Le point culminant de sa carrière reste cet été 1997, lors duquel il s'adjugea le Tour de France, le seul remporté jusqu'à présent par un coureur allemand. Car ensuite, Jan Ullrich, adepte de l'alcool et de la drogue, tombe bien bas. Il est contrôlé positif aux amphétamines en 2002.
Une descente de police dans les locaux du docteur Fuentes et la Guardia Civil trouve ensuite en 2006 des poches de sang à son nom. Il est alors suspendu par son équipe à la veille du départ de la Grande Boucle, puis licencié. «Le cyclisme était ma famille. Et soudain, j'ai été mis à la rue. J'ai perdu mon identité», dit-il aujourd'hui.
Certains de ses collègues comme Erik Zabel ont immédiatement avoué avoir eu recours au dopage. Jan Ullrich, lui, s'accroche au mensonge d'une vie, même après sa retraite sportive en 2007, moment à partir duquel il plonge encore plus dans la dépendance à l'alcool et à la drogue. Cela commence par le vin, puis le whisky. L'ancien coureur endort ses sens, consomme de la cocaïne et fume, selon ses dires, jusqu'à 900 cigarettes par jour. Pour y parvenir, il liait jusqu'à 20 tiges à un élastique. Il est également arrêté pour avoir étranglé une prostituée.
Le fait de s'en tenir au récit selon lequel il n'a jamais trompé personne lui a tout coûté: sa profession, sa vocation, sa famille cycliste, son mariage et presque sa vie. Ce n'est qu'à la fin de l'année 2023 que l'Allemand met les choses au clair dans un documentaire en quatre parties, et exprime ce que tout le monde savait déjà. Hormones de croissance, sang autologue, cortisone, EPO: tout y est passé, durant 10 ans. Lors de chacun de ses succès, Jan Ullrich n'a jamais été «clean».
L'ancien coureur a traîné son passé durant 15 ans, en s'anesthésiant et en refoulant la vérité. Il déclare aujourd'hui:
Ullrich avait l'habitude, en tant que sportif de haut niveau, de se battre. Se faire aider était pour lui un signe de faiblesse. Jusqu'à ce qu'il ne puisse plus supporter le mensonge.
Ses aveux ont été plus qu'un simple pas en avant. Un an plus tard, Ullrich fait à nouveau partie de la grande famille du cyclisme. Il raconte: «J'avais des sueurs froides et des crises de panique. Les murs étaient si hauts et si épais que je ne pensais pas pouvoir m'ouvrir. Mon sac à dos est devenu plus léger. L'Allemagne est très dure avec ses héros sportifs, mais elle sait aussi pardonner quand tu baisses ton froc comme je l'ai fait». Oui, son mea-culpa a porté ses fruits.
Il est vrai qu'une grande partie du public lui avait déjà pardonné ses frasques, avant même qu'il ne dise la vérité. Mais depuis qu'il a vidé son sac, les choses se sont accélérées pour lui. Jan Ullrich est à nouveau un homme convoité. Désormais sponsorisé par Q36,5, Pinarello et Adidas, la ville de Bad Dürrheim en Forêt-Noire lui consacre un musée temporaire, et accueillera en mai le Jan Ullrich Cycling Festival.
Un certain Lance Armstrong est attendu sur place. Il devrait participer à l'événement. Au tournant du millénaire, les deux hommes ont livré des duels passionnants, notamment en France. Des années plus tard, Armstrong a été déchu de ses sept victoires sur la Grande Boucle, en raison du dopage. Depuis, les rivaux sont devenus des amis. En visite à Zurich, Ullrich l'explique ainsi: «Il est l'une des rares personnes à avoir vécu la même chose». Tous les deux se sont dopés et ont gagné. Ils ont été admirés puis rejetés.
Il semble que l'homme de 51 ans se soit réconcilié avec son passé. Il n'enjolive pas son histoire, ne se cherche pas d'excuses, relativise tout au plus en disant qu'il n'a jamais agi pour se créer un quelconque avantage. A chacune de ses apparitions, il raconte comment, alors qu'il était jeune et naïf, il a intériorisé le fait de devoir se doper pour pouvoir suivre le rythme.
Les phrases qu'Ullrich prononce désormais se ressemblent et donnent l'impression qu'il les a apprises par cœur. «Ne pas se doper aurait été comme partir à la guerre sans fusil», dit-il par exemple. L'Allemand, victime du système? Ce qu'il ne dit pas, c'est que personne ne l'a forcé à agir de la sorte, ou à veiller à «l'égalité des armes».
Et aujourd'hui? L'ombre du dopage plane-t-elle encore sur le cyclisme, à l'heure où des coureurs comme Tadej Pogacar pulvérisent les records de Marco Pantani et Lance Armstrong? Ullrich estime qu'il n'y a plus de dopage généralisé, et que les performances réalisées sont «explicables». Comment? Avec le matériel, l'alimentation et la façon de s'entraîner. «Nous étions assis sur le vélo dix heures par jour, mais nous ne faisions pas d'intervalles. Nous avons fait beaucoup d'erreurs à l'époque», dit-il avec un certain recul.
Aujourd'hui, Jan Ullrich parle ouvertement de ses erreurs. Comme en cette soirée de février à Zurich. Ou à l'été 2023, lorsqu'il a parcouru la Provence pendant cinq jours avec douze élus. Coût du périple: 20 000 francs par participant. En moins d'une semaine, l'ancien leader de la Deutsche Telekom a réalisé un chiffre d'affaires de près d'un quart de million de francs. En septembre prochain, les personnes intéressées pourront passer un week-end avec lui en Autriche, pour 5 100 francs par tête.
Jan Ullrich a commis de nombreuses erreurs. Avec le dopage, avec l'alcool et avec la drogue, qu'il qualifie aujourd'hui de produits du «diable». Mais tout cela est désormais derrière lui, et il peut «à nouveau profiter de la vie et du cyclisme».
Plus d'un an après ses aveux, le sport qu'il aime tant semble lui redonner l'identité qu'il avait perdue.