«Qu'est-ce que tu penses de l'homosexualité, maman?» Cette question, Brigitte* l'a entendue de la bouche de sa fille (qui a depuis effectué une transition de genre) il y a trois ans. «Pas de problème», a-t-elle répondu.
Mais il y a un an, son enfant, aujourd'hui âgé de 17 ans, lui a dit: «Je ne sais plus trop si je suis une fille ou un garçon». Et peu après: «Je me sens homme, maman». En septembre dernier, l'adolescent a demandé à sa mère d'utiliser le pronom «il» pour le nommer et d'utiliser un prénom masculin. «Elle» est devenue «il», qui a demandé à prendre de la testostérone, une hormone masculine, pour commencer sa transition de genre.
«Je suis complètement perdue», nous confie Brigitte. La mère de famille doute que l'identité de genre de son enfant diffère réellement de son sexe biologique. Car celui-ci n'a jamais évoqué se sentir garçon, ni n'aurait donné des indices sur sa transition à venir.
Entre-temps, la mère et son enfant ont pris rendez-vous avec le service de consultation de leur canton destiné aux transgenres. La mère témoigne:
A la commune, le nom de l'enfant a pu être changé sans l'accord de sa mère. Pour sa carte d'identité, il fallait toutefois la signature des parents. Ce qui a laissé Brigitte face à un véritable dilemme.
Un mois plus tard, Brigitte cède et se résigne à donner sa signature pour effectuer le changement de nom sur la carte d'identité. «C'est comme ça maintenant. Ce n'est pas facile pour moi», dit-elle. Si le changement de nom peut être annulé à tout moment, la mère s'inquiète de ce qui va suivre:
Cette histoire n'est pas un cas isolé. En Europe et en Amérique du Nord, la proportion de jeunes qui ne s'identifient pas à leur sexe biologique est en augmentation. Aux Etats-Unis, une enquête de l'institut de sondage Gallup a révélé au début de l'année que 21% des jeunes de la génération Z, âgés de 12 à 27 ans, s'identifient comme une minorité de genre, ou LGBTQIA+, c'est-à-dire se considèrent comme transgenres ou non-hétérosexuels. Il y a cinq ans, ce pourcentage était encore deux fois moins élevé, à peine à 11%.
Mais les raisons derrière cette très forte augmentation peuvent être interprétées de différentes manières. Et c'est précisément ce qui est au centre du débat. Les membres des minorités sexuelles sont-ils plus nombreux à oser l'affirmer, ou la présence massive de cette thématique dans l'actualité incite-elle les plus jeunes à percevoir leur genre différemment?
En Suisse, les services de consultation psychiatrique estiment qu'il faut respecter le souhait des enfants et des adolescents qui veulent changer de genre et de nom. En Suisse, des bloqueurs de puberté peuvent être prescrits dès 13 ans, et des hormones à partir de 16 ans.
La loi suisse n'est pourtant pas claire sur le sujet. Pour des interventions chirurgicales telles que l'ablation d'un sein, l'accord des parents est nécessaire avant la majorité. Il est toutefois difficile de trouver des cliniques qui pratiquent de telles opérations sur les mineurs.
Souvent, les mineurs veulent que la transition se fasse rapidement et sont bien informés. Et les parents sont dépassés. Si conflit il y a, il s'apaise parfois une fois le changement de nom effectué.
D'autres situations peuvent être source de tensions. Si les parents s'opposent à ce que leur enfant adopte le genre opposé, la relation peut empirer pour aller jusqu'à la perte complète de contact. Si les parents soutiennent leur progéniture sans opposition, cela peut se retourner contre eux si l'enfant finit par regretter sa décision.
Tous les parents n'ont pas forcément de mal à accepter que leurs ados veuillent changer de genre. Nathalie* dont le fils, né fille, a choisi un prénom masculin il y a un an, est par exemple soulagée que son enfant de 13 ans reçoive désormais des bloqueurs de puberté et n'ait plus ses règles.
Autrefois, il se comportait comme une fille qui faisait tout comme les garçons, explique Nathalie. Il se défendait sans hésiter en cas de conflit, s'asseyait les jambes écartées sur les chaises et utilisait parfois les toilettes des hommes.
Mais une mauvaise phase est ensuite arrivée: les résultats scolaires de l'enfant ont chuté, il a eu des troubles du sommeil et des pensées suicidaires. Pour la mère, depuis la transition, il s'agit d'un véritable soulagement:
Et de continuer:
La mère se dit également prête à soutenir son fils s'il décidait de subir une ablation des seins.
Isabelle Ferrari a également assisté à la transition d'un enfant: la fille de son ami avait 14 ans lorsqu'elle a annoncé qu'elle était lesbienne. A 16 ans, elle a déclaré qu'elle se sentait appartenir au sexe opposé.
Mais les parents y étaient opposés et un conflit a éclaté. Peu avant sa majorité, à 17 ans, cette personne a été placée sous tutelle et a commencé sa transition. «Nous étions toujours en contact», explique Isabelle Ferrari, «et au bout de deux ans, elle nous a soudain dit, ainsi qu'à l'école, qu'elle avait changé d'avis et voulait redevenir une femme».
Isabelle a depuis cofondé l'association AMQG, «pour une approche mesurée des questions de genre chez les jeunes». Elle se bat pour que les voix des parents soient entendues lors des consultations. Elle explique:
Pourtant, l'utilisation de bloqueurs de puberté est généralement à sens unique: plus de 95% de ceux qui les prennent restent sur la voie de la transition. Pour Isabelle Ferrari, cela ne confirme pas la justesse de la démarche. Elle estime que la forte augmentation du nombre d'adolescents trans en Occident devrait soulever plus d'interrogations, au lieu de choisir un traitement hormonal comme solution de préférence. Elle relève les risques, les nombreuses inconnues et le fait que ce genre de traitement est expérimental. Elle déplore l'absence de directives claires, en Suisse:
Elle dénonce qu'on ne peut se faire stériliser qu'à l'âge de 18 ans, mais des adolescents peuvent prendre des bloqueurs d'hormones qui les rendront infertiles.
