Oubliez les trophées, les médailles et les bouquets de fleurs. Les vrais champions, en 2022, gagnent un bébé.
Dimanche sur les Champs-Elysées, à l'arrivée de la course masculine et au départ de l'épreuve féminine, quatre cyclistes sont montés sur le podium avec un enfant dans les bras.
On pourrait suspecter un instant de communion familiale, un bonheur partagé entre un champion et sa plus belle réussite, mais il n'y a pas que ça, sinon Lorena Wiebes, première maillot jaune du Tour féminin, ne serait pas montée sur la boîte avec le bébé d'une autre.
Si la Néerlandaise du Team DSM était accompagnée, c'est parce qu'elle avait fait un pari avec une amie.
Le petit a moyennement apprécié la cérémonie protocolaire, ne cessant de pleurer sur l'estrade, visiblement effrayé par le monde et/ou le bruit.
Thomas Vingegaard, Geraint Thomas et Wout van Aert n'ont pas eu besoin de rassurer leur enfant, mais avaient-ils besoin de le prendre avec eux? Ces instants de complicité ne sont-ils pas du ressort de la vie privée? Exposer médiatiquement sa progéniture peut représenter un risque, certes faible, auquel les psychologues rendent attentifs les parents champions.
Dans un sujet consacré aux enfants exposés sur les réseaux sociaux, Le Temps rappelait en 2016 que certains intervenants invoquaient «le droit d’autonomie et d’intimité des enfants, y compris des bébés. D’autres, le devoir des parents de ne pas lester leur progéniture d’un passé qui, plus tard, pourrait leur porter préjudice.» Les plus méfiants rappelaient qu’une fois postées sur Internet, les images pouvaient être «récupérées par n’importe qui, notamment des prédateurs sexuels ou des réseaux pédophiles.»
Le Tour de France est le troisième plus grand évènement sportif au monde. Il est diffusé dans 190 pays à travers la planète. Chaque image, surtout si elle est émotionnellement aussi forte qu'une remise de prix, est vue par plusieurs millions de personnes.
Pour les parents, c'est un moment de bonheur rare. Et pour les enfants? Ont-ils conscience de l'instant? Peuvent-ils en profiter? En garderont-ils un souvenir ému? L’enfant perçoit très bien les choses dès sa naissance, mais personne ne sait très bien comment il les emmagasine. Il y a quelques années, on avait demandé à Loïs Dufaux, que son père avait hissé sur le podium du Tour de Romandie lors de sa victoire en 1998 alors qu'il n'avait que quatre mois, ce qu'il avait gardé de ce jour de fête.
Laurent Dufaux nous avait expliqué que la famille était «à la base des réussites de l’athlète. L’émotion que l’on ressent lors de la naissance d’un enfant est inimaginable. J’ai pris mon fils sur le podium pour l’associer à une victoire magnifique».
Les parents convoquent leur fils ou leur fille surtout pour eux-mêmes. On peut y déceler une forme d'égoïsme, mais qui résulte le plus souvent de facteurs inconscients. À moins qu’il ne s'agisse d'une stratégie réfléchie visant à placer l'enfant au service de l'image. Avec un bébé dans les bras, les athlètes apparaissent tout de suite sympathiques, bienveillants et attentionnés.
Il est d'ailleurs déjà arrivé qu'un conseiller en communication demande à un de ses athlètes d'émouvoir le public en présentant sa progéniture, signe que ce qui peut apparaître comme une scène mignonne peut révéler des motifs troublants.