Intensif. Densément programmé. Millimétré. Voilà les mots qui reviennent lorsque l’on demande aux joueurs du FC Bâle de décrire leur préparation actuelle. Les dix jours passés à Schruns, en Autriche, où l’équipe était en stage, ont été particulièrement chargés. Deux séances quotidiennes sur gazon, entrecoupées d’un passage en salle de musculation. «Nous sommes en pleine phase de travail sous stress», glisse avec un sourire Carlos Menéndez.
L’Espagnol, en poste depuis l’été dernier comme préparateur physique du FCB, a ajouté une nouveauté à cette préparation: un entraînement baptisé Hypoxia. En résumé, cette méthode repose sur une réduction volontaire de l’apport en oxygène pour l’organisme. Autrement dit, le FCB simule un entraînement en altitude.
À cet effet, le FC Bâle a fait l’acquisition de deux appareils respiratoires capables d’induire un état d’hypoxie, et en loue deux autres le temps de la préparation. L’idée d’augmenter le volume pulmonaire grâce à un travail sous résistance respiratoire, tout en accélérant la récupération, n’est pas nouvelle dans l’univers bâlois. L'hiver dernier, les joueurs s’entraînaient déjà à l’aide de masques respiratoires qu’ils devaient porter au réveil et avant de se coucher. Ce qui, à l’époque, visait à améliorer l’hypertrophie musculaire – autrement dit, la croissance des muscles – ainsi que la fonction respiratoire, n’était qu’une première étape.
Mais comment fonctionne exactement l’hypoxie? Quatre fois par semaine, pendant une heure à chaque séance, les joueurs sont connectés à des machines qui déclenchent dans leur organisme les mêmes réactions physiologiques que celles provoquées par un entraînement en altitude. À ceci près qu’ils évitent les effets secondaires liés à une adaptation réelle à 3000 ou 4000 mètres d’altitude. Car, comme le souligne Carlos Menéndez:
Grâce à ces appareils, les joueurs continuent à vivre à leur altitude habituelle, mais expérimentent de manière intermittente un apport en oxygène équivalent à celui des sommets alpins. L’entraînement en altitude consiste, pour simplifier, à priver l’organisme d’oxygène, ce qui le pousse à produire davantage de globules rouges. Un plus grand nombre de globules rouges permet de transporter plus d’oxygène, ce qui améliore l’endurance.
«Si nous nous entraînions réellement en altitude, il nous faudrait une période d’adaptation d’au moins 21 jours. Ce n’est qu’ensuite que les effets positifs apparaîtraient – et qu’ils seraient durables», explique Menéndez.
Un effet que le préparateur physique de 48 ans – véritable référence dans son domaine, fort de nombreuses années d’expérience au Real Madrid et à l’Atlético de Madrid – résume ainsi: «Lorsque l’on réduit la quantité d’oxygène qui entre dans le corps, celui-ci est obligé de réagir d’une manière ou d’une autre.» L’organisme commence, en quelque sorte, à remplir ses réserves.
Au départ, il ne dispose que d’un léger «coussinet» d’oxygène supplémentaire. Après un match amical, ce petit stock est épuisé, le réservoir vide. Si le travail en hypoxie ne se poursuivait pas régulièrement, cette réserve ne se reconstituerait pas. Mais avec un entraînement continu, le corps empile coussinet sur coussinet. «Le corps apprend à construire sur ce qu’il a déjà», explique Menéndez.
Peu à peu, ce ne sont plus un ou deux, mais trois, quatre coussinets qui s’accumulent dans la réserve. Le joueur peut alors y puiser pendant un match. Plus il a de coussinets, plus il dispose d’oxygène.
Les appareils modernes peuvent aussi fonctionner dans l’autre sens: ils permettent d’augmenter l’apport en oxygène – l’air délivré est alors enrichi en oxygène. L’objectif est clair.
Cette phase-là n’est pas éprouvante, contrairement à celle de la privation. Pendant le stage, ces séances ont donc été programmées en soirée. De retour à Bâle, elles devraient se tenir juste avant la sieste de l’après-midi.
