Patty Schnyder (44 ans) possède l'un des plus beaux CV du tennis suisse: un 7e rang mondial, onze tournois WTA gagnés et une demi-finale à l'Open d'Australie 2004.
Retraitée depuis 2018, la Bâloise vit depuis plus de dix ans près de Hanovre, en Allemagne, avec ses filles Kim, 8 ans, et Joya, 4 ans, ainsi que son partenaire Jan Heino. Elle est consultante pour la chaîne publique alémanique SRF depuis une année et est présente à Wimbledon.
Patty Schnyder, quels sentiments avez-vous en foulant le gazon de Wimbledon?
PATTY SCHNYDER: Beaucoup de souvenirs remontent à la surface, à commencer par la toute première fois où j'ai joué le tournoi junior. Même si beaucoup de choses ont changé ici, une chose est restée: la perfection soignée. Les allées, les fleurs, les parterres, les couleurs, tous les officiels portant des uniformes. C'est très formel, mais tout est parfait.
Qu'est-ce que ça vous fait d'être ici non pas en tant que joueuse, mais comme consultante?
C'est agréable. Je ne dois pas me soucier de savoir si mon coup droit fonctionne ni si je suis suffisamment en forme. C'est beaucoup plus détendu. Je peux en profiter.
Et quand vous commentez?
C'est un voyage émotionnel. D'habitude, je ne regarde plus beaucoup le tennis. A la maison, je n'ai pas assez de temps avec ma famille, avec mes deux filles. Et quand nous avons du temps libre, nous ne regardons pas forcément la télévision. Mais là, pendant des heures, tout tourne autour du tennis. C'est cool.
Comment voyez-vous ce rôle de consultante, que vous occupez depuis l'an dernier?
J'ai eu le job parce que Heinz Günthardt était capitaine de l'équipe nationale dames et ne pouvait pas commenter en même temps. Il était évident qu'il fallait une femme, et j'étais la seule qui entrait en ligne de compte. Les autres jouaient encore. Le feedback était très bon, ils étaient contents de moi.
Mais j'ai eu ma chance et j'ai pu en profiter à ma manière. Je reçois beaucoup d'éloges.
Vous vous êtes retirée de la vie publique après votre retraite. Avec la TV, vous êtes revenue sur le devant de la scène. Comment avez-vous vécu cette étape?
Pour moi, le défi de faire de la télévision en direct avec une équipe formidable, c'est mon moteur principal. J'étais une joueuse tactique, j'analysais moi-même beaucoup le jeu. Ce sont de bonnes prédispositions pour ce job, où il s'agit d'avoir une vision d'ensemble et de la transmettre. Je trouve ça très exigeant et enrichissant. Après ma fin de carrière, je voulais me retirer de la vie publique. Je n'ai pas besoin de faire parler de moi pour avoir confiance en moi. Ça n'a jamais été important pour moi de voir des photos de moi dans les journaux ou de donner des interviews. Je ne vous apprends rien de nouveau là. (rires)
Vous vivez en Allemagne depuis plus de dix ans. Etait-ce une décision consciente de créer une distance avec la Suisse et le public?
Je suis une personne très attachée à la liberté. Ma notoriété était extrêmement grande en Suisse, et ça a influencé mon quotidien.
Les relations en Suisse sont très respectueuses et je n'ai jamais eu de mauvaises expériences. Mais le simple fait de savoir que l'on est observé, ça marque.
À quoi ressemble votre vie en Allemagne?
J'ai deux filles qui font partie de mon quotidien. C'est un plaisir total de les voir grandir, de leur apprendre des choses, de les aider, de rire avec elles et d'apprendre d'elles comment elles voient la vie.
Lorsque vous avez joué à Gstaad en 2018, vous avez fait signe à votre partenaire dans les tribunes de mettre une veste à votre fille pendant le match.
