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Parti en Turquie pour ses cheveux, il raconte son aventure

Chaque année, un million d'hommes se rendent à Istanbul pour subir une greffe de cheveux – Felix l'a fait lui aussi.
Pour beaucoup, un voyage de Turquie n'a rien d'un simple projet touristique.Image: Mario Heller

«Seul Dieu peut faire mieux»: avec ceux qui greffent des cheveux

Istanbul est la capitale des cliniques capillaires. Abdulaziz Balwi dirige la plus grande d'entre elles, et il prend en charge 80 Suisses par mois. Comptez 2500 francs pour un week-end comprenant l'opération, l'hôtel et le taxi. Felix, 26 ans, a tenté l'aventure.
24.08.2025, 07:0524.08.2025, 07:05
Mario Heller / ch media

«Prépare-toi à partir en orbite!», plaisante l'anesthésiste en administrant par perfusion de la kétamine à Felix Hofmann, 26 ans. Après quelques secondes, le jeune homme au crâne rasé allongé sur la table d'opération ne perçoit plus rien.

L'équipe chirurgicale se met immédiatement au travail et lui injecte dans la tête un mélange de solution saline et d'anesthésiant local.

Ainsi débutent huit heures d'intervention

La peau se gonfle comme du papier bulle, chaque injection créant un petit renflement bien bombé. Cela facilite le prélèvement d'environ 4500 follicules pileux à l'arrière de la tête. Ils seront réimplantés sur les zones chauves à l'avant. Felix ne se souviendra pas des deux premières heures de l'intervention, qui en compte huit au total.

Felix racontait encore la veille, alors qu'il se rendait en taxi de luxe de l'aéroport à la clinique:

«Quand je regarde de vieilles photos, je me rends compte que ma perte de cheveux a commencé dès l'âge de 19 ans»

Chaque jour, des milliers d'hommes du monde entier convergent à Istanbul pour tenter de prolonger leur jeunesse grâce à une greffe capillaire. Selon les statistiques des autorités turques, ils auraient été plus d'un million en 2022.

Une prédisposition héréditaire

Félix Hofmann a tout du jeune Allemand méthodique, vêtu d'un jean, d'une chemise et de lunettes. Il est toujours aimable et réservé à la fois.

«C'est déprimant de voir que j'avais plus de cheveux à l'époque qu'aujourd'hui»
Felix Hofmann a perdu ses cheveux dès son plus jeune âge, tout comme son père.
Felix Hofmann a perdu ses cheveux dès son plus jeune âge, tout comme son père.Image: Mario Heller

A Berlin, il travaille dans une entreprise qui soutient les start-ups médicales avec l'intelligence artificielle. Bien que son début de calvitie ne saute pas aux yeux, il sait que son père et ses deux grands-pères sont devenus chauves très tôt. Un sort qu'a connu Felix lui aussi depuis la pandémie:

«Avec tous ces appels vidéo, je me confrontais constamment à mon propre reflet, et les zones lisses me dérangeaient de plus en plus.»

C'est finalement l'un de ses amis plus jeune qui l'a aidé à franchir le pas:

«Il souffrait également d'une calvitie naissante et a décidé de subir une greffe»

Felix a été impressionné par la qualité et par le prix: un week-end à Istanbul avec opération, séjour à l'hôtel et taxi inclus coûte environ 2500 euros, le patient n'a plus qu'à réserver le vol. Hofmann explique son mal-être:

«Dans un monde dominé par les réseaux sociaux, où on poursuit des idéaux de jeunesse et de vitalité, l'absence de cheveux symbolise la fin de cette apparente jeunesse.»

Et, contrairement à une bedaine, impossible d'y remédier simplement par de l'exercice physique.

