0. Et c'est le summum de l'art en hockey sur glace, tant dans la construction de l'action que dans sa finition. Les passes sont réalisées au cordeau, la conclusion est si parfaite que le puck finit dans le filet du titan Reto Berra comme un rayon laser.
Avec Sven Andrighetto, Denis Malgin et Denis Hollenstein, les Zurichois disposent d'un «Trio Grande» offensif qui a fait la différence lors des trois derniers matchs: les actes 6 et 7 du quart de finale contre Bienne et le premier duel de la demi-finale à Fribourg (où ils ont planté les trois buts). Si ce trio marque, il ne peut rien arriver à Zurich.
Scène 3 (5e minute de la prolongation): Chris DiDomenico subit une très grosse mise en échec dans la zone adverse, qui le secoue. D'autant plus à ce moment tardif du match. Le temps que le Canadien reprenne son souffle, retrouve ses jambes et de la vitesse, il est déjà trop tard. Le Suédois Marcus Krüger, un attaquant défensif – oui, les Lions peuvent se permettre d'activer une licence étrangère pour un attaquant défensif – a entre-temps inscrit le 3-2 décisif.
Chris DiDomenico est le meilleur joueur de la série, individuellement. Jusqu'à présent, il a inscrit 14 points en 7 matchs dans ces play-off. C'est plus que n'importe qui d'autre. Les Zurichois ont, eux, l'équipe la plus équilibrée. Si leur «Trio Grande» ne marque qu'une fois, d'autres peuvent forcer la décision. Comme le «grinder» Chris Baltisberger ou un attaquant défensif suédois.
On le voit bien: le destin de Fribourg-Gottéron dépend de Chris DiDomenico. Il a orchestré trois des quatre buts de son équipe lors des deux premiers actes et a réussi à faire passer le score de 2-0 à un 2-2 temporaire au Hallenstadion. Mais s'il n'est pas en mesure de marquer, il n'y a personne pour sauver les Dragons dans cette série.
Sans surprise, le Canadien est le joueur le plus provoqué et le plus maltraité par ses adversaires. Mais il supporte tout avec un flegme admirable, comme Job, dans la Bible, face au déluge de mauvaises nouvelles. Pourtant, Rikard Grönborg, l'entraîneur des Lions, n'a pas axé son coaching sur Chris DiDomenico. Aucun Zurichois n'a reçu un rôle spécifique pour neutraliser le meilleur buteur des play-off.
Une telle tactique montre aussi l'équilibre de la formation zurichoise. Chaque ligne est suffisamment forte pour neutraliser le Canadien. «Nous le gardons simplement à l'œil», explique Rikard Grönborg. Aucune stratégie, donc, contre le meilleur atout de l'adversaire? «Si nous en avions une, je ne la dévoilerais pas...»
Gottéron peut-il encore renverser cette série après ses deux défaites initiales? Les Zougois, grands favoris face à Davos dans l'autre demi-finale, devraient l'espérer. Ou du moins croiser les doigts pour qu'il y ait une longue série énergivore entre Zurichois et Fribourgeois. Parce que les Lions font désormais figure d'épouvantail: lors de leurs deux derniers matchs contre Bienne et deux fois contre Gottéron, ils ont joué comme un futur champion.
Mais le score n'est que de 2 à 0. La question cruciale est maintenant de savoir si Chris DiDomenico en a encore sous le patin. Il a déjà 33 ans et a joué jusqu'à présent 22 minutes et 35 secondes par match, en moyenne, dans ces play-off. C'est plus que n'importe quel attaquant zurichois.
Adaptation en français: Yoann Graber