L’hypoxie est très exigeante pour l’organisme. Mais elle n’est pas dangereuse. Il n’y a aucun risque que l’apport en oxygène soit insuffisant ou excessif. Le taux de saturation est contrôlé en temps réel, les joueurs sont surveillés en permanence, et leur fréquence cardiaque mesurée. S’ils atteignent un seuil proche du minimum de saturation, ils sont immédiatement déconnectés de la machine. Chaque joueur a des valeurs individuelles, une tolérance propre. Comme les séances sont intermittentes, elles sont totalement inoffensives.
Le fait que le FC Bâle mise sur de telles méthodes est largement à mettre au crédit de Menéndez. Mais aussi de Daniel Stucki, le directeur sportif, ouvert à l’innovation et qui n’hésite pas à consulter des études sur l’hypoxie.
L'entraînement en altitude simulée est une méthode bien connue dans les sports individuels – en particulier dans le cyclisme. Son utilisation dans le football n’est pas nouvelle non plus. Mais, comme le souligne Menéndez:
Des clubs comme le FC Barcelone utilisent aujourd’hui également des machines à hypoxie. D’autres, comme Tottenham, disposent même de leur propre chambre hyperbare sur le site d’entraînement. L’Atlético de Madrid, lui aussi, a recours à ces dispositifs – il les utilisait déjà lorsque Menéndez y travaillait.
Ces chambres présentent toutefois des risques, avertit le préparateur physique du FCB: «La pression à l’intérieur de ces dispositifs peut, tout comme l’altitude, provoquer des effets secondaires. Si quelqu’un souffre, par exemple depuis l’enfance, d’une sensibilité à la pression au niveau des oreilles, il ne supportera pas ces chambres. » Les conséquences peuvent être des nausées ou des douleurs.
Ce type d’effets secondaires n’apparaît pas avec les machines à hypoxie, car elles ne modifient pas la pression atmosphérique. La variante utilisée par le FC Bâle n’est donc pas seulement plus économique que les méthodes adoptées par les très grands clubs, elle s’accompagne aussi de moins d’effets indésirables.
Le fait que le FC Bâle ait, dans un premier temps, préféré ne pas rendre publique cette nouvelle méthode n’a rien à voir avec une éventuelle suspicion de dopage liée à l’hypoxie. Une accusation que Menéndez réfute fermement:
Le souhait initial de discrétion s’explique autrement: l’augmentation du taux d’hématocrite – qui mesure le pourcentage de globules rouges dans le volume total de sang – constitue tout simplement un avantage. Un avantage que toute équipe pourrait s’offrir, mais qu’à ce jour, en Suisse, seul le FCB semble exploiter.
«En Formule 1, ce sont des millièmes de seconde qui déterminent qui prend la première ou la deuxième place. Chez nous, c’est similaire, même si la mesure est différente. La stratégie et la tactique d’un match ne sont souvent communiquées qu’une heure et demie avant le coup d’envoi, explique Menéndez. Mais comme c’est un sujet passionnant, et que cela peut aussi intéresser nos supporters de manière plus approfondie, il est tout à fait légitime d’en parler.»
Au final, le succès de ces technologies repose sur une combinaison de nombreux facteurs. Pas seulement sur la méthode de l’hypoxie en elle-même, mais aussi sur l’expertise du staff, les ressources financières disponibles, et la volonté des joueurs de s’engager pleinement dans ce processus. Menéndez en est convaincu: cela apportera quelque chose au FCB. L’efficacité de l’entraînement en altitude simulée, en tout cas, est, selon lui, «scientifiquement garantie».
Cela suffira-t-il à qualifier le FCB pour la Ligue des champions? «Ce n’est pas en respirant qu’on y arrivera, plaisante Menéndez en riant. Mais ce sont justement ces petits détails qui, parfois, font les petites différences – celles qui ouvrent la voie aux grandes scènes européennes.»