L'affaire a fait rire le monde entier le mois passé. Le jeune Américain Hans Niemann, 19 ans, est soupçonné d'avoir triché lors d'une partie d'échecs en utilisant un sex-toy, précisément un plug anal qui lui indiquait les coups à jouer en fonction des vibrations activées par une personne à distance.
Des soupçons nés de l'accusation de triche à son encontre du champion du monde Magnus Carlsen, défait lors de leur duel le 5 septembre aux Etats-Unis. Depuis, le Norvégien en a remis une couche: il accuse Niemann d'avoir triché dans plus de 100 parties en ligne depuis 2020. La plateforme spécialisée chess.com a publié un rapport qui valide la thèse de Carlsen.
Ce n'est de loin pas la première fois que les échecs vivent des situations cocasses. L'histoire de ce sport est pleine d'exemples de Grands Maîtres qui ont été prêts à faire tout et n'importe quoi pour gagner une partie. Florilège.
Le duel entre Anatoli Karpov et Viktor Kortchnoï pour le titre mondial en 1978 est qualifié par certains de plus «sale» de l'histoire des échecs. Il faut dire que les deux protagonistes n'ont pas manqué d'imagination pour tenter de déstabiliser leur adversaire.
Une forte délégation soviétique avait fait le déplacement à Baguio, aux Philippines, pour encadrer le jeune Russe Karpov. L'enjeu symbolique était très fort: il s'agissait d'affirmer la puissance du système communiste en battant le dissident Kortchnoï, lui aussi Russe mais exilé en Suisse. Ainsi, le staff comprenait un drôle de personnage: le docteur Zoukhar. La mission de cet énigmatique psychologue aux faux airs de Jack Nicholson, installé au premier rang de la salle? Fixer de son regard perçant Kortchnoï pendant des heures. Pour lui envoyer des mauvaises ondes ou simplement le déstabiliser? On ne saura jamais.
Dr. Zukhar in Baguio, 1978. https://t.co/VfCx04gBdK pic.twitter.com/3yogFaqhaI
— Olimpiu Di Luppi (@olimpiuurcan) July 3, 2016
Mais une chose est sûre: Kortchnoï a bel et bien été perturbé par cette présence mystique. Il a raconté, plus tard, avoir entendu des voix:
Devenu paranoïaque, le Suisse d'adoption a imploré les organisateurs d'éloigner le gourou au fond de la salle. Demande acceptée. De son côté, il a fait venir dans les gradins deux membres d'une secte méditative adepte du yoga pour tenter de contrer les forces obscures du docteur Zoukhar. Mais les deux individus – vêtus de robes et turbans orange et en position de lotus sur leurs sièges – n'ont pas réussi à empêcher la défaite de Kortchnoï.
Avant même l'entrée en lice de ces trois gourous dans le match, les deux adversaires avaient déjà tenté de s'intimider autour de l'échiquier. Ainsi, juste avant le premier coup de la partie, Kortchnoï sortait de sa poche et posait sur son visage des lunettes de soleil avec un verre miroir, car il savait que Karpov aimait particulièrement fixer son opposant dans les yeux. «Lorsque je portais des lunettes il ne pouvait voir que son propre reflet», s'amusait-il encore des années plus tard.
The moment when Korchnoi brought out his mirrored sunglasses in the opening game of his 1978 world title match against Karpov. pic.twitter.com/JTO0jb0DE3
— Olimpiu Di Luppi (@olimpiuurcan) October 17, 2017
Karpov, lui, avait refusé de serrer la main de Kortchnoï avant la huitième partie de ce duel, comme le voulait le règlement. De quoi mettre son adversaire hors de lui. «A ce moment précis, j'étais tellement en colère, tellement hors de contrôle, que j'ai perdu cette partie sans avoir joué», se lamentait Kortchnoï.
Un autre duel mythique a marqué l'histoire de la discipline: celui entre l'Américain Bobby Fischer et le Soviétique Boris Spassky. Comme le match Karpov-Kortchnoï, il s'agissait d'une finale pour le titre Mondial (1972). Avec, là encore, la guerre froide en toile de fond.
Mais cette fois, les comportements moralement suspects sont à imputer à un seul des protagonistes: Fischer. Le natif de Chicago était tout sauf un gentleman, au contraire de son adversaire. Avant même que ne débute cette partie programmée à Reykjavik, il a donné des sueurs froides aux organisateurs qui n'étaient pas sûrs que le match puisse se dérouler. De quoi, aussi, jouer avec les nerfs de Spassky et perturber sa préparation. L'excentrique américain est arrivé en Islande en retard, le 4 juillet, soit deux jours après la date initiale de la première partie.