La perte de cheveux reste pourtant un phénomène naturel: jusqu'à un tiers des hommes blancs en présentent déjà des signes à l'âge de 30 ans. Felix Hofmann ne le perçoit pas de cette manière:

«Je n'ai pourtant jamais vu quelqu'un de mon âge avec ce problème dans une série Netflix ou dans une publicité.»
«Notre société associe souvent automatiquement cela à la vieillesse, ce qui me dérange»

Un cadre futuriste et bien étrange

Après une demi-heure de trajet, Felix arrive à une clinique du nord de la ville. Une skyline ultramoderne d'immeubles luxueux s'étend le long de rues inachevées, et le paysage urbain donne l'impression d'être resté au stade de concept. Dans le hall d'entrée, deux réceptionnistes en uniforme accueillent le patient. L'une d'elles n'a plus de larynx. Pour parler, elle appuie sur un petit bouton situé sur son cou. Il en sort une voix robotique.

Ce son artificiel se fond parfaitement dans l'atmosphère futuriste du foyer, au centre duquel un immense buste est éclairé par un projecteur diffusant des séquences étranges. Des hommes avec des bandages autour de la tête sont assis çà et là sur des canapés et à des tables; beaucoup semblent avoir été réveillés en plein rêve.

Un bruit de vaisselle s'échappe de la cantine, tout comme l'odeur du café Starbucks fraîchement moulu. Contre un mur, une œuvre d'art composée d'horloges qui tournent à l'envers. Sa signification, comme le lance fièrement un médecin un peu plus tard:

«Ici, on remonte l'horloge biologique»

Elithair, plus grande clinique capillaire au monde autoproclamée, réalise chaque année environ 15 000 greffes de cheveux sur une superficie équivalente à plus de 2500 terrains de football. Environ 80 patients arrivent chaque mois de Suisse. L'entreprise prévoit d'y ouvrir une succursale, qui permettra de réserver directement des forfaits tout compris.

La clinique dispose de 68 chambres d'hôtel où les patients séjournent après l'opération. Istanbul est considérée comme la Mecque de la greffe capillaire. On estime qu'elle totalise plusieurs centaines d'établissements.

Des interventions boostées par les réseaux

Abdulaziz Balwi, médecin-chef d'Elithair, conçoit les réseaux sociaux comme un facteur décisif dans l'engouement pour sa spécialité. Il y a douze ans, ses patients venaient principalement du Moyen-Orient:

«Après l'intervention, ils restaient souvent ici jusqu'à ce que leurs cheveux aient complètement repoussé, afin de s'assurer que personne chez eux n'apprenne ce qu'ils avaient entrepris.»

Désormais, des personnalités connues, telles que Christian Lindner, Elon Musk ou Xherdan Shaqiri parlent publiquement de leurs greffes de cheveux. Le docteur Balwi a lui-même déjà eu deux opérations, et en prévoit une autre dans une dizaine d'années.

«Chaque fois que je me regarde dans le miroir et que je vois mes cheveux, c'est la joie»
Abdulaziz Balwi

Une sympathie silencieuse entre patients

Felix s'installe dans sa chambre. Une immense baie vitrée offre une vue imprenable sur les innombrables nouveaux bâtiments. Il se rend ensuite au troisième étage et le marathon des préparatifs commence. Contrat de traitement, électrocardiogramme, prise de sang et analyse capillaire par intelligence artificielle.

Entre les différentes étapes, il s'installe dans le lounge, qui a le charme d'une salle d'attente haut de gamme.

Une employée médicale effectue une analyse capillaire chez Hofmann.
Une employée médicale effectue une analyse capillaire chez Hofmann.Image: Mario Heller

Des canapés confortables sont nichés dans d'immenses paniers, deux téléviseurs à écran plat accrochés au mur diffusent des pubs pour les prestations dentaires proposées quelques étages plus haut.

Parfois, des conversations spontanées s'engagent entre les patients: «Tu vas te faire transplanter combien de cheveux?» ou «Tu trouves qu'on mange bien, ici?» La plupart du temps, cela se limite à un simple signe de tête. Une camaraderie silencieuse règne dans l'air.

