Suisse
Interview

Une Suisse à 11 millions d'habitants? «Le problème c'est l'eau»

Matthias Finger, professeur à l'EPFL, estime que la Suisse doit mieux penser ses infrastructures, notamment la question de l'accès à l'eau.
Matthias Finger, professeur à l'EPFL, estime que la Suisse doit mieux penser ses infrastructures, notamment la question de l'accès à l'eau.
Interview

Une Suisse à 11 millions d'habitants? «Le principal problème, c'est l'eau»

Les routes, le rail et le réseau électrique atteignent leurs limites en Suisse. Matthias Finger, professeur à l'EPFL, invite à un changement radical de mentalité. Il appelle à voir le pays non pas comme 26 cantons isolés, mais comme une grande ville verte. Et en appelle à Albert Rösti.
29.04.2023, 07:5829.04.2023, 12:03
Mark Walther / ch media
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La Suisse est en pleine croissance. Mais il y a encore beaucoup de place pour accueillir de nouveaux habitants: le pays pourrait abriter 11,4 millions de personnes, a récemment estimé l'agence immobilière Wüest partner.

Pour l'expert en infrastructures de l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) Matthias Finger, nous devons repenser notre rapport aux infrastructures pour pouvoir organiser efficacement une Suisse à plus de dix millions de personnes.

Matthias Finger, de l'EPFL.
Matthias Finger est professeur à l'EPFL.wikimedia commons

Des bouchons tous les jours sur l'autoroute, des trains saturés... l'infrastructure de transport suisse n'est-elle pas à la peine alors que nous nous rapprochons des neuf millions d'habitants?
Nous pouvons quasiment parler de dix millions. Il faut y ajouter les zones frontalières, surtout si on parle du trafic routier. Chaque jour, 350 000 frontaliers viennent en Suisse. Genève, par exemple, compte une immense agglomération transfrontalière. Mais au final, les pendulaires s'accommodent des embouteillages.

«La première limite à la croissance démographique n'est pas la mobilité»

Où est le problème?
A mon avis, dans la gestion de l'eau. En France, il n'y a plus de permis de construire dans certains départements à cause des pénuries d'eau. En Suisse, nous n'en sommes pas encore là, mais prenons l'exemple du canton du Jura: certaines communes ne construisent plus parce qu'elles manquent d'eau.

Dans quels autres domaines la situation pourrait-elle devenir critique?
L'énergie. Nous poussons à l'électrification, notamment du transport, sans disposer de l'électricité nécessaire à tout cela. Nous pourrions l'importer si nous trouvions un accord avec l'Union européenne (UE)... C'est une question politique.

Comment produire plus d'électricité en Suisse?
On peut y remédier avec l'énergie solaire et éolienne. Mais politiquement, c'est difficile. L'implantation d'éoliennes suscite beaucoup de protestations.

La Suisse pourrait accueillir 11,4 millions d'habitants dans les conditions actuelles. Que faut-il faire pour que l'infrastructure puisse suivre le rythme d'une telle croissance?
Il faudrait augmenter la densité de nos infrastructures, mais nous sommes à la limite. Créer de nouvelles voies de chemin de fer, par exemple, c'est presque impossible. Une nouvelle autoroute? On peut l'oublier. Nous devons procéder autrement et tirer davantage de l'infrastructure existante grâce à des gains d'efficience.

Comment faire?
Il faut cibler les points du réseau où on peut maximiser l'efficience du système dans son ensemble et investir dans les goulets d'étranglement des transports.

«Nous pourrions tirer encore plus des transports publics. Mais on investit au mauvais endroit»

Cela vient du fait que l'Office fédéral des transports (OFT) écoute les politiciens, notamment cantonaux. Et ce sont ceux-ci qui sont responsables de la planification et non les CFF. Et chaque canton essaie de tirer la couverture à lui. Ce n'est pas optimal pour le système.