Dagmar Pauli, médecin-chef et directrice adjointe de la clinique de psychiatrie et de pédopsychiatrie de Zurich, est bien consciente des reproches qui lui sont faits. A Zurich aussi, où se trouve la plus grande consultation pour adolescents transgenres du pays, on remarque que les parents ont des attitudes très différentes et que beaucoup sont tiraillés.
Bien qu'il existe aujourd'hui différentes études sur le sujet, il est loin d'y avoir un consensus. Ainsi, les bloqueurs de puberté entraînent une moins bonne densité osseuse, mais d'un autre côté, les jeunes qui ont eu accès à des bloqueurs de puberté pour entamer leur transition réduisent leurs pensées suicidaires en conséquence.
Un retour de balancier semble toutefois avoir lieu et certains gouvernements occidentaux se montrent plus réticents. La Suède et la Finlande, autrefois pionnières en matière de thérapies de réassignation sexuelle, ont décidé en 2020 et 2022 de faire preuve de plus de prudence à l'avenir et d'émettre de nouvelles directives, selon lesquelles les thérapies médicales pour les mineurs ne seront possibles que dans des cas exceptionnels et dans le cadre d'études.
En Angleterre, d'anciens patients d'une clinique spécialisée dans les transitions de genre préparent une action collective en justice. Ils dénoncent un système qui les aurait poussé à entamer une transition. La clinique a entre-temps été fermée, le service national de santé britannique ayant estimé que les enfants devaient recevoir des soins plus complets.
Mais le nombre de jeunes qui souhaitent aller en consultation ne diminue pas. En tout cas pas en Suisse. Dagmar Pauli constate ainsi une très forte augmentation des consultations transgenres à Zurich: en 2010, il y avait trois consultations par an, puis sept en 2012 et en 2022, cinquante à soixante. Mais selon elle, on ne sait pas dans quelle mesure il s'agit d'une réelle augmentation:
«Ignorer», dit Pauli, «ne fait pas disparaître la dysphorie de genre. Et même si rien de médical n'est entrepris, le développement naturel impacte le corps, à l'adolescence.»
Elle évoque ainsi le cas le plus délicat, à savoir lorsqu'un garçon en questionnement se rapproche de la puberté: si l'on n'administre pas de bloqueurs de puberté à ce moment-là, la voix devient irréversiblement grave, la barbe pousse, les muscles se développent. Dagmar Pauli affirme n'avoir jamais entendu de critiques ouvertes à l'égard de la consultation pour les transgenres. Une autre mère, Cristina*, déclare, pourtant:
Selon Dagmar Pauli, «il se peut que certains parents se sentent mal à l'aise lorsque nous leur expliquons la situation difficile dans laquelle se trouve leur enfant. Je comprends leur inquiétude et communique sur le fait qu'être parent d'une personne trans ne sera peut-être pas facile pour eux. En tant que mère, j'aurais également du mal à aborder le sujet.» Elle indique toutefois:
Quelques parents d'enfants et d'adolescents trans se rencontrent régulièrement dans le cadre de la réunion des proches de Transgender Network Switzerland TGNS. Mais les organisatrices ne veulent pas être citées dans l'article, car l'association de parents AMQG «pour une approche modérée des questions de genre chez les jeunes» s'exprime en même temps. Les fronts sont ainsi durcis, le camp adverse est perçu comme trop extrême.
Les parents sont également sous pression en raison du risque de suicide. Celui-ci est plus élevé chez les jeunes en dysphorie de genre. Dagmar Pauli indique attirer aussi l'attention des parents sur ce point.
Isabelle Ferrari estime qu'en cas de pensées suicidaires, c'est une psychothérapie qui est indiquée. De nombreux patient de Dagmar Pauli en ont suivi une. Pour certains, leurs problèmes de santé mentale sont à trouver dans leur dysphorie de genre, pour d'autres, il s'agit de problèmes psychiques tiers.
Brigitte* est convaincue que son enfant est en crise parce que son père est mort il y a quatre ans, qu'il était dépressif et qu'il fumait trop de cannabis. En raison de ces problèmes, son enfant n'a pas été admis tout de suite en consultation pour transgenres, mais est d'abord passé par une psychothérapie. «Si mon enfant devient trans, ces problèmes ne disparaîtront pas d'un coup», estime la mère.
Elle pense que «ce n'est pas parce qu'on ne se sent pas bien dans son corps qu'on est plus à l'aise dans un autre corps. La dysphorie de genre est à mon avis le plus souvent une non-acceptation de son propre sexe».
Les rôles trop étroitement définis sont-ils finalement le mal? Les parents d'enfants transgenres décrivent en effet que la fixation sur le genre ressenti est d'abord importante et vécue de manière extrême. Si l'enfant veut s'habiller en fille, au final, pourquoi pas? Mais Brigitte* déclare:
L'assignation à un genre est forte dans la société et la plupart des gens veulent donc appartenir à l'un des deux et ne pas se faire remarquer. Lorsque le corps ne correspond pas à l'identité, cela devient souvent difficile pour toute la famille. Même si les thérapies hormonales et les opérations de réassignation sexuelle, aujourd'hui autorisées, aident certains jeunes, elles posent aussi à leurs parents des questions presque indécidables.