Celle-ci a été repoussée au 11 juillet, et là encore, Fischer a posé un lapin en se pointant en retard de quelques minutes. De quoi mettre les nerfs de son adversaire à rude épreuve. Et à peine son premier coup joué, il s'est levé de l'échiquier pour aller se plaindre à l'arbitre du bruit que faisait la caméra à côté de lui.
Mais les caprices ne se sont pas arrêtés là. Défait lors des deux premiers actes, il a réclamé que les suivants se jouent sans public et sans caméra. Demande refusée par les officiels. Spassky, lui, a accepté que la suite du match se dispute dans une petite salle annexe sans public, comprenant uniquement une caméra de surveillance. Mal lui en a pris. Psychologiquement gargarisé, Fischer est complètement revenu dans la partie et a fini par l'emporter. A l'abri des regards et du bruit des appareils de production TV.
Durant son séjour islandais, Bobby Fischer avait multiplié les caprices: une piscine privatisée dans l'hôtel, une Mercedes neuve pour se rendre à la salle ou encore la construction de dix échiquiers d'entraînement par des artisans locaux, pour au final n'en utiliser aucun. Des lubies prémices de sa folie, dans laquelle il a sombré progressivement jusqu'à la fin de sa vie, achevée à seulement 64 ans.
Un scandale a éclaté au sein de la fédération française en 2010. Alors que l'équipe nationale participait aux Olympiades en Russie, sorte de Coupe du monde, les instances de la fédération ont constaté qu'un joueur et l'entraîneur trichaient. Restée en France, la vice-présidente, Joanna Pomian, voit apparaître un message sur le téléphone de l'un de ses collègues, parti aux toilettes: «Continue de filer les coups sur le tel de Seb».
Elle comprend très vite que le collègue en question, Cyril Marzolo, joue la partie en cours en Russie sur un logiciel et envoie par SMS des indications sur les coups à jouer directement à une personne sur place. Il s'avérera par la suite que la personne en question est l'entraîneur Arnaud Hauchard et que les instructions sont destinées au jeune prodige Sébastien Feller, en train de batailler sur l'échiquier contre un Russe. Comme Hauchard ne peut pas communiquer directement avec Feller, il bouge dans la salle et se place à des endroits précis, déterminés au préalable avec son protégé et qui correspondent à des codes pour jouer tel ou tel coup. La ruse fonctionne à merveille: si la France finit dixième, Feller, lui, empoche la médaille d'or en individuel et une prime de 5000 euros.
« le vol du bourdon » ou Gloire et chute de Sébastien Feller, le prodige des #échecs français devenu roi de la triche, par @VanityFairFR
— PascalBellanca-Penel (@pBellancaPenel) March 23, 2021
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Problème: la fédé a pris les deux tricheurs la main dans le sac en Russie. L'affaire est rendue publique quelques mois plus tard. Et en 2019, après presque dix ans de procédures, Feller, Hauchard et Marzolo ont été condamnés chacun à six mois de prison avec sursis et 1500 euros d’amende. De quoi bousiller une carrière.
Bien plus tôt dans l'histoire, la rage de vaincre et la filouterie régnaient déjà autour des échiquiers. Au 19e siècle, l'Américain Harry Nelson Pillsbury pensait que sa clairvoyance était due à la fumée de ses cigares qu'il inhalait pendant les matchs. Alors, pour le perturber, Szymon Winawer a avoué avoir délibérément fumé de mauvais cigares pendant leur duel, histoire d'enrayer la concentration et l'inspiration (au propre et au figuré) de son adversaire.
On le sait, les sportifs sont très superstitieux. Le Russe Alexander Alekhine ne faisait pas exception. Il jouait ses matchs avec son chat siamois sur ses genoux. Pendant le championnat du monde 1935, il plaçait l'animal sur l’échiquier avant chaque match, histoire de lui porter chance.
Moins noble, pour le coup: Alekhine aurait aussi espéré une réaction allergique chez ses opposants. Dès lors qu'il a été interdit de jouer avec son chat sur les genoux, il a porté un pull avec la photo du siamois collée dessus.
Marcel Duchamp plays chess against Alexander Alekhine and his cat.#chess #chessinpictures #chesshistory #chessplayers #ChessArt pic.twitter.com/WCscPBRLdo
— Chessify (@ChessifyMe) June 13, 2018
On ne sait pas si Rosendo Balinas a souffert de diabète et de caries, mais l'anecdote suivante a de quoi nous faire penser que oui. Lors d'un tournoi en 1979, le grand maître philippin a eu une idée pour le moins étrange en pleine partie. Un témoin raconte:
Mais Balinas n'a pas gardé longtemps son sourire: douze coups plus tard, il devait déclarer forfait, mis K.O par son overdose de sucre.
Alors quand vous galérerez contre tonton Gilbert lors de votre prochaine partie à Noël, contentez-vous d'un morceau de bûche pour retrouver votre vivacité d'esprit!