La perte des cheveux, une lutte millénaire

Depuis des millénaires, la lutte contre la chute des cheveux unit les hommes à travers le monde. Chez les moines bouddhistes, on la prend certes pour une marque de sagesse et d'épanouissement spirituel. Mais, dans la plupart des autres régions, une chevelure abondante symbolise la force et la virilité. Pour la préserver, les anciens Egyptiens se massaient la tête avec des piquants de hérisson imbibés d'huile ou concoctaient d'obscures potions à base de dattes, de pattes de chien et de sabots d'âne.

De l'autre côté de la Méditerranée, Socrate apportait sa contribution philosophique en la matière: l'herbe ne pousse pas dans les rues animées. Dans les années 1930, le dermatologue japonais Shoji Okuda a révolutionné la chose. Il prélevait de petits morceaux de peau avec des follicules pileux sains à l'arrière de la tête et les transplantait dans les zones chauves. Initialement développé pour traiter les cicatrices de brûlures, son procédé a jeté les bases des techniques actuelles.

1000 greffons en plus que prévu

Felix prend place devant un grand miroir. La médecin turque commence à mesurer sa tête et tire plusieurs fois sur ses cheveux pour vérifier leur solidité.

La médecin trace au feutre les lignes qui représenteront la future pousse, avant de faire une remarque:

«Nous pouvons implanter environ 75 cheveux par centimètre carré. Seul Dieu peut faire mieux, avec 100 cheveux»
La zone destinée à la greffe est marquée avec une précision millimétrique.
La zone destinée à la greffe est marquée avec une précision millimétrique.Image: Mario Heller

«La ligne me semble très haute», remarque le jeune homme avec scepticisme en découvrant le premier croquis. Après chaque ajustement, le traducteur se tourne vers lui: «Qu'en pensez-vous maintenant?» Finalement, il est satisfait du résultat. On détermine alors le nombre définitif de greffons: environ 1000 de plus que ce qui avait été prévu au départ.

Les greffons sont de petits morceaux de peau contenant des follicules pileux. On les prélève individuellement. Pour ceux en plus, le patient règlera directement par carte de crédit à la réception. Enfin, la tête de Felix est entièrement rasée. Il fait déjà nuit, et l'employé tente de lui remonter le moral: «Oh, Germany!», s'exclame-t-il en citant fièrement quelques noms d'équipes de foot de la Bundesliga. Au lieu d'avoir davantage de cheveux, Felix n'en a plus du tout. Il lui faudra patienter quelques mois.

Le grand jour arrive enfin

Le jour J, Felix est assis tôt le matin à la cantine. Sur la table devant lui, rien: depuis minuit, il n'a ni le droit de manger ni de boire.

«En m'endormant, j'étais très nerveux et j'avais très peur de ne pas me réveiller à temps. Maintenant, bizarrement, je suis super détendu»

Comme l'interprète n'est pas encore là, l'évaluation des résultats sanguins a lieu avec le médecin turc. Merci Google Translate et les gestes de la main.

Felix est ensuite conduit au bloc opératoire avec deux autres hommes au crâne rasé. Dans le reflet de l'ascenseur, tous trois s'observent mutuellement, tels les androïdes d'un film de science-fiction qui se rencontrent pour la première fois.

Les patients (au premier plan, Felix Hofmann) se rendent à l'intervention dans l'ascenseur.
Les patients (au premier plan, Felix Hofmann) se rendent en salle d'intervention via l'ascenseur.Image: Mario Heller

On invite Felix à se changer. Eclairé par des lumières LED éblouissantes, le couloir menant aux vestiaires ressemble à un passage vers une autre dimension. Vêtu d'une blouse stérile, il se rend dans la salle d'opération accompagné d'une assistante.

Après que Felix est entré dans le «sommeil profond» promu par Elithair grâce à une perfusion de kétamine, l'équipe médicale commence immédiatement la procédure.

«Je n'ai rien senti, ce qui était très agréable»

Le médecin lui injecte dans la tête un mélange de solution saline et d'anesthésiant local, après quoi les assistantes commencent à prélever les quelques 4500 greffons. Ces derniers sont détachés avec une aiguille creuse spécialisée et équipée d'un micromoteur. On les prélève ensuite un par un à l'aide d'une pince. C'est la partie durant laquelle on saigne le plus. Et aussi la plus douloureuse, en particulier les jours qui suivent.

