L'article à sensation publié il y a quelques jours sur le site Escape Collective interpelle sur la route du Tour de France. Le média nous apprend que certaines équipes du World Tour font usage d'un recycleur de monoxyde de carbone. Son utilisation est récente dans le milieu, mais n'est pas nouvelle sur le plan médical et scientifique.
Cet instrument permet d'évaluer avec précision le volume sanguin et la masse totale d'hémoglobine, une protéine importante dans les sports d'endurance, puisqu'elle assure le transport de l'oxygène dans le corps. Cette masse est amenée à croître avec l'altitude et les équipes la surveillent de près lorsqu'elles se rendent à plus de 2'000 mètres. Des mesures sont effectuées au début et à la fin des rassemblements, voire en milieu de stage.
Le recycleur est utilisé par des professionnels de laboratoire au doigté expérimenté, indiquent les formations. La technique de ré-inhalation au monoxyde de carbone est appliquée sans danger pour les coureurs. Raphaël Faiss, du Centre de recherche et d'expertise des sciences antidopage de l'Université de Lausanne, connaît bien ce procédé. Il explique dans L'Équipe de manière imagée le rôle du monoxyde de carbone lors de la manipulation.
Plusieurs équipes dont UAE Emirates et Visma-Lease a bike ont confirmé utiliser un recycleur de monoxyde de carbone à des fins de mesures et dans le respect des procédures. Or Escape Collective, appuyé par différents experts, a pointé une possible dérive. Un athlète d'un autre sport se serait déjà engouffré dedans.
L'appareil pourrait être manipulé via un autre système: l'inhalation au monoxyde de carbone, c'est-à-dire sans réinhalation du gaz expiré. L'idée de base consisterait à inhaler une certaine dose acceptable de CO afin de créer une hypoxie. Une pratique risquée, étant donné la dangerosité de ce gaz et la répétition des inhalations. Il conviendrait de les réitérer tous les jours sur une certaine durée pour en tirer des bénéfices. «On peut contraindre quelqu'un à être en hypoxie en lui balançant du monoxyde de carbone. On peut maîtriser le degré d'hypoxie qu'on impose par rapport au taux de monoxyde qu'on fait inhaler», détaille dans L'Équipe Gérard Dine, docteur en biotechnologie. Il s'agit en fait de reproduire les effets de l'altitude. Les études concernant cette méthode de travail sont encore récentes. Les protocoles sont à affiner.
Escape Collective a néanmoins présenté des augmentations significatives du taux de globules rouges, de la masse d'hémoglobine et de la VO2max, tirées d'une étude allemande. Les équipes seraient au fait des résultats. Le média partage ainsi ses craintes. Il redoute un travail précis de laboratoire, consistant à optimiser, prolonger voire remplacer les bénéfices des camps en altitude. Mathieu Heijboer, Head of Performance à la Visma-Lease a Bike, a expliqué que son équipe n'usait pas son recycleur dans cette optique. Il s'inquiète malgré tout de l'utilisation qui pourrait en être faite par d'autres, mal intentionnés.
Raphaël Faiss de l'Université de Lausanne juge pour sa part la méthode par inhalation inappropriée. Il tempère dans Libération les ardeurs de ceux criant déjà au scandale. «Il est beaucoup plus efficace de se placer en situation d’hypoxie en utilisant des chambres ou des masques spéciaux», assure le directeur de recherche.
Le site cyclisme-dopage.com estime néanmoins que les équipes pourraient avoir intérêt à utiliser le monoxyde de carbone au sein d'un protocole plus large. Le pharmarcien Marc Kluszczynski, responsable de la rubrique «Front du dopage» du magazine Sport & Vie, explique qu'après la «cure d'inhalations», réalisée avant une échéance sportive, les formations pourraient chercher à éliminer les résidus de monoxyde de carbone avant une étape. Il conviendrait alors de faire disparaître l'hémoglobine chargée en CO en respirant de l'oxygène hyperbare. Ceci demande tout de même un caisson pressurisé (les formats individuels se sont démocratisés ces dernières années), beaucoup de temps et une logistique implacable.
L'élimination du monoxyde de carbone provoquerait d'après Kluszczynski ce que l'on appelle un gain marginal. Il y a en revanche selon lui des avantages à s'adonner à l'oxygénothérapie hyperbare à chaque étape. Cette pratique favoriserait la dissolution de l'oxygène dans le plasma, l'hémoglobine étant alors saturée. Il pourrait ensuite être consommé durant l'étape. «Il y a une quantité maximale d’O2 liée à l'hémoglobine qui ne peut pas être dépassée», précise Revue Médicale Suisse, qui ajoute: «La quantité d’O2 dissous dans le plasma est directement proportionnelle à la pression barométrique et n’est pas sujette à limitation».
Mais revenons aux inhalations au monoxyde de carbone. Que cette méthode soit utilisée ou non, ou que certains aient songé à l'employer, la pratique reste légale, ou du moins n'est pas interdite. Il y a néanmoins une zone d'ombre.
La procédure pourrait d'abord être assimilée à l'utilisation des chambres hypoxiques, admises par l'Agence mondiale antidopage, si l'on recherche en effet l'hypoxie. Mais le caractère dangereux du CO (deux coureurs de l'équipe Uno-X ont récemment été intoxiqués suite à une session de karting) et les aspects éthiques de cette méthode dérangent considérablement. Le média Escape Collective estime de son côté que le procédé entre en contradiction avec les règles de l'agence concernant la manipulation artificielle du sang. Il rappelle enfin que l'inhalation de xénon favorise la sécrétion naturelle d’érythropoïétine. Cette technique a été prohibée il y a désormais dix ans après le scandale des Jeux de Sotchi. Il en sera peut-être de même pour le monoxyde de carbone.