Il faut croire que Roger Federer était vexé, sinon profondément heurté, parce qu'il a raconté la même histoire à plusieurs médias, avec pratiquement les mêmes mots. Aux journalistes suisses, mais aussi aux français et aux américains, il a dit sa surprise que personne ne lui ait posé de questions sur son dos (2013) ou son genou (Wimbledon 2021) après certaines défaites piteuses. L'allusion était claire: «Pensiez-vous vraiment que tout était normal, que j'étais aussi nul?»
Roger Federer n'a pas tort: les journalistes qui suivent le tennis (dont nous sommes) font parfois preuve d'une obligeance zélée, si excessive qu'elle touche à l'autocensure et la lâcheté. Mais dans le même temps, Federer ne peut pas oublier l'accueil «chaleureux» qu'il réservait aux questions sur sa santé: il était le premier à en prendre ombrage. Pas seulement lui: tous ses collègues.
Ce sujet, à vrai dire, n'est presque jamais abordé. Il est à la fois inconvenant et embarrassant. Dans le tennis, joueurs et journalistes sont liés par une sorte de code d'honneur archaïque qui prescrit de taire les éventuelles blessures, petites ou grandes, afin de ne pas dévaloriser les mérites de l'adversaire. Comme le dit un adage viril: «Soit tu es apte à monter sur le court et tu te tais, soit tu ne l'es pas et tu déclares forfait.»
Pour Roger Federer, la règle a atteint une forme d'absurdité à l'US Open 2013, après une élimination humiliante contre Tommy Robredo - un métronome à l'ancienne, ni malin ni particulièrement tenace, que le Bâlois avait précédemment battu dix fois en autant de confrontations. Il était clair que Federer n'était pas lui-même. Il était évident que les cris et les rires de Robredo étaient d'autant plus exaspérants.
Nous étions à la conférence de presse d'après-match lorsque notre confrère canadien Tom Tebbutt a demandé au Maître: «Vous sentiez-vous en forme physiquement?» La réponse avait claqué: «Tout était normal. Je n'ai eu mal nulle part.» Inutile d'insister.
Or Federer a proposé une version revisitée de ce même épisode, la semaine dernière, dans un entretien à L'Equipe:
Il y a là une tentative d'omission, toutes ces choses que l'on ne dit pas. Il y a toutes ces fois où Stan Wawrinka a perdu en Australie et à New York, sous l'effet de la climatisation, avec de la fièvre et des raideurs, dans un état grippal. Mais «il ne fallait pas le dire», ne pas donner l'image d'un joueur qui cherche des excuses. Ne pas transgresser le code d'honneur et passer pour un loser.
Grotesque, encore, lorsque Rafael Nadal s'incline sèchement devant son ami David Ferrer, surnommé «la Mobylette», à l'Open d'Australie 2011. L'Espagnol avait la cuisse momifiée et la démarche d'une oie obèse. Il était numéro 1 mondial. Il a admis ne pas s'être senti «au mieux», mais a refusé de s'appesantir sur cette blessure «par respect envers le vainqueur».
Il ne serait pas étonnant qu'un jour, peut-être le dernier de sa carrière, Nadal regrette que personne ne lui ait posé de questions sur sa cuisse... Depuis, avec les tourments de l'âge, l'Espagnol a pris l'habitude de tout dire, dans un réflexe cathartique et thérapeutique. Jusqu'à l'excès, sans doute.
«A chaque fois que tu dis que tu as mal ou quelque chose, c'est: "Ah, le mec est mauvais perdant", a plaidé Roger Federer en marge de la Laver Cup. La ligne est super fine. J'ai essayé de gérer ces moments du mieux que j'ai pu mais, forcément, j'ai commis des erreurs dans ce domaine.»
Il y a eu le dos et le genou. Mais il y a eu toutes ces blessures d'amour-propre que Federer a gardé pour lui, comme des douleurs silencieuses. Si les joueurs de tennis en souffrent autant, s'ils désespèrent de ne pas être compris, peut-être devraient-ils signaler leurs problèmes? Simplement, sobrement. Franchement?