Les médecins implantent les greffons un par un dans le cuir chevelu.
Les médecins implantent les greffons un par un dans le cuir chevelu.Image: Mario Heller

Semblable à un massage bizarre du cuir chevelu

Lorsque Felix reprend connaissance environ deux heures plus tard, les médecins sont déjà en train d'implanter. Ils utilisent un stylo spécial pour insérer les greffons dans le cuir chevelu. Indolore, cette procédure évite des incisions dans le cuir chevelu. «Cela ressemble à un massage bizarre de la tête», commente Felix tout en écoutant un podcast avec ses Airpods. A midi, il peut manger une escalope et quelques légumes. Il témoigne:

«Je suis encore assez étourdi. ça tangue pas mal!»

L'opération touche à sa fin dans la soirée. Hofmann est soulagé: «Après toutes ces heures, je suis vraiment content de pouvoir enfin me lever». Une fois les derniers greffons en place, l'assistant médical prend quelques photos avec son téléphone à des fins de documentation. Il en profite pour faire un selfie avec l'Allemand.

Enfin, il lui faut encore se soumettre à un traitement dit «PRP»: on lui prélève du sang, que l'on centrifuge pour obtenir du plasma riche en plaquettes, que l'on injecte dans le cuir chevelu. De quoi renforcer les follicules pileux et stimuler la pousse.

L'arrière de la tête, d'où les cheveux ont été prélevés, est soigneusement bandé. «La zone donneuse a l'air vraiment impressionnante», dit Felix en parcourant les photos qui viennent d'être prises.

«Maintenant, il reste à voir comment se passent les nuits. Je ne dois dormir que sur le dos pour éviter que les greffons tombent.»

Après une demi-heure de repos sous surveillance dans le salon, Felix se dirige avec un peu chancelant vers sa chambre. Il passe le reste de la journée au calme et écrit à ses parents et à ses amis pour leur raconter son expérience et les rassurer.

Retour à la vie normale

Le lendemain, on lui change son bandage par un bandeau et peu après, il est prêt à partir. A 16h15, Felix sera déjà dans l'avion pour Berlin. Pour le protéger du soleil et de la poussière, Elithair lui offre un chapeau, bleu et «brandé», évidemment.

Sept mois plus tard, Felix est assis dans son salon tandis que la pluie tambourine contre les fenêtres. Nous sommes début décembre et il travaille depuis chez lui. Ses cheveux ont repoussé et ses tempes dégarnies ne le sont plus. Avec un sourire fier, Felix raconte: «Je n'y pense presque plus». Il se dit satisfait:

«Bien sûr, j'ai un peu plus confiance en moi»
Le résultat : « Je le referais », déclare Felix Hofmann.
Le résultat: «Je le referais», déclare Felix Hofmann.Image: Mario Heller

Une étonnante apparition de cheveux gris

Ces derniers mois n'ont cependant pas été sans difficulté:

«Au bout d'un certain temps, j'ai remarqué beaucoup de cheveux gris»

Inquiet, il a demandé conseil à la clinique, qui lui a toutefois répondu que cela n'était pas possible.

Il a découvert sur internet que d'autres patients avaient vécu des expériences similaires après une greffe de cheveux:

«Il semble que les cheveux blanchissent temporairement, comme s'ils étaient en état de choc»

Mais maintenant, tout est rentré dans l'ordre. Felix n'utilise pas la panoplie de produits chimiques de soins postopératoires recommandés par la clinique. A choisir, il referait l'opération en Turquie, mais admet s'être senti un peu abandonné après coup.

«Je ne saurai jamais si le résultat correspond à la norme ou combien de cheveux ont réellement repoussé.»

Sa lutte contre la calvitie semble gagnée, du moins pour l'instant.

(Adaptation en français: Valentine Zenker)

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