Toutes ces accusations sont celles d'athlètes contre l'ancien entraîneur en chef de la fédération suisse d'aviron, Ian Wright, qui a quitté son poste en octobre dernier.
Quelques mois avant, au printemps 2024, des personnes issues du milieu de l'aviron ont contacté CH Media, le groupe auquel appartient watson, pour témoigner de la situation difficilement supportable au centre national d'entraînement de Sarnen (OW). Ces personnes avaient le sentiment que seuls des témoignages dans les médias offraient une chance d'obtenir de réels changements.
Nous avons mené des entretiens avec 27 personnes: des athlètes actifs et à la retraite, des coachs, des représentants de clubs et de fédérations ainsi que des professionnels de la santé et de l'entraînement. Certains rameurs en activité n'ont voulu parler que de manière anonyme, par peur des conséquences.
Les reproches visent l'ex-entraîneur en chef Ian Wright et le directeur – toujours en poste – de la fédération suisse d'aviron (Swiss Rowing), Christian Stofer. Le Néo-Zélandais Wright a remporté une médaille olympique en 1988 en tant que rameur. Il a été entraîneur national de la Suisse une première fois entre 2014 et 2016 et a fêté un titre olympique à Rio avec le quatre de couple masculin poids léger.
Wright s'est ensuite installé en Australie. Là aussi, il a glané l'or olympique, en 2021 à Tokyo. Malgré cela, une majorité d'athlètes australiens aurait demandé un changement au poste d'entraîneur. En janvier 2022, il est revenu chez Swiss Rowing en tant qu'entraîneur en chef. Le Néo-Zélandais de 63 ans est décrit comme un maniaque du contrôle: «Il ne fait confiance à personne d'autre qu'à lui-même», raconte une personne impliquée.
Christian Stofer est, lui, directeur de Swiss Rowing depuis 2008. Il est également un ancien rameur de haut niveau. De nombreux athlètes louent son engagement pour l'aviron suisse. Mais cet homme de 49 ans est vivement critiqué pour avoir toujours soutenu et défendu son entraîneur. Un entraîneur qui a poussé son pouvoir vis-à-vis des sportives et des sportifs jusqu'à la limite, voire au-delà.
Le système était basé sur «le fouet, le fouet, le fouet», témoigne une source. Seuls les plus forts survivaient et fêtaient des succès. «Une philosophie d'entraînement à la Darwin», résume un expert de l'entraînement, qui enchaîne:
Selon plusieurs témoignages, Ian Wright n'aurait montré aucun respect envers les athlètes. Ceux qui étaient malades ou blessés étaient considérés comme faibles. De nombreux sportifs vivaient dans un stress permanent et dans la peur, raconte une personne concernée.
«On était traité comme un enfant de 13 ans qui n'a aucune idée de ce qui est bon pour lui», rembobine le Vaudois Augustin Maillefer. L'ancien participant aux Jeux olympiques, qui œuvre désormais pour Alinghi, assène:
Maillefer sait de quoi il parle: il est scientifique du sport. Et il n'est pas le seul à critiquer les méthodes d'entraînement de Wright. Ben Carr, également scientifique du sport et partenaire de la rameuse de haut niveau Frédérique Rol, abonde:
L'ancien rameur olympique Nico Stahlberg s'est également montré très critique envers les structures de Swiss Rowing, après son départ inattendu du cadre en août 2020. «Je n'ai pas senti beaucoup d'estime. J'ai fini par avoir l'impression de n'être qu'un numéro qu'on a simplement remplacé», confiait-il à l'époque.
Jeannine Gmelin, sacrée championne du monde en skiff en 2017, a été la première figure féminine de proue de l’aviron suisse. En 2019, elle s’était détachée de la fédération pour s’entraîner avec son partenaire Robin Dowell, jusqu’au décès tragique de ce dernier. Trois ans plus tard, elle a décidé de réintégrer Swiss Rowing en vue des Jeux olympiques de 2024. Mais ce retour a été un choc.
«Je suis revenue avec un état d’esprit ouvert», confie-t-elle. Pourtant, elle a rapidement été confrontée à une réalité qu’elle juge inacceptable:
Et cette personne, c’est Ian Wright, l’entraîneur en chef. Jeannine Gmelin enchaîne:
La Lausannoise Frédérique Rol, autre star de l'aviron suisse, évoque une méthode récurrente chez Wright: «Un jour, il a critiqué chaque athlète devant toute l’équipe, énumérant ce que chacun faisait mal. Puis, à une personne, il s’est contenté de dire: "Toi, tu fais tout faux."» Elle rapporte aussi des remarques répétées sur l’alimentation des athlètes, notamment lorsque quelqu’un mangeait un dessert.
