«Pour nous, les joueurs, il vaut de l'or», complimente le gardien de la Nati, Yann Sommer. «Il a toujours de nouvelles idées et solutions. Il fait partie des meilleurs dans son domaine et c'est une personne formidable qui est toujours à notre écoute». Le défenseur Nico Elvedi appuie:
Lui? C'est quelqu'un qui fait partie de l'équipe nationale depuis 1999, mais qui a toujours travaillé dans l'ombre malgré sa réputation internationale. Son nom? Jean-Benoît Schüpbach. Ce Vaudois de 63 ans a généralement tellement d'avance sur les multinationales comme Nike, Adidas ou Puma qu'elles n'ont d'autre choix que de copier ses inventions.
«Après un coup reçu lors du match de l'Euro 2021 contre la Turquie, il m'a fait une fabrication spéciale et a modifié la chaussure pour que je puisse y entrer mon pied malgré un gros gonflement», raconte Elvedi.
Marnand, 161 habitants, plus un hameau qu'un village, à huit kilomètres au sud de Payerne (VD). C'est ici que Schüppi, comme tout le monde l'appelle, tient son magasin de sport. Et c'est aussi là que tout a commencé. Tout ça parce que ses pieds lui faisaient toujours terriblement mal dans ses chaussures de ski. Il a donc commencé à bricoler et a rapidement trouvé une solution. Lorsque Stéphane Henchoz, qui habitait quelques villages plus loin, en a entendu parler, il a demandé à Jean-Benoît Schüpbach de lui fournir des semelles pour ses chaussures de football.
L'affaire a été un succès, ce qui s'est rapidement su dans le milieu. C'est ainsi que Puma, équipementier de la Nati à ce moment (qui l'est toujours, d'ailleurs), a mis le Vaudois sous contrat. Mais travailler pour la marque au félin à cette époque n'était pas forcément évident.
Le contrat de l'équipementier avec l'équipe nationale stipulait que 80 % des footballeurs de celle-ci devaient jouer avec Puma (aujourd'hui, ils sont libres de choisir leur marque). Problème: de nombreux joueurs ne se sentaient pas à l'aise avec les pompes de l'équipementier allemand. «Les stars comme Sforza, Yakin et Türkyilmaz faisaient partie des 20 % qui avaient le libre choix», rembobine Schüppi. Et les autres? «Il y avait un accord selon lequel leurs chaussures devaient être toutes noires et j'ai ensuite joué à Van Gogh», glisse-t-il avec un sourire malicieux en dessinant avec son doigt un puma dans l'air.
C'est en 2005 que le Broyard a été engagé par l'Association suisse de football (ASF). Celle-ci avait découvert depuis longtemps son talent, qui ne se limitait pas à fabriquer des chaussures adaptées à chaque pied. Non, Jean-Benoît Schüpbach a aussi bricolé avec succès le dessous des chaussures.
Avant ses expérimentations, il existait deux types de chaussures de football: celles avec des crampons en plastique, plutôt courts, pour les sols secs et durs. Et celles avec des crampons vissés, plus longs, pour les terrains mous et gras. Schüppi ne s'est pas contenté de cela. Il a développé une forme mixte, «parce qu'on a plus de maintien qu'avec des crampons uniquement en plastique, mais le confort est plus élevé qu'avec des crampons uniquement vissés». L'artiste révèle un autre de ses secrets:
Il n'a pas fallu longtemps pour que les multinationales copient ce système combiné. Mais Schüppi n'a jamais fait breveter ses inventions. «Oh, ça ne sert à rien», balaie-t-il.
On doit aussi à Jean-Benoît Schüpbach les crampons concaves, par exemple. Le Vaudois vient de présenter sa dernière trouvaille, qu'il a développée spécialement pour les joueurs offensifs comme Xherdan Shaqiri en vue de cet Euro: poser seulement quatre crampons vissés à l'avant de la chaussure (au lieu de six), le reste étant des crampons en plastique. «Pour que les joueurs glissent davantage qu'avant en cas de coup de l'adversaire. Car si l'on reste croché au gazon, le risque de blessure augmente», explique l'expert.
En plus des semelles et des crampons, Schüppi apporte un soin particulier à une autre partie de la chaussure: sur presque chaque paire, il démonte la talonnette et la remplace par une plus légère. Pourquoi? «Plus la partie arrière de la chaussure est lourde, plus le risque de problèmes musculaires au mollet est élevé.»
Mais les chaussures modernes et sophistiquées ne sont-elles pas meilleures que celles d'il y a 30 ans? «Je ne pense pas», tranche le Romand.
Jean-Benoît Schüpbach n'est pas seulement le bricoleur de chaussures de la Nati depuis 25 ans. Après tout ce temps à côtoyer les joueurs, il en est aussi devenu parfois leur confident, leur psy. Alors forcément, le Vaudois a beaucoup à raconter, même s'il n'est pas du genre à colporter les anecdotes. Mais on peut quand même lui soutirer quelques histoires.
Celle, par exemple, qui s'est passée lors de la Coupe du monde 2006 en Allemagne. On lui avait alors demandé s'il pouvait préparer les chaussures de la superstar camerounaise Samuel Eto'o. Bien que les Lions indomptables n'étaient pas des adversaires de la Suisse, le Vaudois a demandé l'autorisation au sélectionneur Köbi Kuhn, qui a immédiatement accepté. «Ah, ce Köbi, c'était un homme merveilleux, parce qu'il a veillé à une ambiance extraordinaire et qu'il a fait confiance presque aveuglément à tout le monde dans l'équipe», s'émeut Schüppi.
Puis vint Ottmar Hitzfeld. «Un grand Monsieur. Il était un peu plus sévère que Köbi, mais pas trop quand même, parce que c'est un homme intelligent». Et Vladimir Petkovic? «Il avait son propre style de direction. Mais lui aussi a eu du succès». Finalement, Murat Yakin?
Eto'o n'est pas le seul joueur en dehors de la Nati pour lequel Schüpbach a préparé des chaussures. L'Italien Marco Verratti comptait également parmi ses clients, tout comme le Belge Daniel van Buyten. Une ex-star du FC Barcelone, très célèbre, a fait venir Schüpbach en Catalogne spécialement pour l'occasion. Le Romand ne peut pas révéler son identité, car il avait signé une clause de confidentialité. Mais il confie tout de même une chose: les chaussures qu'il a préparées pour cette star mondiale ont fait disparaître les douleurs musculaires chroniques de cette dernière.
Il est aussi arrivé à Schüppi de préparer les chaussures d'un grand du football sans le savoir. Son nom? Zlatan Ibrahimovic. Celui-ci avait découvert le système mixte de crampons du Vaudois sur les chaussures de son coéquipier avec la Suède, Daniel Majstorovic, qui jouait alors au FC Bâle. Ibrahimovic a eu envie de le tester. Il a donc chargé Majstorovic de lui procurer de telles chaussures. Lorsque Reto Zanni, coéquipier de Majstorovic au FCB, s'est rendu à Marnand avec les chaussures de plusieurs joueurs bâlois, celles d'Ibrahimovic en faisaient partie. Quelques semaines plus tard, Jean-Benoît Schüpbach a reçu un SMS de Zanni:
En espérant que les prouesses du bricoleur de la Nati puissent désormais aider les Helvètes à battre l'Allemagne ce dimanche soir (21h00), une victoire qui leur assurerait la première place du groupe et un adversaire plus abordable en 8e de finale. Il s'agirait du deuxième du groupe C, à savoir l'Angleterre, le Danemark, la Slovénie ou la Serbie.
Adaptation en français: Yoann Graber