553 km exactement séparent Lenzerheide, où se disputent cette semaine les finales de la Coupe du monde, de Courchevel, où Alexis Pinturault a vécu toute sa jeunesse. Ce n'est pas beaucoup mais pour le Français, c'est un monde. Dans le premier, il est un skieur affirmé et talentueux, vainqueur du premier grand globe de sa carrière; dans le second, il est un petit garçon timide, en apprentissage sous l'autorité d'un père intransigeant. C'est à l'enfant que ce portrait est consacré.
À Courchevel, Claude Pinturault (le papa) avait l'habitude de dire que «le deuxième était le premier des derniers». Alexis, lui, racontait que son père avait «toujours raison». C'est donc avec la volonté permanente de décrocher la seule place qui compte que le jeune skieur a chaussé ses lattes sur la piste longeant l'hôtel familial, un cinq étoiles qui faisait la fierté du clan Pinturault et qui a déterminé l'éducation de l'apprenti champion.
L'Annapurna était le premier établissement de luxe de la station française. Les hivers de belle neige, il offrait à la famille Pinturault un bénéfice de 10 000 euros par mois, ce qui faisait d'Alexis un garçon privilégié. Craignant que ce confort n'altère sa détermination (dans le jargon sportif: sa niaque), Claude se donnera pour mission de pousser son fils vers les sommets, dans une ode permanente au dépassement de soi.
La méthode du paternel était parfois musclée («Claude n'est pas un marrant», glisse l'ex-skieuse Florence Masnada), mais Seb Santon la jugeait non dénuée de bienveillance. «Son père lui a appris à ne jamais faiblir, relate cet ancien éducateur du prodige dans Le Parisien. D’ailleurs, même si la famille était aisée, Alexis n’avait jamais le matériel dernier cri. À un moment, ça l’embêtait de n’avoir qu’une paire de skis de slalom. Mais chez lui on disait: «Tu dois la mériter, aller la chercher».»
Né robuste (il pesait 4 kg à la naissance) et hardi (il tirait des fléchettes sur son frère), «Pinpin» a fait toutes ses classes avec talent mais surtout persévérance. Encouragé par son père, il l'a aussi été par sa mère d'origine norvégienne, dont il a hérité «de la simplicité et de l'humilité» (Frison-Roche).
Ses moniteurs de ski ont également mis un soin particulier à couver celui qu'ils considéraient comme un champion en devenir. «Je m'étais dit: «Si on n'y arrive pas avec lui, on change de métier!», racontera l'un de ses premiers entraîneurs. Joint par téléphone, le directeur du Club des sports de Courchevel, Bruno Tuaire, décrit la trajectoire du prodige.
La progression du jeune Alexis ne s'est toutefois pas faite sans susciter certaines interrogations, voire une forme de méfiance que son géniteur confessera des années plus tard.
La chance de «Pintu», qu'il ne doit cette fois qu'à lui-même, c'est d'avoir rapidement confirmé les attentes placées en lui. Il n'avait pas encore 18 ans lorsqu'il est devenu champion du monde junior de géant. «Là, je me suis dit qu’on avait peut-être fait le bon choix», reconnaîtra son père, qui installera une armoire à trophées à la réception de l'hôtel et accompagnera ensuite son fils sur les courses. Claude était ainsi au pied de la face de Bellevarde, en 2012, pour commenter avec sa franchise habituelle l'élimination d'Alexis en géant:
Cette semaine, le paternel est à Lenzerheide, auprès de celui qu'il a vu naître et grandir, et dont il attend toujours beaucoup. «Claude a cédé la gestion de l'hôtel à sa fille Sandra il y a deux ans. Il officie désormais comme papa et comme manager d'Alexis, renseigne Tuaire. Il n'intervient pas dans le domaine sportif. C'est un homme d'affaires qui est très bon pour négocier des contrats avec les marques et faire rentrer de l'argent dans les caisses de son fils.»
Alexis Pinturault a peut-être souffert, parfois, des injonctions de son mentor. «S'il s'est installé en Autriche (ndlr: à Altenmarkt-Im-Pongau) en 2017, c'est par souci pratique, bien sûr, mais sans doute aussi parce que cela lui permettait de s'éloigner du papa dominant», songe Florence Masnada. La relation père-fils semble désormais apaisée. Le skieur de Courchevel se dit serein, et même reconnaissant:
Il lui reste une course à disputer cette saison (un slalom dimanche) mais son principal objectif était la quête du gros globe et il sait que dans cette course là, il ne sera pas le premier des derniers.