L’Eurovision, l’émission de variétés la plus cool du monde, est aussi l’un de moments les plus politisés de l’année. Le scénario de 2024 à Malmö s’est répété en 2025 à Bâle. Il s’est même amplifié. Grâce au vote massif du public, Israël s’est hissé sur la deuxième marche du podium samedi soir en Suisse, alors qu’il avait atteint la cinquième place en Suède, au terme d’une remontée phénoménale le tirant des profondeurs du classement où l’avait relégué le vote du jury.
Certains, tel le député de La France insoumise Aymeric Caron, accusent les partisans d’Israël d’avoir maximisé les votes en faveur de l’Etat hébreu en recourant à des programmes informatiques, des bots. En d’autres termes, d’avoir triché. Si le règlement permet à un téléspectateur de voter 20 fois, ce ne peut être deux fois pour le même pays. L’organisation du Concours Eurovision de la chanson n’évoque pas pour l’instant une possible fraude.
Pour en revenir aux aspects politiques, on constate que, comme l’an dernier, la chanson israélienne a fait office de catalyseur. Une «majorité silencieuse» – certes relative – a une nouvelle fois voté massivement pour Israël, et ce n’est pas seulement pour les qualités de la chanson, suppose-t-on. Le fait que son interprète, Yuval Raphael, soit une rescapée du 7 Octobre, peut par ailleurs expliquer un élan de sympathie en sa faveur.
Hormis quelques exceptions, le public d’Europe de l’Ouest, pays scandinaves inclus, a accordé 12 points, le maximum, à Israël. Y compris – surtout, devrait-on dire – le public des pays où le soutien aux Palestiniens de Gaza et l’hostilité à la guerre menée par l’Etat hébreu, sinon à l’Etat hébreu lui-même, dominent dans une partie de l’opinion.
Les 12 points attribués par le public de l’Espagne à la chanteuse israélienne Yuval Raphael témoignent à ce titre d’un net décalage entre le parti pris propalestinien du gouvernement espagnol et ce que pense, manifestement, une part importante des citoyens de ce pays. Les publics suisse, français, britannique, allemand et bien d’autres, ont, de la même manière, plébiscité Israël samedi soir à Bâle.
Par définition, le vote secret permet de contourner le politiquement correct, sinon les tabous. On peut faire l’hypothèse que le soutien, encore une fois massif, de la part du public, à la chanson israélienne, a quelque chose d'un vote par procuration. Israël est perçu par une partie probablement croissante de la population européenne comme le poste avancé de la «résistance à l’islam», censément grandissant sur le continent européen.
Plus personne ne l’ignore, le vote des droites extrêmes, et de plus en plus dans les partis conservateurs, l’UDC, majoritaire en Suisse, étant un bon exemple, se veut un vote d’«endiguement» face à la pression migratoire, associée à l’islam. L'engouement populaire pour Israël à l’Eurovision est sans doute moins la manifestation d’un philosémitisme, ni même l’approbation de la guerre de plus en plus éradicatrice menée par Israël à Gaza, qu’une manière de signifier une position face à l’immigration en Europe et aux craintes qu’elle suscite. Pas seulement à l'extrême droite ou chez les conservateurs, du reste.
A ce propos, les alliances passées par une partie de la gauche avec des islamistes, dans la rue et dans les milieux universitaires, qui n’ont jamais eu un mot pour les victimes des massacres du 7 Octobre perpétrés par le Hamas, sont assurément mal reçues par une majorité de l’opinion, nonobstant la réprobation que suscitent chez un grand nombre les opérations militaires israéliennes à Gaza, qui sont entrées ce dimanche dans une phase d'offensive terrestre, annonce Tsahal.
Quant aux LGBTQIA+, dont l’Eurovision est en quelque sorte le lieu annuel du refuge festif, il conviendrait certainement de distinguer parmi eux entre les militants, de gauche et solidaires de Gaza depuis quasiment le 7 Octobre, dans l'ignorance, là aussi, des victimes juives des massacres, et la «masse» des gays et lesbiennes, peut-être des trans aussi. Ces derniers, sans approuver Israël dans sa guerre, n’en constatent pas moins une différence de traitement, selon qu’ils vivent sous un régime qui leur reconnaît des droits, Israël est de ceux-là, ou sous d'autres qui ne leur en reconnaissent aucun.