Le Néerlandais Tijmen Teunissen est physiothérapeute, mais il est aussi ancien rameur de haut niveau. Avant les Jeux olympiques de Paris, il a travaillé pendant deux ans et demi à Sarnen. Son diagnostic?
Pour appuyer ses propos, Tijmen Teunissen prend lui aussi un exemple lié à la nutrition: les mesures de la masse grasse des athlètes, qui sont normalement effectuées de manière anonyme. «Avec Ian Wright, elles étaient rendues publiques devant tout le monde, et si quelqu’un obtenait un mauvais résultat, il y avait des remarques de sa part.»
Des athlètes ont également caché leurs blessures pour ne pas mettre en danger leur sélection.
L'été dernier, Pascale Walker (29 ans) a pris place dans le quatre sans barreur suisse aux Jeux olympiques de Paris. Elle raconte comment, avant les Championnats du monde 2023, Ian Wright l'a traitée après qu'elle lui a avoué souffrir d’un important œdème touchant deux arcs costaux.
Aux JO de Paris, en raison de nouveaux problèmes physiques, Pascale Walker a souhaité consulter l'ostéopathe de Swiss Olympic, mais cela lui a été interdit. Elle a finalement consulté l'ostéopathe en secret.
Ici aussi, un schéma se dessine: les responsables de Swiss Rowing n'appréciaient pas la collaboration avec les entraîneurs mentaux et autres experts externes. Une source raconte que la recherche d'un soutien psychologique était perçu comme une faiblesse.
Une autre rameuse se souvient: «Quand j’ai été blessée, Ian Wright m’a dit que c’était ma faute. À un moment donné, six des neuf rameuses étaient incapables de ramer à cause de blessures aux côtes». Une autre source souligne qu’avec le temps, plus personne n'osait dire quoi que ce soit. Ian Wright était une figure d'autorité trop forte pour qu'on puisse s’opposer à lui.
Unanimement, les interlocuteurs reconnaissent que le directeur de Swiss Rowing, Christian Stofer, fait beaucoup pour l'aviron en Suisse. Mais les athlètes sont nombreux à lui reprocher, ainsi qu'à la fédération, d’avoir manqué à son devoir de soin envers les personnes qui lui ont été confiées et qui souffraient des méthodes de Ian Wright. Une rameuse se souvient d’un entretien avec Stofer en avril 2024:
De son côté, la rameuse Patricia Merz a tenté de dialoguer avec les responsables de la fédération pendant des années. En vain. «A chaque réunion, j’avais l’impression que le problème, c’était moi, que je ne fonctionnais simplement pas comme ils l’attendaient». Ce manque de compréhension a eu de lourdes conséquences chez elle:
«J'ai dit à Christian Stofer que cela ne pouvait pas continuer ainsi», se rappelle, de son côté, Kurt Struzina, père des deux anciens athlètes du cadre, Andri et Gian. Andri Struzina a été champion du monde en 2023 en skiff poids léger, mais a pris sa retraite l'année suivante à seulement 26 ans.
Kurt Struzina critique la philosophie d'entraînement de Swiss Rowing:
Ian Wright a quitté Swiss Rowing en octobre 2024 pour devenir le nouvel entraîneur national de la Chine. Son successeur à la fédération suisse est Alexis Besançon. Le Français (50 ans) a marqué des points en annonçant qu'il souhaitait individualiser l’entraînement et le structurer selon des critères scientifiques.
Mais cette question demeure: va-t-on, chez Swiss Rowing, se débarrasser de l’héritage de Ian Wright, de sa manière de penser? Un expert affirme que ce qui a été particulièrement grave, c’est qu’après la victoire olympique de Rio 2016, la méthode d’entraînement de Wright ait été adoptée même chez les jeunes. Avec de lourdes conséquences.
Cette source a reçu les témoignages de jeunes rameuses qui n’avaient pas eu leurs menstruations pendant des mois. Toute une génération de talents suisses a vécu dans une surcharge de travail constante. Mais personne dans le système n’est intervenu pour se demander sérieusement pourquoi tant de rameuses et de rameurs se sont retirés du haut niveau si tôt.
Le changement de cap par rapport au système Wright doit également être assuré par András Gurovits. Depuis janvier, il est président de la fédération. Pour les athlètes, le Zurichois est un porte-espoir. Mais pour de nombreux autres, ce changement arrive trop tard.
Traduction et adaptation en français: Yoann Graber