De Alex Dutler
Joel Kiassumbua est un des nouveaux espoirs de l'équipe nationale du Congo. Voici l'incroyable histoire du gardien de but.
Xhaka, Rodriguez, Seferovic? Avant l’automne 2009, ces noms étaient encore totalement inconnus en Suisse. Lorsqu’il y a 5 ans, l’équipe nationale des moins de dix-sept ans et son entraîneur Dani Ryser s’envolent pour la Coupe du Monde au Nigeria, les gros poissons d’aujourd’hui ne sont encore que des petits têtards dans la grande mare du foot.
Sept jeux et sept victoires plus tard, les jeunets reviennent sacrés champion du monde. Les derniers cœurs sont gagnés après le résultat héroïque 1-0 contre leur hôte le Nigéria. D’un seul coup, ces porteurs d’espoirs inconnus sont devenus des «titans».
Un parcours qui restera à jamais gravé dans la mémoire des joueurs suit l’accueil des héros à l’aéroport de Zürich. De importants politiciens reçoivent les champions du monde dans le Palais fédéral, des médailles de citoyens d’honneur sont décernées et des spots publicitaires sont tournés. À ce moment il suffit qu’un des membres de ce «boygroup du foot» invite à une séance d’autogrammes pour que les glapissements de jeunes filles transforment les galeries commerçantes en région de crise.
Que provoque un tel succès en si peu de temps auprès d’une jeune personne? Joel Kiassumbua, gardien numéro 2 de l’équipe championne du monde se rappelle volontiers de ce grand succès sportif.
Cependant cet homme de 23 ans porte un regard critique sur la tourmente qui a accompagné leur retour: «Brusquement nous étions célèbre. Cela n’a pas été simple à gérer. Tout à coup tu as des milliers d’amis et tout le monde veut quelque chose de toi. À 17 ans tu ne sais pas encore faire la part des choses. J’avoue, j’ai pris la grosse tête. Dans tout ce tumulte, tu perds le lien avec la réalité sans même le remarquer. Tu penses qu’en tant que champion du monde tu es le Chef.»
Ce fils d’une mère suisse et d’un père congolais est aujourd’hui gardien de but au FC Wohlen. Huit jours avant la fin de la saison, il se bat avec son équipe qui fut la surprise de la Challenge League et son entraîneur Ciriaco Sforza pour monter en division supérieure.
Pendant sa première saison en tant que premier gardien de but l’homme de 1m90 dispose de statistiques impressionnantes: sur jusqu’à présent 25 interventions il encaisse en moyenne seulement 0,96 buts par jeu. 12 fois aucun but adverse n’a été marqué.
Contrairement à ses autres collègues champion du monde, sa carte de visite reste modeste. Ricardo Rodriguez et Granit Xhaka sont désormais chassés par les grosses équipes d’une bonne partie de l’Europe. De par son vécu des comparaisons de la sorte ne lui font pas perdre son calme: «Mon but est clairement de m’établir dans la Super League ou à l’étranger. J’ai de l’ambition, j’en ai toujours eu. Si je continu à me donner à fond, les portes s’ouvriront. Que cela soit avec Wohlen dans la Super League ou avec un autre club. Mon passé m’a appris à vivre au jour le jour et à être reconnaissant pour ce que j’ai aujourd’hui.»
Ce passé commence après le titre de champion du monde et ne connait longtemps qu’une seule direction: la descente. Pour commencer Kiassumbua est invité chez le club de première division Stoke City pour un entraînement à l’essai de deux semaines, mais le transfert échoue en raison du dédommagement d’apprentissage de 250’000 Francs suisse dû au FC Luzern. Ce dernier lui promet, après le titre de champion du monde une place dans le cadre de la première équipe, mais on l’abandonne quand même et le prête en hiver à Kriens. Lorsque son contrat finit en été 2011 le FC Luzern ne donne pas de nouvelles.
Puis les Grasshoppers manifeste un intérêt. Pour éviter le dédommagement d’apprentissage, Kiassumbua doit d’abord rejoindre le club partenaire FC Rapperswil-Jona dans la première division avant de faire partie des Grasshoppers une saison plus tard.
Bien que le plan paraisse malin, pour Kiassumbua il vire au cauchemar. En cinq parties pour Rapperswill-Jona il encaisse 14 buts adverses et ne fait pas souvent bonne figure. Habitant encore chez ses parents à Emmenbrücke, la seule logistique lui pèse.
Le champion du monde M17 se souvient: «Je me levais à quatre heure et demie du matin pour me rendre avec le train sur le Campus de GC pour participer avec les juniors à l’entraînement des gardiens de but. Puis je devais faire passer la journée dans Zürich pour pouvoir m’entraîner le soir avec Rapperswil. J’étais de nouveau à la maison vers 23 heures. Cela a été un choc pour moi. J’ai toujours été habitué à avoir un emploi du temps fixe et structuré. Cela m’a épuisé, je craquais mentalement et physiquement. À un moment j’ai dû leur dire: Je peux faire beaucoup de choses, mais ceci n’est pas possible.»