Vous demandez donc plus de pouvoir d'organisation pour les CFF?
Je demande le même modèle que pour l'électricité. Swissgrid exploite l'entièreté du réseau électrique de haute tension et détermine où des fonds doivent être investis pour que le système fonctionne de manière optimale. Il devrait en être de même pour le rail.

«Il faudra aussi un régulateur, les entreprises ne doivent pas pouvoir faire n'importe quoi»

Concrètement, où faut-il investir davantage?
Dans les grands carrefours et les gares. Celle de Lausanne, notamment, doit être aménagée de toute urgence. C'est aussi le cas à Lucerne. A Berne, les travaux sont en cours. Il faut absolument augmenter la fréquence des trains aux heures de pointe.

«Avec un départ toutes les 15 minutes, par exemple, il n'y a plus besoin d'horaire et le problème des correspondances serait résolu»

Rendre les liaisons plus rapides à tout prix n'est pas nécessaire. Les gens apprécient davantage la fiabilité et la régularité des départs qu'un gain de temps de cinq minutes entre Genève et Lausanne.

Qu'en est-il sur la route?
Je ne vais pas me faire des amis avec ce qui suit, mais... Voyons les choses comme elles le sont: une voiture est utilisée en moyenne par 1,6 personne et est garée 23 heures sur 24.

«Niveau efficience, c'est mauvais»

Je ne suis pas contre la voiture et je pense qu'elle est nécessaire pour le «dernier kilomètre». Mais on pourrait tirer bien plus des routes et des autoroutes avec une meilleure offre de bus ou des navettes électriques pour quinze personnes.

Qui est responsable, selon vous?
Le problème, c'est le manque de cohérence. Les gares appartiennent aux CFF, mais les terrains qui les entourent, généralement aux villes. Les autoroutes appartiennent à la Confédération, mais les autres routes aux cantons et aux communes. Personne n'est responsable de l'ensemble du système. En Suisse, nous avons pourtant l'avantage d'avoir un département fédéral qui s'occupe de l'ensemble des infrastructures. Cela n'existe nulle part ailleurs. Et pourtant, il ne génère pas de solutions. On pourrait y coordonner les choses beaucoup mieux. Il faut une responsabilité globale.

«Le nouveau conseiller fédéral en charge des infrastructures, Albert Rösti, a là une chance unique de nous offrir une meilleure cohérence qui servirait les usagers»

Cela se ferait cependant au détriment de l'autonomie des cantons et des communes.
C'est certain. Mais les cantons sont de toute façon dépassés, c'est un échelon politique moyenâgeux. Que les politiciens cessent de penser en fonction des frontières cantonales! Car le premier changement, le plus important, a déjà eu lieu dans la tête des Suisses.

«Nous sommes une région métropolitaine, une grande ville verte de dix millions d'habitants...»

...et non pas un ensemble de 26 cantons aux limites arbitraires.

Etes-vous optimiste pour le futur des infrastructures en Suisse?
Pas vraiment. La pression sur le réseau va continuer à augmenter. Que fera-t-on le jour où le Jura dira au reste du pays qu'il n'a plus d'eau à disposition et qu'il ne pourra plus construire? On pourra aller trouver de l'eau plus loin, forer plus profondément, mais le pompage et le transport coûtent cher. Que fera-t-on? Le canton de Neuchâtel offrira-t-il de l'eau au Jura? Dans de nombreux cantons, l'approvisionnement en eau n'est même pas réglementé par le canton, mais par la commune. C'est un exemple parmi tant d'autres. Et 11,4 millions de personnes en Suisse, cela serait possible, mais seulement si tout est organisé de manière beaucoup plus efficiente...

«...et si l'on se décide à briser quelques tabous — comme l'autonomie cantonale et communale, et la distinction inutile entre la route et le rail»

Il n'y a vraiment rien qui vous rende optimiste?
Sans tomber dans le techno-optimisme... avec la numérisation, nous disposons d'instruments qui nous permettront d'être plus efficients.

Traduit et adapté par Nicolas Varin

Copin comme cochon: les pendulaires
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