L'ambiance est morose sur l'esplanade de la BCF Arena, ce samedi soir 5 octobre 2019. Fribourg-Gottéron vient de prendre, la veille, une claque 4-0 à Ambri et occupe la dernière place du classement, à des années-lumière de ses ambitions. La défaite au Tessin a été celle de trop pour l'entraîneur Mark French, démis de ses fonctions pendant la nuit après deux ans derrière la bande des Dragons. Ceux-ci ont nommé, dans l'urgence, leur directeur sportif Christian Dubé coach intérimaire.
Face à Rapperswil, le Québécois s'apprête à vivre son tout premier match sur un banc. Alors les fans, en plus d'être abattus, sont inquiets. «On est "dubétatifs" par rapport à ce choix», ironisent, parmi eux, les amateurs de calembours. Deux ans et demi plus tard, l'anxiété a laissé place à l'euphorie et l'admiration: Christian Dubé et Gottéron vont jouer les demi-finales des play-off, une première depuis 2013, avec de réelles chances de décrocher un premier titre national.
«Je n'éprouve pas un sentiment de revanche envers mes détracteurs du début, mais j'aime bien, dans la vie en général, prouver aux personnes sceptiques que je peux réussir», avoue Christian Dubé. Au bout du fil, l'homme fort des Dragons a le triomphe modeste. «Il faut être humble dans la victoire», philosophe-t-il. «Et quand on réussit, c'est en équipe.» Il a raison. Mais il n'empêche que c'est avec lui derrière la bande que Gottéron est passé de cancre de National League à l'un des grands favoris pour le sacre. Et il y est pour beaucoup.
Quand Christian Dubé a repris l'équipe, il n'a pourtant pas révolutionné le hockey sur glace. Il avait, ce fameux 5 octobre 2019, un objectif simple, très loin des considérations technico-tactiques. «J’ai dit aux joueurs qu’ils devaient avoir du plaisir à venir à la patinoire», rembobine-t-il. «Comme dans tous les jobs, c’est très dur de faire des bonnes choses quand tu n'en a pas. En hockey sur glace, c’est tout simplement impossible de gagner.»
Grâce à son rôle de directeur sportif, il a pu sentir le mal-être de ses collègues, qu'il côtoyait au quotidien. La faute au jeu tactiquement trop rigide prôné par Mark French. «Dans l’équipe, on avait des artistes comme Mottet, Sprunger ou Gunderson, à qui il fallait laisser un peu plus de liberté», analyse le Québécois. Sous ses ordres, l'équipe a développé un jeu spectaculaire porté vers l'offensive, dans lequel l'improvisation a pu se faire une place. «Avec Mark French, tout passait par la défense», se souvient Marie Ceriani. La journaliste de Radio Fribourg, qui commente les matchs et suit de près l'équipe, a vu une évolution.
La double casquette coach-directeur sportif du Québécois a facilité la libération mentale de ses joueurs. «J’ai essayé de leur donner confiance, en leur rappelant que c’est moi qui les avais choisis, parce qu'ils étaient de bons hockeyeurs», rejoue-t-il. Ce statut rare en National League a présenté d'autres avantages, à commencer par la cohérence entre le recrutement et le jeu pratiqué sur la glace. «Christian Dubé a son idée précise du hockey, il a engagé des joueurs qui correspondent à celle-ci», analyse Alain Miéville, ancien pro formé à Fribourg.
En négociant directement leur contrat avec leur entraîneur, les hockeyeurs connaissent aussi d'entrée leur rôle et s'évitent des mauvaises surprises. «Et ils sont encore plus obligés de faire leurs preuves et de se donner à fond sur la glace», complète l'ancien attaquant fribourgeois Valentin Wirz.
Et puis, comme il les a longtemps scrutés avant de les enrôler, Christian Dubé connaît très bien ses protégés. Cette qualité est bénéfique, quand elle est couplée à un esprit flexible. Ça tombe bien: même s'il sait clairement où il veut aller, le coach des Dragons en a un. «Christian a adapté le système aux joueurs, et non l'inverse», applaudit Raphaël Berger, directeur général de Fribourg-Gottéron jusqu'en octobre dernier. «Il a su travailler avec les caractéristiques de chacun.»
