Comme cela a été le cas dans le passé avec, par exemple, le tramadol, l'UCI prend les devants pour bannir, au moins dans sa version potentiellement détournée, une méthode qui reste à ce stade autorisée par l'Agence mondiale antidopage (AMA) mais qui agite un sport longtemps gangréné par les affaires de triche.
La controverse est née lors du dernier Tour de France après la publication d'un article du média spécialisé Escape Collective indiquant qu'au moins trois équipes, dont l'UAE de Tadej Pogacar et la Visma de Jonas Vingegaard, avaient eu recours à un recycleur de monoxyde de carbone. Cet appareil permet de mesurer la masse totale d'hémoglobine et, par extension, les bienfaits des entraînements en altitude sur l'organisme.
Interrogés par la presse pendant le Tour, Vingegaard et Pogacar en avaient reconnu l'utilisation, tout en dédramatisant l'affaire. «Il n'y a rien de suspicieux», avait assuré le premier, insistant sur le fait que le procédé servait uniquement à mesurer le volume sanguin.
La pratique en soi n'a rien d'illégal. «L'inhalation de monoxyde de carbone est une technique très standardisée qui a été validée il y a vingt ans déjà. Il n'y a aucun autre moyen de quantifier aussi précisément les bienfaits de l'altitude», a souligné en décembre le coordinateur de la performance chez UAE, Jeroen Swart.
«On a fait ça sur une durée de 18 mois. Ce processus est désormais terminé. On n'a plus besoin de faire de tels tests et on ne prévoit pas d'en faire», a-t-il ajouté.
Quant à dévoyer l'usage, à travers des inhalations répétées, pour créer une hypoxie artificielle susceptible d'améliorer la performance, Jeroen Swart s'est voulu formel: «Je ne vois personne faire ça, ce n'est pas réaliste», a-t-il balayé, jugeant «sensationnaliste» l'article d'Escape Collective.
Malgré tout, plusieurs acteurs du sport, dont le Mouvement pour un cyclisme crédible (MPCC), ont poussé l'UCI à prendre position sur ce gaz inodore qui est régulièrement à l'origine d'accidents domestiques mortels.
Des patrons d'équipe comme Marc Madiot sont également montés au créneau. L'équipe Visma a en revanche démenti auprès de l'AFP des propos attribués à Jonas Vingegaard par le journal Le Monde dans une interview publiée le 18 janvier. Dans cet entretien, le Danois réclame l'interdiction du monoxyde de carbone par l'AMA et dit que «certaines équipes détournent son usage en inhalant régulièrement de faibles doses de monoxyde de carbone, ce qui provoque un gain significatif de performance de leurs coureurs.»
L'UCI a demandé dès l'automne dernier à l'AMA de prendre position sur la question, avant d'annoncer mi-décembre qu'elle allait demander à son propre Comité directeur d'interdire, «pour raisons médicales», l'usage du gaz. «Inhalé de manière répétée dans des conditions non-médicalisées, il peut être à l'origine d'effets secondaires comme des maux de tête, une sensation de fatigue, des nausées, des vomissements, des douleurs thoraciques, des difficultés respiratoires, voire une perte de connaissance», explique l'instance.
Son utilisation «dans un environnement médicalisé, par du personnel médical compétent et dans le strict contexte de l'évaluation de la masse totale d'hémoglobine» resterait en revanche autorisée.
A terme, l'UCI espère que l'AMA lui emboîte le pas, comme cela a été le cas pour le tramadol. Cet antalgique puissant a été interdit dans le cyclisme dès 2019, ce qui a permis notamment de disqualifier le Colombien Nairo Quintana du Tour de France 2022. Cinq ans plus tard, il a aussi été placé sur la liste des produits et substances interdits par l'AMA, avec des sanctions beaucoup plus sévères à la clé.