(rires) Il faisait froid! Je suis une maman typique, ce qui n'est pas toujours bien vu par les papas. Je me suis dit: «S'il te plaît, mets une veste à ton enfant maintenant!» Mais il s'en sort vraiment bien, il maîtrise très bien la situation quand il a les petites tout seul. Même quand il est fatigué le soir.
Jouez-vous encore au tennis?
Non, pas vraiment. Quand je me laisse convaincre par une joueuse de Bundesliga, c'est un plaisir. Mais le lendemain, j'ai des courbatures. C'est fou ce que ça fait quand on ne joue pas régulièrement... Deux après-midi par semaine, j'entraîne des juniors filles.
Que retirez-vous de votre carrière?
Que j'ai pu jouer si longtemps à ce haut niveau. Et que ma carrière est parsemée de moments forts. Je ne me souviens que de bonnes choses. Ce qui m'a rendu triste, déçue ou peinée, je l'ai oublié.
Vous avez longtemps fait partie de l'élite mondiale. A quel point cela vous agace-t-il que l'on parle souvent de choses qui se sont passées hors des terrains, dans votre vie privée?
C'est ainsi que fonctionne la presse. Si on offre un petit espace, les médias s'y engouffrent. Je ne peux pas changer ce système. Mais il serait certainement souhaitable que d'autres histoires soient mises en avant et que l'on écrive davantage sur des choses qui sont belles et qui ont un rapport avec le succès et la performance, et non sur des sujets secondaires. Mais c'est aussi arrivé à d'autres. Je ne suis pas un cas isolé.
Vous avez rangé votre raquette pour la première fois en 2011, puis vous avez fait votre retour en 2015. Quelles étaient vos motivations? Vouliez-vous prouver une nouvelle fois quelque chose?
Non, pas du tout. C'était le plaisir de la compétition. Et je voulais tester mes limites, voir comment c'est possible de jouer au tennis dans des conditions complètement différentes. J'ai aussi apprécié de pouvoir montrer à mon nouveau partenaire le monde dans lequel j'avais passé tant d'années.
En 2018, lors de l'avant-dernier match de votre carrière, vous avez affronté Maria Sharapova sur un grand court à l'US Open. Racontez-nous!
C'était un aurevoir sur la plus grande scène. Aujourd'hui encore, je me dis qu'avec un ou deux coups droits longline dans le terrain en plus, j'aurais gagné ce fichu deuxième set (rires). Il m'a fallu un peu de temps pour entrer dans le match, car ça jouait vite. C'était tellement mignon de voir ma fille Kim s'afficher sur l'écran géant. Ça me reste en mémoire. On m'a envoyé une photo d'elle en train d'applaudir dans la loge. C'est tellement mignon!
Quels conseils donneriez-vous à une jeune joueuse?
Miser sur le long terme, soigner correctement les blessures plutôt que de courir après les points. Je trouve ça très important. Et ne pas se perdre dans le tennis, mais avoir aussi quelque chose à côté, pour ne pas devenir trop unilatéral et trop acharné. C'est important d'avoir une vie à côté du tennis. De s'intéresser aussi à d'autres choses, d'entretenir ses amitiés. Ce qui ne veut pas dire qu'il ne faut pas travailler professionnellement.
Qu'est-ce que le tennis vous a apporté dans votre vie?
(elle réfléchit) A l'inverse, serais-je devenu une autre personne sans le tennis? Clairement, le tennis m'a beaucoup marquée. Il m'a apporté beaucoup de joie. Quand j'étais jeune, il n'y avait rien d'autre pour moi, c'était mon grand rêve. Je ne sais pas quel autre métier ou quelle carrière académique j'aurais choisi sans le tennis.
Et je suis une personne totalement éprise de liberté et d'aventure. Si je n'avais pas réussi à devenir tenniswoman pro, j'aurais voyagé sac au dos au lieu de séjourner dans des hôtels cinq étoiles. J'aurais découvert le monde d'une autre manière.
Adaptation en français: Yoann Graber