Il a aussi réussi à amener des hockeyeurs de grand talent sur les bords de la Sarine, comme par exemple David Desharnais, Christopher DiDomenico ou Reto Berra, tous décisifs durant ces play-off. «Il y a 4-5 ans, le power-play des Dragons était vraiment moyen et tournait uniquement autour de Sprunger», se souvient Laurent Meunier, qui a terminé sa carrière à la BCF Arena au printemps 2019. «Désormais, avec l'apport de Desharnais et DiDomenico, c’est le meilleur jeu de puissance du championnat.» On l'a encore vu lors du dernier match de la série contre Lausanne, avec tous les quatre buts fribourgeois marqués à 5 contre 4.
Le carnet d'adresses bien rempli d'ancien joueur pro de Dubé a certainement joué un rôle. Son sens aiguisé du hockey aussi. Mais à côté de l'engagement de stars du championnat et de joueurs suisses de qualité (Jörg, Walser, Suter ou encore Jecker) qui se sont bonifiés à Fribourg, Christian Dubé a aussi fait progresser des jeunes du cru. On pense surtout à Sandro Schmid, seulement 21 ans et déjà assistant-capitaine, et Nathan Marchon. Tous deux bénéficient de beaucoup de temps sur la glace et jouent un rôle important dans le succès de Gottéron. Killian Mottet a aussi explosé sous la férule du Québécois, en écrasant ses records personnels de points.
Aussi bon que puisse être le flair de Christian Dubé pour le hockey, l'ancien attaquant de Lugano, Berne et Fribourg, entre autres, n'obtiendrait pas de résultats si clinquants sans une personnalité taillée pour le coaching. «On voit qu'il est très proche de ses joueurs», observe Olivier Keller, près de 700 matchs en National League et six saisons à Gottéron.
«Les joueurs ont confiance en lui et le respectent», appuie Raphaël Berger. Christian Dubé comprend bien ses protégés parce qu'il a lui-même connu ce qu'ils ressentent, et il y a peu encore (il a pris sa retraite sportive à la fin de la saison 2014-2015 avec Gottéron et a tout de suite enchaîné comme directeur sportif).
«Ma plus grande qualité comme entraîneur? Je suis un battant, jusqu'à la mort», tranche, de son côté, le principal intéressé. Et il a réussi à transmettre cette rage de vaincre aux siens. A en croire d'anciens coéquipiers et adversaires, le Québécois possédait déjà ce trait de caractère comme joueur, même en junior, en plus d'un talent hors norme. «Il avait la niaque», rembobine Malik Benturqui, ex-Lausanne HC, qui l'a affronté en pro mais aussi chez les jeunes, quand Dubé évoluait avec Martigny et lui à Monthey.
En première division, l'ancien centre créait plutôt qu'il ne chargeait, mais «savait se salir en play-off, quand l'intensité montait, et n'avait pas peur de se tremper», jargonise son ex-coéquipier à Berne et compatriote Yves Sarault, qui en connaît un rayon en la matière.
«J'entraîne comme je jouais, aux émotions», résume Christian Dubé. Pourtant, sur le banc, le coach de Gottéron paraît très zen. Un comportement positif, qui transmet de la sérénité à ses protégés. «Je suis un faux-calme!», rectifie-t-il.
Le Canadien le concède, il ne se voyait pas devenir entraîneur, justement pour cette raison. «J’avais trop peur de déborder émotionnellement. Honnêtement, je pensais que mon aventure sur le banc ne durerait que deux semaines! (rires)»
Mais Christian Dubé a beaucoup travaillé sur lui-même, notamment en discutant avec ses proches et ses amis.
Il a aussi eu l'intelligence de s'entourer, lors de sa première saison, du très expérimenté Sean Simpson, ancien sélectionneur de la Nati. «Un grand tacticien, qui connaît très bien le hockey suisse et sait gagner des titres», résume Marie Ceriani.
La journaliste fribourgeoise a constaté que l'entraîneur des Dragons a progressé dans sa communication, signe qu'il est devenu plus détendu.
Marie Ceriani et ses confrères peuvent se réjouir: Christian Dubé souhaite poursuivre son mandat avec sa double casquette le plus longtemps possible. Car même s'il avoue que ça reste «une très grosse charge physiquement et mentalement», il «adore ce monde extraordinaire qu'est le hockey sur glace».
Il le deviendrait assurément encore plus pour lui et tout Fribourg avec une qualification des Dragons en finale. Ils tenteront de lancer au mieux leur demi-finale face aux Zurich Lions, ce vendredi soir (20h00) à domicile.