Kiassumbua tire la sonnette d’alarme. Cinq mois après avoir rejoint Rapperswil, il demande la résolution de son contrat. Il ne sait pas que le point le plus bas de son Odyssée l’attend et il reste optimiste: «J’étais sûr que quelque chose surviendrait. Après tout j’étais champion du monde et membre d’une promotion particulière. Mais j’ai rapidement dû remarquer que cela allait devenir compliquer. À un moment des secondes divisions venaient vers moi. Cela m’a blessé dans mon amour propre. Je ne pouvais espérer aucun soutien de la fédération. Je ne m’étais jamais projeté si bas, je n’avais tout de même pas fait partie de toutes les équipes nationales juniors pour rien.»
Pendant les huit mois qui suivent Joel Kiassumbua est au chômage. Il prend un abonnement dans une salle de sport et entretient seul sa forme physique. Plus tard il trouve «asile d’entraînement» chez Winterthur et auprès du FC Emmenbrücke. Parallèlement ces amis de la M17 démarrent leur carrière sur les chapeaux de roues. Le gardien de but se souvient: «Ce sont tous des bons camarades, j’étais sincèrement heureux pour eux. Mais on observe leur évolution bien sûr et pense: ‹Hey, tu fais partie d’eux normalement! Qu’est ce qui se passe de travers?›»
Le champion du monde qui fut acclamé jadis, a beaucoup de temps pour réfléchir: «J’ai commencé à douter de moi et à me remettre sérieusement en question. J’ai compris que je devais devenir beaucoup plus discipline pour réussir le prochain pas. La vérité c’est que Dieu m’a donné beaucoup de talent. Je n’ai jamais dû en faire de trop et avait quand même toujours du succès. Mais à un moment cela ne suffit plus. Tu te fais alors doubler par des gens qui ont moins de talent, tout simplement parce qu’ils travaillent plus dur.»
Pendant cette période difficile Kiassumbua trouve de la force dans le soutien de sa famille dans sa croyance: «Je suis protestant et membre d’une église libre. Mon rapport à Dieu est très intense. Je prie tous les jours et je lis dans la Bible. Grace à Dieu j’ai toujours gardé espoir et je n‘ai jamais abandonné.»
Sa rédemption survient en septembre 2012 mais d‘ordre terrestre. David Sesa l’invite à l’essai pour un entraînement à Wohlen. Après une semaine le contrat est signé et Joel Kiassumbua devient le troisième gardien de but. Après avoir travaillé comme mannequin entretemps, il se concentre à nouveau pleinement sur le foot et grimpe avec persévérance les échelons hiérarchiques de l’équipe.
L’été passé, Ciriaco Sforza le nomme finalement nouveau Numéro 1. Il n’est pas étonnant que le gardien n’ai que des compliments à la bouche concernant son entraîneur: «L’évolution de l’équipe est surtout l’œuvre de Ciri. En tant que joueur il a presque tout gagné, nous l’admirons. Il parie sur nous et nous pousse au maximum. C’est sa philosophie et une énorme chance pour moi. En tant que gardien et en tant que joueur je suis dépendant de cette confiance. C’est ce qui me permet de livrer ces performances.»
Les performances de Kiassumbua le place aussi sur le radar de son deuxième pays d’origine le Congo. En mars dernier il est placé pour la première fois au sein de l’équipe nationale. Une journée de bonheur pour le gardien: «Il y a un mois et demi ils ont été troisième à la Coupe d’Afrique. Je les ai suivis devant la télévision et tout à coup leur entraîneur m’appelle. J’ai pleuré de bonheur. C’est très émotionnel et un coup de motivation énorme.» La grande concurrence entre gardiens de but en Suisse lui a facilité la décision: «Je suis réaliste. Avec Sommer, Bürki, Hitz et Mvogo nous avons actuellement quatre jeunes gardiens très doués. C’est pourquoi je vois mes chances plutôt au Congo.»
Et c’est ainsi que Joel Kiassumbua débuta dans l’équipe des Léopards le 31 mars à Dubai lors du 0 contre l’Irak. Il se dit très impressionné par la mentalité africaine: «C’est une autre façon de voir les choses, la joie de vivre a une plus grande importance. Avant le match nous avons chanté dans le car. Je n’ai encore jamais vécu cela en Suisse. C’est dans cette ambiance que j’ai senti, qu’une partie de moi provient de cette culture.»
Le jeune gardien a vécu cette expérience pour la première fois à travers le foot. Il n’a encore jamais été au Congo. Il semblerait qu’il atteigne une partie de ses objectifs en juin – Kiassumbua a, en tant que seul gardien dans l’équipe nationale du Congo, aussi une place attitrée dans son club. Il est très confiant pour l’avenir.
La perspective d’un voyage au Congo laisse battre son cœur plus fort: «C’est une nation qui compte 80 millions de personnes, la capitale a plus d’habitants que la Suisse toute entière. Et en tant que double Champion de la Coupe d’Afrique et premier participant africain à la Coupe du Monde, tout le pays est fou de foot. J’ai la chance de découvrir cette partie de mes origines via le sport. Et ce faisant je reçois énormément de chaleur et d’enthousiasme, c’est tout simplement fantastique.»
C’est ainsi que Joel Kiassumbua conquiert finalement pas à pas cette place dans le monde du foot qu’il croyait déjà acquise lorsqu’il avait 17 ans. Parfois même les champions du monde doivent faire un détour pour arriver au but.