Divisée à 50/50. C'était l'état de l'opinion en Suisse sur le paquet d'aide aux médias selon les sondages parus le 7 janvier (SSR et Tamedia), avec une légère avance du «oui» en Suisse romande. Ces mesures de soutien financier sur lesquelles nous voterons le 13 février prochain se montent à 178 millions de francs et ont comme nouveauté l'introduction d'un subside direct à la presse en ligne proposant des abonnements payants. Nous voterons sur le texte du parlement parce qu'un référendum a été déposé.
Derrière ce premier sondage, une réalité, attestée d'année en année par divers instituts: les journalistes, en Suisse et ailleurs, n'ont pas la cote. Plus subtilement, un certain rapport d'amour-haine semble unir la population à ces messieurs dames qui les informent: les gens ont besoin de lire, de regarder, d'écouter les contenus tout autant que de les critiquer. Jusqu'à parfois s'adonner au rejet général.
«Quand on tend l'oreille au café du commerce, on constate qu'une part significative des gens estiment que l'information n'est pas correctement traitée», estime Marie Deschenaux, experte en relations publiques et chargée de cours à l'Académie du journalisme et des médias (AJM) de l'Université de Neuchâtel. «Ils n'y trouvent pas assez d'objectivité, de pluralité et de recul.»
Pour elle, cette impression est fondée, même si on trouve de tout dans les critiques des médias. «Il y a une responsabilité des éditeurs qui demandent aux journalistes d'aller toujours plus vite en produisant la même qualité, ce qui évidemment n'est pas viable. Les lecteurs s'en rendent très bien compte.» Mais ce ne sont pas seulement les patrons qui sont en cause. Les journalistes eux-mêmes, dans leur pratique de la profession, font partie de l'explication. Avec leurs amis les communicants:
Traduction concrète: «Normalement, en tant que spécialiste en relations publiques, on ne doit pas faire un cadeau de plus de 50.- CHF à un journaliste: en gros, cela se limite au restau. Mais beaucoup de communicants, et en retour beaucoup de journalistes, franchissent allègrement la ligne, ce qui réduit forcément les chances que l'article qui résulte de la collaboration soit neutre.»
D'accord, mais le lectorat a-t-il vraiment envie d'un journalisme qui prend du temps, qui met tout en perspective – et est-il prêt à payer pour cela? Concernant le second point, Marie Deschenaux répond que l'information a un intérêt collectif, ce qui justifie des soutiens publics, notamment pour les «petits médias indépendants, qui font de gros efforts pour produire du contenu vérifié, diversifié et original.» Quant au premier point:
Or, pour l'ancienne présidente de la Société Romande de Relations Publiques, qui connaît bien le monde du numérique, l'émergence des réseaux sociaux a totalement changé les pratiques de consommation d'informations. Un phénomène qui participe aussi selon elle au rapport plus distant qu'entretient le public avec les médias et leurs représentants:
«Comme tout ce qui touche aux médias, il y a une part d'émotionnel», note Marie Deschenaux, commentant le sondage SSR. Mais la méfiance envers les journalistes n'est pas la seule raison de ce clivage politique. Un fort parfum de «No Billag», la votation qui visait la suppression de la redevance publique, entoure ces deux fronts s'opposent fondamentalement autour du rôle de l'Etat. Est-ce à l'instance publique d'arroser un secteur en difficulté économique, en l'occurrence le journalisme?
Non, répond l'UDC et une partie significative du PLR, qui souhaitent limiter les dépenses de l'Etat et contrôler son lien avec les médias. Oui, répondent au contraire les défenseurs de la subvention, notamment à gauche, affirmant que l'information n'est pas un service comme les autres: une pluralité de médias renforce la démocratie en favorisant la formation d'opinions et le contrôle du pouvoir par la population. Cet intérêt public justifie une subvention étatique.
Certains partisans de cette conception sont toutefois sceptiques sur l'aide aux médias telle que proposée par Berne. C'est le cas du professeur d'économie publique à l'Université de Fribourg Mark Schelker. «Je soutiens le principe des subventions, mais il faut les unifier. A l'époque, il y avait du sens à ce que la radio et la télévision soient étatiques, car il était techniquement impossible de les financer sur le seul principe de l'offre et la demande. Les choses ont changé.»
Le fait que le paquet d'aides concerne les médias en ligne, mais seulement payants, n'a pas de sens pour l'économiste. Pour lui, il faudrait que la question soit dépolitisée, avec des conseils qui garantissent l'indépendance des rédactions et l'obtention des critères pour toucher un soutien. Vaste chantier. En attendant, la votation du 13 février sera surtout un test pour la confiance des Suisses envers les médias. Envers la RTS, aussi, qui a été au cœur des discussions «No Billag» il y a trois ans et de tourmentes plus récentes. Envers l'Etat enfin.