Sag das doch deinen Freunden!
Par Felix Burch
Des cris et des jurons brisent le silence dans les couloirs. «Un détenu récalcitrant au deuxième étage à la cabine téléphonique», annonce une voix à la radio. Ils sont plusieurs à accourir aussitôt. C'est avec une certaine routine qu'ils emmènent dans sa cellule l'homme grand et mince qui ne veut toujours pas se calmer. Dedans, la situation dégénère: le détenu brise sa télévision sur le sol et jette plusieurs objets autour de lui.
Voilà le quotidien dans l'établissement carcéral d'Affolttern am Albis. Les gardiens décident, alors que les détenus ont normalement le droit de se déplacer librement dans les couloirs, que tous doivent retourner dans leurs cellules et d'interdire l'accès au reste de la prison. Ceci inquiète beaucoup de prisonniers qui frappent contre les barreaux en signe de protestation. Ils veulent aller à la salle de sport, au billard, se promener. «Patience», crie un gardien. La situation est tendue.
65 détenus séjournent à la prison d'Affoltern am Albis, surveillés par 23 membres du personnel. Les capacités de l'établissement sont utilisées au maximum, uniquement avec des hommes. Puisque les établissements carcéraux de Suisse occidentale sont en permanence surpeuplés, il sont de plus en plus nombreux à atterrir à Affoltern am Albis. Ici, ils restent au maximum deux ans. Plus de 90 pourcents sont étrangers, beaucoup d'entre eux seront reconduits à la frontière après leur séjour en prison.
Les détenus doivent attendre jusqu'à ce que la situation avec le casseur se soit résolue. Avec prudence et fermeté, quatre gardiens saisissent l'homme et l'emmènent à l'étage le plus pas, la cellule d'arrêt. L'homme jure dans toutes les langues. En italien, arabe, français. En allemand, il lance un «Ich Sklave, ihr Rassisten», (Moi esclave, vous racistes) à l'attention des gardiens. «Restez tranquille» lui répondent-ils. Avant d'être incarcéré, il doit se déshabiller entièrement, sous-vêtements compris et reçoit un training et une paire de chaussons. Il refuse de se changer. Le gardien Patrick B.* l'accompagne dans la cellule, où il obéit. Quelques secondes plus tard, Patrick B. ferme la grosse porte, le prisonnier est seul. Seul dans la cellule, dans laquelle il n'y a presque rien: un peu de lumière, des murs nus, un matelas, une couverture, un coussin. «Maintenant il a du temps pour réfléchir», déclare Patrick B.
Le reste des détenus continue leur programme journalier avec le repas de midi. Aujourd'hui c'est des boulettes de viande à la sauce au poivre, des pâtes et un mix de légumes. La cuisine doit veiller à une multitude de choses, cuisiner des plats différents pour les Musulmans, les végétariens ou les allergiques. Les portes ne sont plus fermées et les détenus remplissent les couloirs. Certains restent dans leurs chambres, d'autres s'assoient à une table aux côtés de Patrick B. pour manger.
Patrick B. s'occupe de détenus depuis 17 ans, il en a vu beaucoup aller et venir. Depuis peu, il est le remplaçant du directeur de l'établissement. L'homme de 48 ans aime son travail car il est différent chaque jour et apprécie le contact avec les gens. «Ce sont des gens spéciaux qui sont emprisonnés; leurs destins, leurs histoires font le charme de mon emploi», dit-il. Les gardiens ne sont pas là que pour punir, ils veulent aider les détenus. Une journée calme et sans histoire est une bonne journée. La chose la plus importante est la sécurité. Les gardiens ne portent pas d'arme ni de téléphone portable. Ils communiquent entre eux par radio. Patrick B. a vécu durant toutes ces années quatre situations critiques. Il n'a cependant jamais peur. «S'il y en a un qui m'agresse, 7 autres détenus viennent me protéger.» Le métier est aujourd'hui reconnu officiellement, la formation dure trois ans.
Sa journée de travail a commencé à 7h15 et c'est à cette heure-ci que le problème avec le détenu se trouvant maintenant en cellule d'arrêt a commencé. Lors du rapport matinal, tout le personnel de la prison se retrouve autour d'une table de bois massive. «Fatim R., cellule 201 a fait des siennes toute la nuit», déclare le gardien ayant travaillé la nuit. Il a sonné 11 fois parce qu'il voulait à tout prix avoir son portable. Le directeur de la prison, Christian Klein déclare avoir pris connaissance de la situation et annonce qu'il va parler personnellement avec Fatim R. et lui expliquer quelques règles de vie de bases.
Klein est le directeur de la prison depuis mai 2015. Avant son arrivée, l'établissement a connu une période difficile. En effet, il y a eu des enquêtes pour corruption. Une employée procurait des téléphones portables, du cannabis et d'autres drogues aux prisonniers en échange d'argent. «Je suis content d'avoir pu tout recommencer à zéro» déclare Klein. Patrick B., un des rares gardiens à être resté, rajoute: C'était une époque terrible, je n'aimais plus me rendre au travail. Maintenant, il règne une toute autre culture.
«Nous travaillons proches des détenus, nous nous mouvons entre eux. C'est comme ça que l'on sait ce qui plaît aux détenus, ce à quoi ils s'occupent» explique Klein. C'est comme ça qu'il assure la sécurité. Cette culture est très différente par rapport à d'autres pays. Là-bas, les gardiens portent des armes, postés sur les toits de la prison. La sécurité par la distance, tel est leur mot d'ordre. Le fait que sa branche d'activité se trouve à la une des journaux uniquement en cas de graves accidents dérange Klein. C'est pour ça que la transparence lui est si importante. «Nous ne brûlons pas de sorcières ici, nous n'avons rien à cacher.»
Un autre point important à Affoltern am Albis est la responsabilité de soi. «Je veux que les détenus réfléchissent le plus possibles par eux-mêmes, se prennent en charge eux-mêmes – comme dehors, dans la vraie vie.» Ce n'est qu'ainsi que nous pouvons les préparer à leur sortie. C'est pourquoi il a mis en place trois changements:
Dans la salle de fitness, les nouvelles règles fonctionnent parfaitement. Un puissant Serbe travaille ses pectoraux, un Marocain fait du rameur pendant qu'un Roumain fluet fait des tractions. Il a amené sa propre musique – du hip hop allemand. En-bas, dans la cour extérieure, plusieurs détenus font un jogging à l'air frais.
Parmi ceux qui n'aiment pas sortir, Milot V.*. Le petit homme trapu vient de la principauté du Liechtenstein. Ses activités préférées: parler et se plaindre. «Ici, il ne se passe rien, comme on peut s'en apercevoir du premier coup d’œil», commence-t-il. Il serait ici injustement. Sur la demande d'un tiers, il aurait roué de coup une autre personne. Mais: «Ils ne sont pas en prison, moi oui, ce n'est pas juste.» Il trouve également injuste qu'il soit emprisonné justement maintenant. Maintenant, alors qu'il a une copine et un enfant. «J'ai enfin quelque chose de stable dans ma vie, et ils m'enferment, ça ne va pas!» Milot V. se plaint ensuite de certains gardiens, de la société à deux classes qui règnent dans la prison – «les Suisses sont mieux traités que les étrangers» – du monde en général. Patrick B. reste patiemment à côté de Milot V. Il n'entend pas ces invectives pour la première fois. Un autre détenu plein de tatouages a dû avoir entendu ces plaintes à plusieurs reprises. En passant à côté, il lui lance: «Hey Milot, tu racontes encore tes petites histoires?»
En général, ce sont les mêmes histoires qui sont racontées aux gardiens. Surtout quand les détenus veulent quelque chose. Fatim R., qui a dû se rendre à la cellule d'arrêt, voulait, selon ses propres dires, avoir son téléphone portable car il y avait enregistré le numéro de son père malade. Les portables sont interdits en prison et doivent être déposés à l'entrée. Si on veut copier un numéro enregistré dans notre téléphone, il faut remplir une demande écrite et on a le droit de le faire uniquement en présence d'un gardien. Fatim R. y a eu droit malgré son comportement nocturne. Lorsqu'il atteignit sa limite de temps passé au téléphone et qu'un garde lui fit la remarque, il piqua une crise.
C'est maintenant l'après-midi. Les détenus sont au travail. Le directeur Klein et Patrick B. sont assis au bureau et analysent le cas de Fatim R. «Ne pouvez-vous pas déjà nettoyer le désordre dans la cellule?» demande Klein. «Oui, son compagnon de cellule s'est déjà porté volontaire» répond Patrick B. La télévision n'est que peu abimée. «Après les évènements de la nuit passée et ma discussion avec lui, qui n'a manifestement servi à rien, j'ai proposé qu'il passe cette nuit en arrêt», dit Klein. «Je le mettrai ensuite pendant deux jours dans une cellule sans fenêtre – avec la promesse qu'avec un meilleur comportement il puisse regagner sa cellule, où il peut regarder la TV.» Patrick B. est d'accord. Tout ce qui s'est passé est écrit dans un formulaire. Ici aussi, la transparence sur ce qu'il se passe dans la prison est importante.
Ce qui n'est pas si important pour des personnes vivant en liberté est primordial pour les détenus: pour beaucoup, après les cigarettes, c'est la télévision qui est le plus important. Les smartphones interdits, il n'y a pas Internet, le quotidien est monotone:
Quand les détenus sont au travail, les gardiens contrôlent scrupuleusement chaque cellule. Sont-elles bien rangées, le lit est-il fait correctement, y a-t-il des drogues, de l'argent liquide, des téléphones cachés? «Il est impossible d'empêcher tout débordement» dit Patrick B. Des marchandises illégales peuvent être refourguées par des visiteurs. Patrick B. et son équipe contrôlent avant chaque promenade la cour, puisque les complices des détenus jettent constamment des choses interdites dans celle-ci.
Pendant que Patrick B. fouille la cellule, il parle avec les prisonniers. Il traite chaque détenu de la même manière, qu'il soit pédophile, meurtrier ou criminel de petite envergure. «Je ne lis jamais les actes d'inculpation pour ne pas avoir de préjugés». J'apprends leur histoire de toute manière. Avec le temps, il apprend tout sur eux. L'inverse est aussi juste, les détenus savent tout de leurs gardiens: «Ils nous reconnaissent à nos pas, ils savent les yeux fermés qui marche devant leur cellule.»
Dans la cellule que Patrick B. examine, on trouve des livres au sujet de psychologie, des fruits, un dictionnaire russe-allemand, un calendrier de femmes nues accroché au mur, des photos de la femme et de la fille du détenu. La lumière du jour pénètre la fenêtre seulement obstruée par les barreaux. Bien que l'on reproche tout le temps aux prisons suisses d'être des hôtels, les gardiens sont unanimes: «La vraie punition, ce qui touche vraiment les détenus c'est la réclusion. Rester enfermé dans une telle cellule, même avec la télé, est une expérience marquante.» Durant le week-end, mise à part une promenade d'une heure dans la cours, les détenus sont enfermés en permanence. Ce sont des longues heures de solitude. Particulièrement pour Fatim R.
*Nom connu par la rédaction / ** pour des raisons de sécurité, watson ne donne pas d'indications de temps précises
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